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Stratégie de Place

« La finance a un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique et écologique »

Créé le

22.09.2017

-

Mis à jour le

02.10.2017

Réunissant acteurs privés et publics, Finance for Tomorrow est une initiative destinée à faire de Paris un leader de la finance verte et durable, en misant sur son expertise et ses atouts. Les questions de la définition des investissements verts, de l'effet de levier des financements publics ou de la régulation bancaire se posent.

Qu’est-ce que l’initiative Finance for Tomorrow ? Comment est-elle née et pourquoi ?

Le lancement officiel de Finance for Tomorrow a eu lieu le 13 juin dernier, mais nous avons commencé à travailler sur cette initiative au printemps 2016. Des entités de finance verte et durable étaient en train de se créer dans plusieurs places financières, à Londres avec la Green Finance Initiative, au Luxembourg avec le Green Stock Exchange… Paris se devait d’agir et aller de l’avant. Paris Europlace a publié un rapport, que j’ai coordonné, au moment du second Climate Finance Day en novembre 2016 à Casablanca, en amont de la COP 22. Ce rapport dresse un état des lieux de ce qu’est la finance verte à Paris et des pistes pour la développer.

Le constat est qu’il y a un écosystème favorable en France pour plusieurs raisons : l’investissement socialement responsable (ISR) est depuis longtemps une tradition française, la COP 21 de décembre 2015 a donné une impulsion et accéléré le développement de la finance verte, les pouvoirs publics ont été dynamiques avec le vote de l’article 173 de la loi transition énergétique, la mise en place des labels TEEC et ISR, le green bond émis par l’Etat français début 2017… La place de Paris dispose par ailleurs d’atouts dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la gestion d’actifs, des greens bonds ou du financement des infrastructures… Nous bénéficions aussi d’une relation très constructive entre les acteurs du marché et les pouvoirs publics, ainsi que d‘une recherche publique et privée dynamique. Tout cela créé un environnement favorable.

Pour autant, si l’on n’organise pas cet écosystème, nous ne parviendrons pas à passer à l’étape suivante : faire de Paris un leader pérenne de la finance verte et durable. Il est donc nécessaire de structurer cet écosystème, pour permettre aux acteurs de s’enrichir ensemble et de rayonner en France et à l’extérieur.

Finance for Tomorrow est une initiative indépendante, au sein de Paris Europlace, qui compte aujourd’hui plus de 40 membres, des banques, compagnies d’assurances, sociétés de gestion, cabinets de conseil, la Caisse des Dépôts, l’AFD, la Banque de France, l’Ademe, les ministères de la Transition écologique et des Finances, la Ville de Paris, la région Ile-de-France… Finance for Tomorrow est dotée d’un budget et d’une équipe de deux personnes.

Quels sont les objectifs de Finance for Tomorrow ?

Finance For Tomorrow a trois grands objectifs.

Le premier est d’accélérer le développement de l’expertise et de la recherche sur la finance climat et la finance responsable. Nous sommes en train de réaliser une cartographie de la recherche publique et privée sur le sujet. Nous allons mener une action forte sur les FinTechs, en lançant un appel à candidatures auprès de green FinTechs dans le cadre du pôle Finance Innovation. Nous sommes à l’origine d’un benchmark des places financières vertes au niveau mondial qui sera dévoilé d’ici la COP 23 de novembre ou lors du Sommet climat du mois de décembre à Paris, qui a pour objectif d’identifier les meilleures pratiques.

Le deuxième objectif est de poursuivre la co-construction avec les pouvoirs publics à tous les niveaux, français et européen. Il y a un momentum favorable en France aujourd’hui. Le gouvernement est à l’écoute de ces sujets, avec notamment le plan climat présenté par le ministre de l’écologie. Un sommet climat aura lieu le 12 décembre Paris et nous organisons le troisième Climate Finance Day le 11 décembre à Bercy, co-organisé par Finance for Tomorrow et le ministère des Finances. Des annonces concrètes seront faites du côté du secteur privé mais aussi du gouvernement, pour que la France reste en avance comme elle l’a été avec l’article 173, les green bonds, etc.

L’environnement est également favorable au niveau européen, à l’heure du Brexit et du retrait annoncé par Trump des États-Unis de l’accord de Paris, avec la mise en place par la Commission européenne du groupe d’experts sur la finance durable (HLEG), dont les quatre membres français sont également membres de Finance for Tomorrow. Finance for Tomorrow a publié un décryptage du rapport d’étape du HLEG de juillet et fera de même au moment du rapport final fin 2017.

Le troisième objectif est le développement de la Place de Paris par la communication et la coopération, car les gagnants de la finance durable seront ceux qui coopéreront le plus. Nous souhaitons aussi attirer à Paris des événements internationaux. Il y a eu, par exemple, l’Assemblée générale des Green Bonds Principles, le 14 juin dernier, et nous préparons le troisième Climate Finance Day le 11 décembre, en collaboration avec le ministère des Finances. En parallèle, nous avons initié des contacts avec d’autres places financières : avec la City bien sûr mais aussi avec les places luxembourgeoise, néerlandaise, suédoise, chinoise… avec pour horizon la création d’un réseau mondial de places de la finance verte.

Y a-t-il d’autres pistes concrètes de travail pour développer cette finance verte et durable ?

Je vois trois axes principaux.

Le premier est le renforcement du reporting climat. La France a pris de l’avance avec l’article 173 de la loi transition énergétique qui demande aux investisseurs institutionnels de mesurer et communiquer leur impact carbone. Finance for Tomorrow contribuera à faire un premier bilan de son application, y compris en analysant les méthodologies utilisées. Il est encore un peu tôt pour tirer des conclusions des premiers reportings « article 173 » et, en même temps, il faut avancer. Du côté des gérants d’actifs, les reportings sont de bonne qualité et bénéficient de l’historique de rédaction des rapports ESG depuis plusieurs années, comme la loi le leur demande. Pour les investisseurs institutionnels, cet exercice est complètement nouveau, mais l’article 173 a mis en mouvement les acteurs. Il faut maintenant un article 173 au niveau européen. Or il y a un momentum européen avec le groupe d’expert sur la finance durable (HLEG).

Le second axe sur lequel nous devons avancer concerne l’épargne des ménages. Aujourd’hui, les épargnants ont peu d’informations sur l’aspect vert et durable des produits. Les labels ISR en place depuis dix ans n’ont pas suffi à faire décoller l’épargne socialement responsable. Chaque année, lors de la semaine de l’investissement responsable, un sondage montre que les Français se disent prêts à épargner de façon responsable, mais le font peu. Il y a une problématique de transparence, d’information et de distribution. Cela nécessite une stratégie nationale qui doit être portée par les pouvoirs publics, comme cela a été le cas avec l’épargne salariale. Il y a 30 % d’épargne responsable et solidaire dans l’épargne salariale, et 3 % dans le reste de l’épargne des ménages. Pourquoi ne pas viser un objectif de 10 à 15 % d’investissement responsable et vert d’ici la fin du quinquennat ? Cela passera par une promotion des labels, des incitations aux réseaux bancaires et d’assurance… Le gouvernement a donné des signaux très positifs sur ce sujet.

Le troisième axe est l’utilisation de la finance publique pour faire levier sur la finance privée. Le Premier ministre a lancé fin septembre le plan d'investissement annoncé début juillet : une enveloppe de 57 milliards d’euros, dont 20 milliards pour la transition énergétique, sur la durée du quinquennat. Selon l’Ademe, il faudrait 25 milliards d’euros d’investissement par an pour financer la transition énergétique. 57 milliards de plan d'investissement en cinq ans, c'est un bon chiffre, à condition qu’il y ait un effet d’entraînement. L’objectif est d’utiliser l’argent public pour mobiliser de l’argent privé, faire en sorte qu’il y ait un effet de levier maximum. En termes de dépense publique, il faut moins de volume et plus de prise de risque. Or il n’existe pas vraiment de lieu de réflexion qui rassemble les financeurs publics et privés aujourd’hui ; Finance for Tomorrow pourrait être un bon lieu pour cela.

Que font les banques françaises pour développer cette finance durable ?

Les initiatives se sont beaucoup accélérées depuis quelques années. Le sujet climat est présent dans toutes les stratégies des banques, avec de plus en plus d’équipes dédiées à la finance verte. C’est aussi la conséquence de la transition de l’économie : les énergies renouvelables représentent aujourd’hui une part significative du financement des infrastructures par les banques.

Du côté des prêts aux ménages, le rôle de courroie de transmission des banques est sans doute insuffisant dans le domaine des investissements verts. Il y a une difficulté pour les banques à flécher l’argent dédié au développement durable. Il est difficile par exemple de savoir si un prêt immobilier est vert ou non vert.

Les banques ont proposé, par la voix de la Fédération bancaire française, un projet de green supporting factor, que Finance for Tomorrow a repris à son compte, et qui a été mis sur la table du groupe d’experts de la Commission européenne. Il consisterait en une modulation des exigences de capital pour les actifs verts. Le projet rencontre des échos variés, peu favorables de la part des régulateurs. Quelle que soit la solution technique, il faut une évolution de la régulation bancaire qui prenne en compte le climat.

Quid de l’idée d’un malus pour les financements les moins vertueux ?

L’idée d’un système de bonus/malus est intéressante et a peut-être plus de chance d’être acceptée par les régulateurs. Encore une fois, l’objectif est clair, il faut discuter des modalités.

« Rediriger massivement les capitaux », « défi prioritaire » que se donne Finance for Tomorrow, est très ambitieux, or la finance est encore majoritairement mainstream aujourd’hui. N’y a-t-il pas un risque de ne pas être suffisamment audible, malgré la prise de conscience grandissante du sujet climat ?

La finance considère trop souvent qu’elle est un outil neutre. Or, la finance européenne alimente aujourd’hui une économie qui conduit à un scénario de 4 ou 5 °C de réchauffement. Les indices d’actions européennes sont alignés sur un scénario 5°, du fait du poids des industries liées aux énergies fossiles notamment. Or il est possible de fabriquer et d’investir dans des « indices 2° ». Aujourd’hui on mesure l’impact carbone des portefeuilles, il faudrait aussi mesurer celui des indices.

La finance a un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique et écologique. On a besoin d’une réallocation massive de capital. Il y a désormais une prise de conscience que la finance est un maillon stratégique, qu’il faut réorienter certains modes de fonctionnement de la finance. C’est l’objectif du groupe d’experts de la Commission européenne : fabriquer un système financier plus soutenable, pour financer une économie plus soutenable elle aussi.

Ce que la crise de 2007 n’a pas réussi à faire, transformer la finance en finance durable, l’urgence climatique le réussira-t-elle ?

Je l’espère, mais il reste beaucoup à faire. Que la Commission européenne ait créé, dix ans après la crise, un groupe d’experts pour faire en sorte que le système financier soit durable, cela devrait nous interpeller. Pourtant, cette évolution est nécessaire, mais elle est aussi d’une certaine façon inéluctable. L’économie est en train de changer de façon irréversible. Les stratégies des industriels ont changé. Le monde de l’énergie ne sera plus jamais comme avant, le monde des transports non plus. En 2040, la voiture électrique aura remplacé les véhicules thermiques. Qui aurait imaginé cela il y a quelques années ?

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº812