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Autorité européenne

« Les modèles de risques des CCP ont été renforcés par EMIR »

Créé le

14.01.2015

-

Mis à jour le

29.01.2015

Le régulateur ne s'est pas contenté de faire transiter de nouveaux flux de contrats par les chambres de compensation. Il a également cherché à améliorer la robustesse de ces établissements.

Avec l'obligation de compensation centralisée des dérivés, les régulateurs n'ont-ils pas transformé les CCP en établissements systémiques ?

La nouvelle réglementation trouve son origine au sommet du G20 de Pittsburg de septembre 2009. Cette réunion a établi que tous les dérivés OTC suffisamment standardisés doivent faire l'objet d'une compensation centrale. Ce principe est progressivement appliqué dans les différentes juridictions. L'Europe répond à l'engagement du G20 grâce au règlement EMIR qui commence à être mis en œuvre. Pour les dérivés de taux d'intérêt, les règles devraient être finalisées au premier semestre 2015, et l'ESMA a déjà consulté sur d'autres classes d'actif : les dérivés de crédit et certains dérivés de change bien spécifiques (les non-deliverable forwards – NDF). Aux États-Unis, la réglementation est entrée dans les faits en 2013 sur un certain nombre de produits OTC. En résumé, l'idée d'une compensation centrale pour réduire le risque systémique est partagée au niveau international, ce qui rend cette mesure plus efficace dans un marché
mondialisé. Le passage par une CCP permet de réduire les risques de contrepartie. Donc au lieu de s'appuyer, dans le cas de la compensation bilatérale, sur les différents modèles de risques utilisés par les banques, l'objectif est désormais, avec la compensation centrale, de s'appuyer sur les modèles de risques des chambres de compensation. Ces derniers ont été renforcés par EMIR. Ils ont été évalués par les autorités de supervision locales, mais aussi par un collège de superviseurs dont l'ESMA faisait partie, ce qui nous a permis de comparer les différents modèles et de retenir les meilleures
pratiques. Outre le calcul des marges [1] , ces modèles de risques permettent de réaliser les stress-tests à partir desquels est calculé le montant du fonds de garantie qui constitue la seconde ligne de défense dans le default waterfall des CCP (voir Encadré).

Trop grosses pour faire faillite, les CCP ne sont pas incitées à la prudence ; l'obligation de compensation ne risque-t-elle pas de créer un aléa moral ?

Dans le waterfall process, un principe de « skin in the game » permet de limiter le risque d'aléa moral. En effet, si une contrepartie fait défaut, la CCP utilise en priorité toutes les ressources du membre défaillant : les marges de cet acteur puis sa contribution au fonds de garantie ; mais si cela ne suffit pas, alors, les ressources de la CCP sont mises à contribution, avant la participation des autres contreparties au fonds de garantie. Ce mécanisme limite l'aléa moral puisqu'il incite les CCP à bien mesurer le risque et à bien calculer les marges.

Le « buy side » [2] estime que la participation des CCP au fonds de garantie devrait être plus importante…

Ce point a constitué un sujet de débat pendant la négociation des standards d'EMIR, car le buy side veut être bien protégé et plaide donc en faveur d'un skin in the game plus épais. Mais les CCP font valoir les coûts engendrés par EMIR : elles ont dû recruter, modifier leurs infrastructures, parfois changer leurs modèles de risques, mettre à jour leurs procédures... Il a donc fallu trouver un juste milieu.

EMIR procurant du business aux CCP, n'est-il pas justifié de leur demander quelques efforts ?

C'est juste mais les CCP existaient déjà avant EMIR pour les produits listés ainsi que pour certains produits OTC. Certes, avec EMIR, les flux qui transitent par les CCP vont augmenter, mais il existe aussi une concurrence entre CCP. On en dénombre une vingtaine en Europe et il y a aussi les CCP hors de l'Union européenne qui pourront être utilisées sous certaines conditions. Donc le mécanisme de la concurrence joue.

Où en est le chantier Redressement et résolution ?

Après un long débat pour trouver un accord au niveau international, IOSCO et le FSB ont publié des recommandations en octobre 2014. Elles vont servir de base à la réglementation des différentes juridictions. En Europe, la Commission n'a pas encore finalisé ses propositions qui se situeront hors du périmètre d'EMIR. Ce règlement part du principe que la compensation centralisée réduit le risque systémique ; ensuite, les risques que présentent les chambres de compensation seront traités dans un autre cadre.

Le buy side a tendance à estimer qu'une résolution rapide et ordonnée est préférable à un redressement qui se ferait au prix d'un hair cut sur les marges ; or, le régulateur semble privilégier l'option du redressement…

Prenons l'exemple d'une obligation de compensation à laquelle une seule CCP est capable de répondre ; alors, en cas de faillite, l'obligation de compensation tombera, comme le prévoit EMIR.

Mais dans le cas d'une opération OTC de swap de taux soumise à l'obligation de compensation (comme cela va bientôt être mis en place en Europe), plusieurs CCP peuvent assurer ce service, donc si l'une d'elles fait faillite, il faut transférer toutes les opérations vers un autre établissement, ce qui est très compliqué sur un plan opérationnel et peut créer des remous dans le marché. Donc le redressement de l'établissement peut être vu comme préférable à sa résolution dans certains cas.

Plus systémiques, les CCP sont-elles également plus robustes ?

Au début de la crise, c'est l'interconnexion entre les banques qui a été pointée du doigt. La solution trouvée par les régulateurs peut être, elle aussi, critiquée. Bien sûr en créant ces points centraux dans lesquels beaucoup de contreparties vont intervenir, vous créez une forme de concentration, mais ils sont soumis aujourd'hui à une supervision différente de celle qui était en vigueur avant EMIR. Aujourd'hui, les CCP ne sont plus seulement réglementées au niveau national mais aussi encadrées par un collège de régulateurs européens, dont l'ESMA fait partie, avec des exigences bien plus importantes qu'avant. Donc nous ne nous sommes pas contentés de faire transiter de nouveaux flux de contrats par les CCP. Le nouveau système a été largement renforcé afin de rendre les CCP très robustes.

Les CCP ne sont-elles pas sous-capitalisées ?

Certaines ont un statut de banque et sont donc soumises à la régulation bancaire en termes de fonds propres. Quant à celles qui ne sont pas des banques, elles se voient imposer par EMIR un montant minimum de capital de 7,5 millions d'euros.

De nombreux observateurs estiment que ce minimum fixé par EMIR est très bas...

En réalité, ce montant est le minimum fixé par le règlement EMIR, mais d' autres paramètres de risques [3] doivent être pris en compte par les CCP pour déterminer leur montant minimum de capital et il est dépassé par plusieurs établissements, du fait de leur taille et des risques auxquels ils font face. De plus, il est important de souligner que la principale ligne de défense des CCP, qui ne sont pas des banques pour la plupart d'entre elles, n'est pas le capital, mais, comme expliqué plus haut, toutes les autres ressources du default waterfall.

1 Marge initiale: somme demandée en garantie par la chambre de compensation à chaque contrepartie en cas d’interruption du contrat, par exemple par une faillite. Appel de marge : règlement du mark-to-market i.e. de la perte ou du profit généré par un produit dérivé en fonction de sa valeur de marché. 2 Buy side : les investisseurs en produits financiers, par opposition aux banques, par exemple les fonds (UCITS, hedge funds), les compagnies d’assurances, les fonds de pension. 3 Exemples d’autres paramètres : risque opérationnel et juridique, risque de contrepartie, de crédit, de marché, risque commercial et exigence de capital pour liquidation ou restructuration des activités.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº781
Notes :
1 Marge initiale: somme demandée en garantie par la chambre de compensation à chaque contrepartie en cas d’interruption du contrat, par exemple par une faillite. Appel de marge : règlement du mark-to-market i.e. de la perte ou du profit généré par un produit dérivé en fonction de sa valeur de marché.
2 Buy side : les investisseurs en produits financiers, par opposition aux banques, par exemple les fonds (UCITS, hedge funds), les compagnies d’assurances, les fonds de pension.
3 Exemples d’autres paramètres : risque opérationnel et juridique, risque de contrepartie, de crédit, de marché, risque commercial et exigence de capital pour liquidation ou restructuration des activités.