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Rôle et missions

« Ne surresponsabilisons pas les banques centrales »

Créé le

23.09.2011

-

Mis à jour le

27.09.2011

Mesures non conventionnelles, interventions sur le marché de la dette souveraine, mission de stabilité financière… Le 1er sous-gouverneur de la Banque de France défend les positions prises par l'Eurosystème depuis 2007.

Avec la mise en place des mesures non conventionnelles, les banques centrales occidentales, et la BCE en particulier, ont-elles dérogé à leur objectif essentiel de maîtrise de l’inflation ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir un instant sur le rôle et le statut de la Banque Centrale Européenne (BCE) avant de pouvoir faire toute comparaison. La BCE est une institution  indépendante, ce qui implique deux contreparties : qu’elle ait un objectif précis et qu’elle rende compte. Cet objectif principal est la stabilité des prix. Contrairement à la Banque d’Angleterre, qui vise un taux cible d’inflation chaque mois, la BCE s’est fixé un objectif d’augmentation des prix légèrement inférieur à 2 % sur le moyen terme. Sa crédibilité se fonde sur sa capacité à corriger la trajectoire si nécessaire et à tenir, année après année, un taux moyen autour de 2 %. C'est le cas depuis 12 ans. Elle prend en compte les prix constatés mais également les anticipations, d’où l’importance de l’horizon de moyen terme. Mais cette politique ne peut pas être mise en œuvre sans un environnement de stabilité monétaire. Ce qui l’amène à veiller au bon fonctionnement du marché des taux à court terme : ses décisions ne peuvent pas bien se transmettre si le marché est trop segmenté ou s’il y a une trop forte volatilité. Quant à l’obligation de rendre compte, elle la remplit, mois après mois, en expliquant ses décisions et les éléments pris en compte pour y aboutir.

Les mesures non conventionnelles (MNC) mises en place par la BCE s’inscrivent toutes dans ce schéma-là. Elles sont non conventionnelles dans le sens où elles ne faisaient pas partie de sa panoplie habituelle. Elles se divisent en deux catégories. Il s’agit tout d’abord de fournir de la liquidité aux banques, en remplaçant les adjudications hebdomadaires classiques par des adjudications à taux fixes, sans limite de montant, avec des échéances pouvant aller à 3 mois, 6 mois et même 1 an. De même pour le régime concernant les actifs éligibles déposés par les banques en garanties : les MNC n’ont fait qu’élargir les conditions d’éligibilité, là où d’autres banques centrales ont dû revoir leur système en profondeur. Il n’y a pas eu de rupture par rapport au cadre traditionnel.

Qu’en est-il des rachats de titres ?

C’est le deuxième volet des MNC. La BCE achète des titres directement sur les marchés secondaires, et ce dernier point est fondamental. Elle est intervenue sur le marché des covered bonds, titres très solides, pour le débloquer. C’était une action de soutien au financement long des banques, qui leur permettait de poursuivre l’octroi de nouveaux crédits. Elle est ensuite intervenue sur le marché secondaire des dettes souveraines. En effet, comme elle considère que les titres émis par les États membres sont un bon collatéral, la BCE veut pouvoir entretenir un minimum de liquidité et de cotation sur ces instruments. Attention : cet argent ne va pas aux États mais aux intermédiaires détenteurs des titres, car l’Eurosystème n’intervient pas sur le marché primaire des titres publics.

Quelles sont les différences majeures entre la réaction de la Fed et celle de la BCE ?

Aux États-Unis, 70 % du financement de l’économie est assuré par les marchés et 30 % par les banques. La proportion est inversée dans le cas de la zone euro. Cela implique des pilotages différents de la part des banques centrales. La Fed ne va pas intervenir sur les intermédiaires mais sur le prix des titres. Ainsi, ne pratiquant pas le ciblage d’inflation, elle fixe ses taux directeurs à un niveau pratiquement nul, et ce pour une très longue période. Sa décision du 21 septembre de vendre des titres de maturité courte pour en acheter de maturité plus longue illustre encore plus sa volonté de piloter directement l’ensemble de la courbe des taux. Enfin, les autorités américaines disposent aussi d’une autre arme : celle de réorienter les opérations en dollar vers des financements domestiques, pour injecter plus de liquidité encore, dans le but de relancer l’économie aux États-Unis. C’est ce qui est en train de se passer au détriment du financement en dollar des banques européennes, notamment françaises. C’est peut-être l’amorce d’une régionalisation par monnaie des opérations bancaires.

Les banques centrales ont-elles négligé la stabilité financière au profit de la stabilité monétaire ?

La stabilité financière concourt à la stabilité monétaire, il n’y a pas de dilemme entre les deux. La stabilité monétaire est l’élément déterminant qui crée les conditions de la croissance : donner aux investisseurs, consommateurs et épargnants des perspectives d’évolution les encourageant à investir, consommer et épargner. Mais cette stabilité monétaire est fragilisée si des mouvements brutaux animent les marchés, si la volatilité est excessive mais aussi si les intermédiaires financiers n’ont pas une structure solide. Or les banques assument deux fonctions : la transformation des dépôts et l’intermédiation financière. Ces deux fonctions nécessitent un bon fonctionnement des marchés, d’où l’attention que la BCE y porte, d’où aussi la grande proximité que certains pays jugent nécessaire entre la conduite de la politique monétaire et la surveillance des intermédiaires financiers. C’est déjà le cas en France ou aux Pays-Bas. Le Royaume-Uni réforme aussi son système dans ce sens.

La banque centrale peut-elle être responsable de la stabilité financière au sens où elle l’est pour la stabilité monétaire ?

Les instruments et les objectifs de la stabilité monétaire sont aisés à circonscrire. Il en va autrement pour la stabilité financière. La surveillance systémique du système financier est un exercice difficile, qui nécessite la coopération entre des zones monétaires qui ont chacune leur propre contexte. Si la régulation des intermédiaires est bien assurée, il subsiste des fragilités dans le domaine des opérations de gré à gré dont le suivi global reste très lacunaire. La surveillance de la stabilité financière nécessite donc des instruments qui ne sont pas encore tous en place. Quand bien même ils existeraient, la BCE ne peut avoir seule la responsabilité finale de la stabilité financière car elle n’est pas, par exemple, en charge de la réglementation. Elle a un devoir de veille et d’alerte des autres banques centrales et des États, notamment dans le cadre du Conseil européen du risque systémique. Mais ne surresponsabilisons pas les banques centrales.

Les outils théoriques des banques centrales de l’Eurosystème ont-ils évolué avec la crise ?

Notre approche a changé en profondeur depuis la crise. Nous devons pouvoir réagir très vite, ce que ne peuvent pas faire les gouvernements ou les parlements. Nous devons également mieux prendre en compte ce que l’on appelle les « queues de distribution » : ces risques extrêmes qui se déclenchent à la périphérie du système et qui peuvent avoir d’importantes conséquences sur son centre. C’était le cas des subprime, sur le marché immobilier américain, ou de banques de taille moyenne, comme Northern Rock au Royaume-Uni ou même Lehman Brothers.

J’ajouterai un canal de risque auquel nous devons être très attentifs car il peut nous coûter cher : celui de la recherche de rendement quand les taux sont à zéro. Dans un contexte de taux d’intérêt très bas, voire négatifs en termes réels, les investisseurs, les gérants d’épargne collective, les particuliers sont à la recherche de rendements plus élevés. Cela risque de générer des comportements moins rationnels, de pousser à investir dans des actifs beaucoup plus risqués. Une bonne rémunération de l’épargne est aussi un élément de stabilité.

 

Achevé de rédiger le 22 septembre 2011

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº740