Square

Bâle III, subprime, actifs toxiques, crise de liquidité, crise des dettes souveraines…

Peut-on encore évaluer les banques ?

Créé le

20.09.2012

-

Mis à jour le

28.11.2012

L’évaluation d’une banque doit intégrer les spécificités du secteur, ​s’agissant des risques, de la réglementation ou de la gamme étendue des ​activités. Elle est rendue aujourd’hui difficile par les multiples ​incertitudes qui affectent ces facteurs.​ Comment réduire ces dernières et redonner des repères aux évaluateurs ?

Depuis le début de la crise, trois phénomènes conjoints ont fortement affecté les banques :

  • une violente crise de liquidité/solvabilité nourrissant un marasme économique grandissant et générant un renforcement durable des contraintes réglementaires ;
  • parallèlement, le cours de l’action des principales banques européennes a été divisé par 3, par 7, voire par 10 ;
  • plus inquiétant, l’incertitude sur ces valeurs s’est amplifiée : alors que la volatilité des actions bancaires se situait entre 15 et 25 % avant la crise, elle dépasse aujourd’hui les 50 %, atteignant parfois plus de 60 %.
À l'effondrement des valeurs bancaires s'est donc ajoutée une très forte incertitude quant à ces valeurs. Au total, on peut légitimement se poser la question : peut-on encore évaluer les banques ?

Évaluer les banques : un exercice avec des spécificités

L’évaluation des banques présente un certain nombre de spécificités, dont la méthode elle-même.

L’approche traditionnelle de l’évaluation financière procède en trois étapes :

  • estimation de la valeur de l’activité ;
  • détermination de l’endettement financier de la structure ;
  • estimation par déduction de la valeur des fonds propres [1] .
S’agissant d’une banque, la valeur des fonds propres est déterminée de façon directe. En effet, l’activité de la banque est justement le financement de l’économie. Dans ce contexte, la distinction usuelle entre valeur d’activité et structure financière n’a pas de sens. Corollaire de cette spécificité, la valeur d’une banque est soumise à une volatilité importante, directement liée au niveau de son levier financier.

La deuxième spécificité concerne l’évaluation des risques. Le métier de la banque consiste à financer l’économie en mesurant le risque associé aux projets financés et en tarifant ce dernier de façon adéquate. Il s’agit bien de prendre des risques et le premier d’entre eux est celui de contrepartie, très corrélé au contexte macroéconomique. Mais il y en a d’autres : risques de bilan (taux, liquidité, change), liés aux produits « toxiques » – dont l’existence et l’impact éventuel peuvent rester durablement latents au sein des bilans –, ou encore risques opérationnels, etc. En complément de la détermination des flux de résultats futurs, il sera donc déterminant pour l’évaluateur d’estimer précisément la nature et l’impact de ces risques sur les flux.

Troisième spécificité : le contexte réglementaire. Étant donné le rôle central des banques dans l’économie et le risque systémique qu’elles peuvent porter dans certaines circonstances, elles sont soumises à un ensemble de réglementations strictes et doivent en particulier respecter des ratios prudentiels. Ces contraintes pèsent fortement sur la croissance future et la capacité de distribution des banques. Les méthodes d’évaluation de banques doivent naturellement tenir compte de cet environnement réglementaire fluctuant.

Enfin, dernière spécificité : une somme de métiers parfois très différents. Les établissements bancaires ont des tailles variables, mais les plus importants d’entre eux, à l’image des grands groupes industriels, sont en général composés d’activités qui présentent des degrés divers de complexité et des métiers plus ou moins volatils (banque de détail, gestion d’actifs, banque de financement et d’investissement, etc.). Il est dès lors relativement délicat d’évaluer une banque de façon globale ; il vaut mieux procéder en évaluant indépendamment chacune de ses activités (approche dite par « somme des parties »).

Une méthodologie d’évaluation qui fait consensus

Conscients de ces multiples spécificités, les praticiens de la finance ont bâti un consensus relatif sur les méthodes d’évaluation à retenir pour évaluer une banque. Sans surprise, on retrouve le distinguo habituel entre les méthodes relevant d’une approche intrinsèque et celles relevant d’une approche analogique.

La méthode par les flux (intrinsèque) généralement retenue considère le résultat distribuable pour l’actionnaire. Celui-ci tient compte du profit de l’année, mais aussi du profit exceptionnel qui peut être distribué si la banque est en excédent de fonds propres, ainsi que la part des profits futurs qui ne pourra être distribuée en raison de la croissance de l’activité et des contraintes pesant sur les capitaux propres.

Une version alternative parfois rencontrée est la méthode WEV [2] , version très simplifiée de la précédente. Pour permettre cette simplification, elle suppose que la banque évaluée a atteint sa pleine maturité. Elle connaîtra donc un ROE [3] stable et une croissance constante de son résultat net.

La méthode des comparaisons boursières et l’analyse des transactions récentes dans le secteur reposent sur des multiples de résultat net, voire de capitaux propres (Price to Book – PtoB). Les multiples assis sur le PNB sont généralement écartés en raison des différences structurelles ou conjoncturelles qui peuvent exister en termes de coût du risque et de frais d’exploitation.

Afin de tenir compte des différences de rentabilité, la méthode des comparaisons boursières est parfois un peu sophistiquée, en procédant à une analyse de régression [4] (ROE vs PtoB) sur l’échantillon retenu.

Il existe aujourd’hui un consensus parmi les évaluateurs de banque sur la pertinence de ces méthodes. Cependant, rappelons que si chacune de ces méthodes fonctionne bien pour les banques monométier ou pour évaluer une activité bien spécifique au sein d’une banque, seule une démarche par la somme des parties (sum of the parts), appelée aussi « actif net réévalué », fonctionne pour les banques universelles ou multimétier. Il s’agit alors de mettre en œuvre les méthodes évoquées ci-dessus pour chacune des activités et, en faisant la somme de ses différentes parties, de déterminer la valeur de la banque dans son ensemble. Il importe cependant de bien identifier et évaluer les coûts de structure ainsi que leur pendant : les synergies potentielles entre les différents métiers.

La crise a rendu l’exercice encore plus difficile

Tout d’abord, le funding, la matière première des banques, a connu deux profonds bouleversements. Premièrement, après le 15 septembre 2008, il est brutalement devenu beaucoup moins abondant. Même si la crise de liquidité a connu des périodes de rémission au deuxième semestre 2009 ou au premier semestre 2011, le marché n’a jamais retrouvé la profondeur d'avant la crise. Ensuite, les spreads se sont fortement tendus et différenciés entre banques et entre natures de véhicule de refinancement. Dès lors, les activités nécessitant un financement long ou non pourvoyeuses de collatéral ont vu leur coût de refinancement fortement augmenter.

Ensuite, les banques ont assisté à un triple renforcement des exigences réglementaires, qui mine fortement leur ROE.

Sur le plan de la solvabilité, le calcul des ratios s’est durci de trois façons : par le renforcement de la qualité des fonds propres exigée, par l'augmentation des actifs risqués pondérés et par la hausse des exigences des ratios minimaux. Avant la crise, la moyenne des banques avait un ratio Tier 1 de 11 % pour une cible de 8 %. Aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, la moyenne suivant les nouvelles normes serait passée à 6  % pour une cible nettement accrue.

Concernant la liquidité, de nouveaux ratios sont apparus, rendant moins rentables les métiers qui n’apportent pas de liquidité : banque d’investissement en général, mais aussi établissements de crédit spécialisés.

De nouvelles réglementations sont en gestation (inspirées de la Volcker Rule, ou du rapport Vickers…) ; elles pourraient aboutir à des scissions des activités entre banque de détail et banque de financement et d’investissement.

Enfin, le contexte macroéconomique mondial est plus que jamais incertain, les trimestres de croissance molle succédant à ceux en récession, le tout rythmé par les ouvertures de vanne sans résultat des banquiers centraux. Dans cet environnement perturbé, il est particulièrement difficile de dessiner un business plan. Les banques doivent alors constituer de multiples prévisions de résultats combinant plusieurs scénarios macroéconomiques, des anticipations de volumes et coûts de funding et parfois des ratios prudentiels calibrés à plusieurs niveaux.

Les conséquences pour l’évaluateur et les banques

Si l’on doit trouver un dénominateur commun aux trois changements induits par la crise décrits au paragraphe précédent, il s’agit bien sûr de l’incertitude sur :

  • le volume et le coût du funding ;
  • le niveau de la croissance économique ;
  • l’environnement réglementaire (les ratios liés à Bâle III ne sont pas encore connus dans le détail à ce stade).
Il convient d’ajouter une quatrième incertitude : en raison de ces nombreux changements, qui modifient parfois violemment la rentabilité voire la viabilité de tel ou tel métier, les banques ont réalisé, réalisent et vont réaliser des ajustements stratégiques majeurs sur leur portefeuille de métiers. Ces ajustements expliquent largement la difficulté actuelle pour évaluer une banque. En effet, toute évaluation est un exercice de projection dans le futur : or, comment peut-on se projeter quand les modèles économiques des grandes banques peuvent suivre des chemins très différents ? L’évaluateur en est réduit à croiser plusieurs scénarios de développement avec différents contextes économiques, financiers et réglementaires, le tout avec une méthodologie de somme des parties. Cet exercice particulièrement complexe explique l’amplitude des fourchettes d’évaluation que nous connaissons aujourd’hui, mais aussi, dans une certaine mesure, les fortes décotes dont font l’objet les valeurs bancaires.

Communiquer régulièrement

Si l’on part du postulat que le cours de l’action est partiellement corrélé à l’incertitude sur le niveau des résultats futurs, la banque dispose d’un levier potentiel en la matière pour se différencier et tenter de mieux se valoriser. En effet, si la banque ne peut pas faire grand-chose pour réduire l’incertitude sur la réglementation, le funding et l’environnement économique, il est de son ressort de communiquer régulièrement sur les ajustements de son modèle économique en cours et à venir, sur les rentabilités par métier actuelles et futures et sur le niveau des risques propres à chaque métier. Une telle communication peut enlever au moins une dimension à la matrice multiscénario de l’évaluateur et réduire ainsi la fourchette de valeurs.

 

1 L’approche traditionnelle de l’évaluation respecte parfaitement un des principes fondamentaux de la finance moderne qui veut que l’on sépare la « décision d’investissement » (que vaut cette activité ?) de la « décision de financement » (comment puis-je financer cette activité ?). 2 Warranted Equity Value. 3 Le Return on Equity (ROE) correspond à la performance économique (Résultat net) rapportée aux capitaux propres (CP). 4 L'analyse de la régression est une technique d'analyse statistique servant à expliquer le comportement d'une variable grâce à d'autres variables.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº754
Notes :
1 L’approche traditionnelle de l’évaluation respecte parfaitement un des principes fondamentaux de la finance moderne qui veut que l’on sépare la « décision d’investissement » (que vaut cette activité ?) de la « décision de financement » (comment puis-je financer cette activité ?).
2 Warranted Equity Value.
3 Le Return on Equity (ROE) correspond à la performance économique (Résultat net) rapportée aux capitaux propres (CP).
4 L'analyse de la régression est une technique d'analyse statistique servant à expliquer le comportement d'une variable grâce à d'autres variables.