La Directive 2003/41/CE sur les institutions de retraite professionnelle (IORP) concerne les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle et fixe donc le cadre officiel des retraites professionnelles en Europe. Trois objectifs sont recherchés :
- assurer le développement des retraites professionnelles par capitalisation, en complément des retraites obligatoires et dans un cadre sécurisé ;
- faciliter la gestion transfrontalière des régimes de retraite ;
- favoriser l'investissement institutionnel de long terme.
Il faut regretter que, faute d'élaborer un modèle social minimal au niveau européen, toute la dimension sociale soit relativement réduite dans cette approche, l'hétérogénéité des régimes de Sécurité Sociale (retraites du Premier pilier) freinant considérablement pour l'entreprise l'instauration d'un Second pilier consolidé. D'ailleurs, sur 140 000 fonds de pensions recensés, seuls 84 ont réellement une activité transfrontalière (dont 14 au Luxembourg). En outre, dans le cadre des transpositions, chaque pays a créé ses propres véhicules juridiques (OPF en Belgique, PPI aux Pays-Bas, SEPCAV, ASSEP, CAA au Luxembourg, Pensions Trust au Royaume-Uni, PensionsKasse en Allemagne, etc.), étant précisé que derrière ces structures juridiques et des véhicules complémentaires de
Investissement de long terme : un objectif de IORP
L'inclusion du projet législatif de révision de la directive IORP dans une feuille de route sur le financement de l'économie réelle illustre la volonté affichée par la Commission européenne d'associer les fonds de pension au développement de l'investissement de long terme et au rétablissement d'une croissance durable. À ce titre, le financement par les fonds de pension des projets d'infrastructures – notamment dans le transport, l'énergie et les télécoms, dont les besoins s'élèvent à près de 1 milliard d'euros d'ici 2020 selon la Commission – ou encore des petites et moyennes entreprises – qui représentent les deux tiers de l'emploi au sein de l'Union et qui sont très fortement dépendantes des banques – est une piste privilégiée par la Commission pour relancer la croissance de manière durable. Les titres d'emprunt portant sur l'infrastructure présentent des caractéristiques idéales pour les investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension : longue duration, cash-flows réguliers et relativement prévisibles, rendements décorrélés des autres classes d'actifs et souvent en ligne avec l'inflation… Les objectifs de la Commission et les intérêts des fonds de pension se rejoignent donc parfaitement au travers de cette classe d'actifs.
Ainsi une des dispositions du projet de directive IORP2 consiste à lever les restrictions prudentielles nationales qui existent dans certains pays tels que l'Allemagne ou l'Autriche et qui limitent, pour les institutions de retraite professionnelle, l'exposition aux actifs risqués tels que les actions ou les titres garantis par des créances. En effet, les titres d'emprunt portant sur l'infrastructure, du fait de leur structure et de l'absence de rating, se retrouvent le plus souvent, dans le cadre des réglementations locales, parmi les classes d'actifs les plus pénalisées. Parallèlement, la Commission propose des mesures destinées à accroître la transparence du marché en constituant une base de données officielle regroupant des informations chiffrées relatives aux prêts destinées au financement des projets d'infrastructure. L'objectif est de permettre aux investisseurs de mieux apprécier le profil de risque de ces actifs.
Dans le même ordre d'idées, mais au niveau des compagnies d'assurance, l'EIOPA avait été mandaté par la Commission pour revisiter le traitement des projets d'infrastructures et d'autres classes d'actifs telles que les prêts aux petites et moyennes entreprises, l'investissement responsable et la titrisation de créance dans le cadre quantitatif de Solvabilité 2, avec pour objectif de mieux apprécier et mesurer leur risque spécifique et, in fine, de réduire les exigences en capital de solvabilité réglementaire qui y sont associées. Les résultats de cette étude, publiée à fin 2013, n'actaient que peu de changements, le manque de données historiques étant présenté comme la principale raison pour ne pas réduire les exigences de solvabilité.
Au-delà de ces mesures, c'est le statu quo en termes de contraintes de solvabilité inscrit par le projet IORP 2 qui semble, au regard des fonds de pension européens, la disposition la mieux à même de garantir leur pérennité et leur rôle d'investisseur de long terme.
Solvabilité 2 comme fondement de IORP 2 ?
Au niveau européen, contrairement aux banques et bientôt aux sociétés d'assurance avec l'entrée en vigueur de la directive Solvabilité 2, la solvabilité des fonds de pension n'est pas jugée au regard de la nature des actifs financiers qu'ils détiennent et ce sont les dispositions de la directive Solvency I qui prévalent. L'approche quantitative développée dans la directive Solvabilité 2 dépasse ces limites et se veut plus exhaustive dans l'analyse et la mesure des risques.
La question d'inclure les fonds de pension dans le périmètre de la directive Solvabilité 2, abandonnée en 2008, fut réintroduite avec la publication du Livre vert sur les retraites en juin 2010. Il y était rappelé que le cadre réglementaire à l'échelon de l'UE avait pour objectif de « garantir des systèmes de retraites adéquats, viables, modernes et transparents ». Le projet Solvabilité 2 y était présenté comme le point de départ pour l'élaboration d'un régime prudentiel adapté aux fonds de pension. L'EIOPA fut alors mandaté en 2011 pour lancer une consultation publique portant sur la révision de la directive IORP. La première étude quantitative d'impact (le QIS IORP), lancée fin 2012, matérialise le projet de directive IORP 2, s'inspirant des principes de Solvabilité 2.
Pour certains observateurs, l'intégration des fonds de pension dans le périmètre de la directive Solvabilité 2, ou d'une version adaptée mais présentant des contraintes de solvabilité fondées sur une approche quantitative du risque, s'inscrit dans la continuité du plan d'action proposé par la Commission pour la mise en place d'un marché intérieur des services financiers. Le point d'ancrage de ces arguments est que les fonds de pension présentent le même profil de risque que les sociétés d'assurance vie, car ils fournissent le même type de service financier. Par conséquent, ils devraient être soumis aux mêmes règles. Renforcer les mécanismes de leur surveillance prudentielle en les soumettant à l'examen quantitatif qu'impose Solvabilité 2 permettrait aux bénéficiaires de pension de profiter du même niveau de sécurité que les détenteurs de polices d'assurance.
La Commission et l'EIOPA reconnaissent cependant la nécessité d'adapter le cadre de la directive aux spécificités de la retraite professionnelle, ainsi que les difficultés qui s'y rapportent. En effet les arguments précités ne suffisent pas à convaincre les parties prenantes qui considèrent que les fonds de pension sont des organismes non lucratifs, ont un rôle social et par conséquent des objectifs, un fonctionnement et des risques fondamentalement différents de ceux des sociétés d'assurance. Dans cette optique, les exigences réglementaires se doivent par conséquent d'être différentes.
Ainsi, du fait de leur nature tripartite (entreprise, fonds de pension et salarié), les mécanismes de partage et de transfert du risque au sein des régimes de retraite professionnelle sont fondamentalement différents de ceux qui caractérisent les contrats d'assurance. Les risques relatifs à la commercialisation des produits d'assurance sont supportés par la société elle-même : les actionnaires de la société (Shareholder). Les fonds de pension gèrent des plans de retraite dont le risque est supporté collectivement par les salariés et l'employeur (Stakeholder). L'activité économique de la société constitue le lien prépondérant entre les parties prenantes, sa pérennité prime sur celle du régime de retraite. En effet, dans de nombreux pays de l'Union, les régimes de retraite professionnelle ne sont pas toujours obligatoires ; ils peuvent résulter de la volonté des entreprises qui peuvent décider à tout moment de leur fermeture ou du gel des droits. Dans ce cadre, les mécanismes de transfert et de partage des risques ne sont pas toujours formalisés et peuvent être modifiés selon les circonstances, les évolutions réglementaires, les négociations et la jurisprudence. La possibilité d'une réduction ex-post des prestations – cette faculté de rompre le contrat – est absente des contrats d'assurance et constitue une spécificité des fonds de pensions qui n'est pas prévue par le cadre quantitatif de Solvabilité 2.
L'étude Quantitative d'impact, lancée par la Commission à fin 2012, se nourrit de ces réflexions et l'introduction du concept de « bilan holistique » a pour objectif de combler ces lacunes. Les dispositions en faveur des garanties de long terme prévues par la directive Omibus 2, qui prescrit la révision de la directive Solvabilité 2 et qui est actuellement en cours de négociation entre le Parlement et le Conseil, ont été par ailleurs adaptées et incluses dans le QIS IORP. Ces mesures visent à reconnaître deux qualités fondamentales d'un investisseur de long terme :
- leur capacité à tenir des positions contra cycliques (contrarian investor) ;
- leur capacité à détenir des actifs illiquides à terme.
Toutefois, en dépit de ces aménagements, à travers son rapport sur les résultats du QIS, l'EIOPA a admis les limites actuelles de l'approche et indique que des travaux complémentaires sont requis avant d'envisager la mise en œuvre pratique du bilan holistique. Pour ces raisons, le projet de révision de la directive IORP du 27 mars comporte peu de changement et se limite à la gouvernance, la supervision et l'information financière. La décision d'inclure de nouvelles règles de solvabilité appartiendra au successeur de Michel Barnier et le texte définitif pourrait être très différent du projet publié le 27 mars.
À quelles évolutions s'attendre ?
Tant la Commission que l'EIOPA entendent poursuivre, malgré tout, les travaux engagés, y compris sur la question de la solvabilité des fonds de pension et ce malgré l'opposition assez ferme de plusieurs États ainsi que des entreprises et des syndicats de salariés.
La levée de bouclier que suscite l'idée de la mise en place d'un cadre réglementaire prudentiel inspiré de Solvabilité 2 aux fonds de pension n'est pas nouvelle et s'appuie sur des arguments biens connus. De nombreux observateurs ont ainsi indiqué que l'application des exigences quantitatives du QIS5 pour les sociétés d'assurance incitait fortement à la détention d'actifs tels que les obligations d'État, au détriment d'actifs plus risqués tels que les actions ou les obligations d'entreprise. Pour les opposants au projet de directive IORP 2, il est acquis qu'une réallocation, même marginale, du portefeuille d'actifs de chacun des fonds de pension européens en défaveur des actions ou des obligations d'entreprise serait susceptible de pénaliser la croissance.
En effet, une application stricte de Solvabilité 2 aux fonds de pension aurait conduit, selon les opposants au texte, à des impacts très significatifs : cession, selon l'
Au sein du Conseil, l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et l'Irlande disposent, sans parler du Danemark, de 90 voix, ce qui leur permet de s'assurer du blocage de tout texte qui viendrait à alourdir les contraintes de solvabilité. Par conséquent, les blocages risquent de perdurer, y compris avec les nouvelles règles de vote du Conseil en 2017.
Cela signifie qu'il sera nécessaire de refaire un point précis sur les orientations suivies par la nouvelle Commission et le nouveau Parlement, tant sur le plan de l'harmonisation des régimes de retraites professionnelles et la création d'un marché unique des fonds de pension que sur les possibilités d'améliorer le financement à long terme de l'économie.
Il faudra attendre
Tout ceci pour dire qu'il y a un réel problème de cohérence entre les objectifs affichés et les orientations réglementaires, ainsi que dans la méthode d'approche. Car il est impossible de dissocier le financement de l'économie de la prise de risque de l'investissement et donc de l'écosystème entrepreneurial. Si le régulateur n'intègre pas cette logique, il risque de mettre en place des circuits de financement qui ne serviront à rien.
Les assureurs français s'intéressent à IOPR 2
Les assureurs et les IRP (Institutions de retraite et de prévoyance) français, soumis à Solvabilité 2, réfléchissent à certaines options, en particulier de basculer les contrats de retraite professionnelle dans le cadre de l'IORP. Rappelons qu'en France, par application de l'article 4 de la directive IORP, le gouvernement avait décidé, dans la transposition, que les régimes de retraite supplémentaire seraient réglementairement inclus dans les règles de l'assurance vie, d'où l'application « logique » des dispositions de Solvabilité 2 aux régimes collectifs des articles 82, 83 et 39.
Néanmoins, l'option reste ouverte par le texte de placer ces contrats (entreprise ou non salarié comme le « Madelin ») sous l'égide de la directive IORP à condition que les engagements et les actifs soient cantonnés par rapport aux autres activités de l'entreprise d'assurance et qu'ils soient suivis par un Comité de surveillance ad hoc. Reste qu'il faudra mesurer la faisabilité opérationnelle d'un tel transfert de cadre réglementaire et son coût, ainsi que le cadre de gouvernance adopté pour le Comité de surveillance.