Des stress-tests enfin crédibles ?

La zone euro est &agrave; un tournant de son histoire jeune et mouvement&eacute;e. La BCE a en effet fait un pari audacieux : celui que le nettoyage des bilans bancaires permettra d'&eacute;viter un sc&eacute;nario d&eacute;flationniste &agrave; la japonaise, sans pour autant accro&icirc;tre la volatilit&eacute; des march&eacute;s. La BCE a tous les moyens de faire de cet exercice de funambule un formidable succ&egrave;s pour une Europe bien en mal de trouver d'autres relais de croissance. Mais il y a &agrave; cela trois conditions : restaurer la confiance, utiliser une m&eacute;thodologie cr&eacute;dible pour enfin nettoyer les bilans, et &eacute;carter tout risque syst&eacute;mique. Restaurer la confiance Avant tout, la BCE doit restaurer la confiance dans la solidit&eacute; des banques europ&eacute;ennes, pour permettre une baisse de leurs co&ucirc;ts de financement, qu'elles pourront r&eacute;percuter &agrave; leurs clients. Pour les pays p&eacute;riph&eacute;riques, c'est un facteur d&eacute;cisif de croissance. A risque de cr&eacute;dit &eacute;quivalent, les PME espagnoles se financent 250 bps plus cher que les PME fran&ccedil;aises ou allemandes ! Comment convaincre les investisseurs que la crise bancaire est enfin derri&egrave;re nous ? La r&eacute;ponse est assez simple, m&ecirc;me si nous sommes conscients de son caract&egrave;re quelque peu &laquo; circulaire &raquo; : il faut donner au march&eacute; les victimes sacrificielles qu'il attend. Certaines banques doivent &eacute;chouer, faute de quoi le march&eacute; accueillera ce nouveau stress-test comme les pr&eacute;c&eacute;dents, d'un haussement d'&eacute;paules. La BCE en est consciente, puisque Mme Nouy, responsable de la supervision bancaire europ&eacute;enne, n'a pas eu peur d'affirmer que certaines banques &laquo; zombies &raquo; allaient &laquo; mourir &raquo; [1] . La question que tout le monde se pose est &laquo; qui ? &raquo;. Si personne n'a la r&eacute;ponse, les attentes du march&eacute; sont d&eacute;j&agrave; connues et la BCE ne devrait pas trop s'en &eacute;loigner. Selon un sondage [2] r&eacute;cent, 68 % des investisseurs pensent qu'entre 6 et 20 banques devraient &eacute;chouer, avec une moyenne de 11. Attention toutefois : &eacute;chec ne veut pas dire faillite, mais simplement identification d'un besoin suppl&eacute;mentaire en capital, qui pourra &ecirc;tre satisfait par le secteur priv&eacute;. Toujours selon ce m&ecirc;me sondage, le besoin total en capital serait entre 50 &agrave; 100 milliards d'euros. Selon nous, la majorit&eacute; des banques concern&eacute;es devraient pouvoir &eacute;laborer un plan de recapitalisation cr&eacute;dible, avec ou sans appel au march&eacute;, selon les cas. Trois &agrave; cinq banques tout au plus pourraient &ecirc;tre pouss&eacute;es dans une &laquo; faillite organis&eacute;e &raquo;. Une m&eacute;thodologie cr&eacute;dible pour enfin nettoyer les bilans Identifier des victimes n'est pourtant pas suffisant : si le march&eacute; estime que les r&eacute;gulateurs ont tap&eacute; &agrave; c&ocirc;t&eacute; de la cible &ndash; tout le monde se souvient des succ&egrave;s de Dexia aux stress-tests de l'EBA ! &ndash;, alors l'exercice aura manqu&eacute; son but. Les banques pourraient se retrouver dans la m&ecirc;me spirale n&eacute;gative que les banques japonaises, en r&eacute;&eacute;chelonnant continuellement des NPL [3] pour maintenir artificiellement les profits, au lieu de tirer un trait sur le pass&eacute; et de financer l'&eacute;conomie. Les stress-tests devront donc avoir un r&eacute;el sens &eacute;conomique, et c'est l&agrave; un objectif infiniment plus complexe, tant les param&egrave;tres sont nombreux. A ce jour, les stress-tests europ&eacute;ens se sont d&eacute;clin&eacute;s en quatre grandes familles : les stress-tests de l'EBA, sans aucune cr&eacute;dibilit&eacute; et incapables de d&eacute;celer les points de fragilit&eacute; des banques. les sc&eacute;narios retenus par la Commission europ&eacute;enne dans le cadre de son analyse des plans d'aide d'&Eacute;tat, qui ont eu le m&eacute;rite de proposer une approche &eacute;conomique et globale, mais qui utilisaient des stress tr&egrave;s mod&eacute;r&eacute;s. les stress-tests r&eacute;alis&eacute;s par des consultants, &agrave; la demande de la Tro&iuml;ka, dans les pays ayant b&eacute;n&eacute;fici&eacute; d'une aide (et en Slov&eacute;nie). Ces consultants ont r&eacute;alis&eacute; un excellent travail, mais ils ont op&eacute;r&eacute; dans un cadre tr&egrave;s contraint par un &laquo; comit&eacute; de pilotage &raquo; institutionnel. Ils se sont concentr&eacute;s sur la seule estimation des provisions et ont laiss&eacute; de c&ocirc;t&eacute; des pans entiers de la solvabilit&eacute; bancaire : calculs des actifs pond&eacute;r&eacute;s du risque, portefeuilles de trading , impact des nouvelles r&eacute;glementations, etc. les revues de portefeuilles cibl&eacute;es (PME en Italie, shipping et immobilier commercial en Allemagne, etc.) r&eacute;alis&eacute;es par certains r&eacute;gulateurs. M&ecirc;me si l'on est tent&eacute; d'accorder un certificat de cr&eacute;dibilit&eacute; &agrave; la BaFin allemande, la transparence &eacute;tait nulle et il est donc difficile de porter un jugement. Comme la plupart des analystes, nous &eacute;tions convaincus que les stress-tests du Comprehensive Assessment seraient proches du mod&egrave;le utilis&eacute; en Espagne en 2012, mais les documents r&eacute;cemment publi&eacute;s nous ont contraints &agrave; revoir notre copie. La m&eacute;thodologie que la BCE et l'EBA se proposent d'adopter est nettement plus ambitieuse. Elle repose sur deux blocs : la revue de qualit&eacute; des actifs et les stress-tests . Revue de qualit&eacute; des actifs Une revue de la qualit&eacute; de portefeuille (AQR &ndash; Asset Quality Review ) est r&eacute;alis&eacute;e par la BCE et une arm&eacute;e de consultants. Selon les premiers retours d'exp&eacute;rience, la quantit&eacute; d'informations exig&eacute;e est proprement ahurissante : pour chaque grande banque, environ 1 million de donn&eacute;es sont transmises et 20 000 dossiers de cr&eacute;dit revus. Si l'on peut douter de la pertinence d'un afflux aussi massif, il est &agrave; peu pr&egrave;s certain que les centaines de millions d'euros ainsi d&eacute;pens&eacute;s en consultants ne le seront pas en vain et l'on doit s'attendre &agrave; des impacts importants, peut-&ecirc;tre plus encore que pour les stress-tests . Si la BCE p&ecirc;chait sur le volet de l'AQR, il semble que cela serait par exc&egrave;s de rigueur ! Les deux enjeux principaux de ce travail sont, d'une part, la reclassification de cr&eacute;ances saines en cr&eacute;ances douteuses (sur la base des nouvelles d&eacute;finitions harmonis&eacute;es de l'EBA) et, d'autre part, l'estimation des taux de provisionnement ad&eacute;quats. Nous pensons que les investisseurs peuvent se faire une id&eacute;e approximative du premier effet &agrave; l'aide des rapports dits &laquo; Pilier 3 &raquo; des banques, qui d&eacute;taillent les expositions par classe de risque. Le second effet est beaucoup plus opaque. Les banques sont, il est vrai, tr&egrave;s avares en donn&eacute;es sur leurs techniques de provisionnement et c'est donc sur ce point qu'une transparence accrue sera d&eacute;cisive. Stress-tests Le portefeuille fera ensuite l'objet d'un stress-test qui sera r&eacute;alis&eacute; &ndash; et c'est une nouveaut&eacute; fondamentale &ndash; par les banques elles-m&ecirc;mes, sous la supervision de l'EBA. On imagine d'abord que confier aux banques le soin de se tester elles-m&ecirc;mes est la garantie qu'elles arriveront au chiffre qu'elles auront choisi, mais la r&eacute;alit&eacute; est plus subtile. Les banques sophistiqu&eacute;es disposent toutes &ndash; c'est une obligation r&eacute;glementaire &ndash; d'une m&eacute;thodologie de stress-tests dont on peut avancer sans grand risque qu'elle est plus robuste que celle utilis&eacute;e jusqu'alors par l'EBA. Mais l&agrave; o&ugrave; l'EBA interviendra et contraindra fortement les banques, c'est en fixant les param&egrave;tres de ces mod&egrave;les. Le test reposera ainsi sur trois piliers principaux, par ordre croissant d'importance : la mod&eacute;lisation du risque de march&eacute; , qui inclura un stress mod&eacute;r&eacute; ( i. e. pas les niveaux de 2011 !) sur la valeur des obligations d'&Eacute;tat incluses dans les portefeuilles d' AFS [4] ). la mod&eacute;lisation de la rentabilit&eacute; op&eacute;rationnelle , qui inclura un stress sur le co&ucirc;t de financement de la banque et l'&eacute;ch&eacute;ance des LTRO. C'est en combinant ces deux facteurs (stress sur les govies [5] et &eacute;ch&eacute;ance de la LTRO) que la BCE entend r&eacute;duire l'effet d'aubaine induit par le fameux carry trade (financement LTRO &agrave; 3 ans, achat de govies de maturit&eacute; inf&eacute;rieure &agrave; 3 ans.) la mod&eacute;lisation du risque de cr&eacute;dit , pour lequel une approche radicalement nouvelle est impos&eacute;e aux banques (voir sch&eacute;ma dans Pour en savoir plus). Pour comprendre la port&eacute;e de ces tests, il faut saisir les diff&eacute;rents concepts : PD Reg et LGD Reg d&eacute;signent respectivement les probabilit&eacute;s de d&eacute;faut et pertes en cas de d&eacute;faut utilis&eacute;es dans les mod&egrave;les r&eacute;glementaires. Il s&rsquo;agit de moyennes sur des cycles longs. LGD Pit et PD Pit d&eacute;signent les m&ecirc;mes grandeurs &laquo; Point in time &raquo;, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; un instant donn&eacute; du cycle &eacute;conomique. En situation normale, elles r&eacute;sultent donc des cr&eacute;ances douteuses effectivement constat&eacute;es par la banque et des provisions correspondantes. Un AQR consiste simplement en un recalcul de LGD Pit et PD Pit (qui deviennent ainsi LGD Pit-AQR et PD Pit-AQR )pour corriger les &eacute;carts de traitements entre anciennes et nouvelles d&eacute;finitions. Au-del&agrave; de l&rsquo;AQR, les stress-tests pratiqu&eacute;s jusque-l&agrave; en Europe reposent sur le calcul de nouvelles provisions potentielles &agrave; l&rsquo;aide de LGD Pit-ST et PD Pit-ST , &agrave; l&rsquo;aide de mod&egrave;les macro&eacute;conomiques simples (par exemple, corr&eacute;lation entre la probabilit&eacute; de d&eacute;faut et le PIB). Une autre approche possible est de recourir aux probabilit&eacute;s de d&eacute;faut calcul&eacute;es par les agences de notation, en utilisant la pire de 10, 20 ou 30 ann&eacute;es. Ainsi, un cr&eacute;dit BBB peut passer d&rsquo;une PD de 0,27 % (moyenne historique) &agrave; 0,57 % (ann&eacute;e 2009). L&rsquo;EBA laissera sans doute aux banques la latitude d&rsquo;utiliser l&rsquo;une ou l&rsquo;autre m&eacute;thode. Les deux grandes nouveaut&eacute;s impos&eacute;es par l&rsquo;EBA sont dans le traitement des cr&eacute;ances saines : d&rsquo;une part, les banques devront calculer la migration des ratings en situation de stress (par exemple les pr&ecirc;ts pass&eacute;s de A &agrave; BBB) et ajuster en cons&eacute;quence la consommation de capital, mais d&rsquo;autre part, et en sus, elles devront ajuster la probabilit&eacute; de d&eacute;faut (PD Reg-ST ) qui est utilis&eacute;e dans le mod&egrave;le de calcul des pond&eacute;rations ! C&rsquo;est donc une quadruple peine qui est impos&eacute;e aux banques : augmentation des portefeuilles de cr&eacute;ances douteuses ; nouvelles cr&eacute;ances douteuses potentielles ; baisse des ratings des cr&eacute;ances saines ; hausse des consommations en capital &agrave; rating donn&eacute;. Nous n&rsquo;avons donc gu&egrave;re de doute : l&rsquo;exercice sera robuste et conservateur. Restent deux interrogations : les plus petites banques auront-elles la capacit&eacute; op&eacute;rationnelle de mener un travail aussi colossal ? comment seront trait&eacute;es les diff&eacute;rences importantes entre les banques qui appliquent la m&eacute;thode interne (sensible aux ratings , donc d&eacute;favoris&eacute;e) ou standard (moins sensible aux ratings , donc favoris&eacute;e) ? &Eacute;carter tout risque syst&eacute;mique Si l&rsquo;exercice repose sur une m&eacute;thodologie cr&eacute;dible et s&rsquo;il r&eacute;pond aux attentes du march&eacute;, existe-t-il un risque qu&rsquo;une d&eacute;faillance impr&eacute;vue conduise &agrave; un nouvel &eacute;pisode de volatilit&eacute; ? Nous pensons que ce risque est tr&egrave;s faible, pour les raisons suivantes. Les banques incluses dans les stress-tests peuvent &ecirc;tre class&eacute;es en cinq cat&eacute;gories : les champions nationaux (BNP, Santander, Intesa, etc.) : ils ne posent pas de probl&egrave;mes, car ils sont solides et passeront les tests ; les banques en cours de restructuration (HSH, Dexia, etc.) ou qui l&rsquo;ont achev&eacute;e (Bankia, etc.) : elles sont d&eacute;sormais totalement isol&eacute;es du secteur financier, ne participent plus au march&eacute; interbancaire et n&rsquo;int&eacute;ressent plus que des investisseurs distressed conscients du risque qu&rsquo;ils prennent ; les petites banques (IKB, Aareal, etc.) : d&eacute;faillance de ces &eacute;tablissements n&rsquo;aurait aucun impact syst&eacute;mique ; les banques qui se retrouvent l&agrave; par hasard (Axa Banque, Vokswagen Financial, etc.) : elles sont hors sujet ; les cas compliqu&eacute;s. La r&eacute;alit&eacute; est donc que, exception faite des cas compliqu&eacute;s, une d&eacute;faillance suite aux stress-tests aurait peu ou prou le m&ecirc;me impact qu&rsquo;a eu, en 2013, le d&eacute;faut des banques espagnoles, la nationalisation de SNS ou le bail-in des banques chypriotes : rien, ou presque. Restent donc les cas compliqu&eacute;s : les banques de taille importante et &agrave; la qualit&eacute; d&rsquo;actifs tr&egrave;s m&eacute;diocre, qui se comptent sur les doigts de la main (Monte dei Paschi, Commerzbank, Raiffeisen, Banco Espirito Santo&hellip;). &Agrave; l&rsquo;exception peut-&ecirc;tre de la banque italienne &ndash; qui pourrait prochainement trouver un nouvel investisseur strat&eacute;gique &ndash;, aucun de ces &eacute;tablissements n&rsquo;est confront&eacute; &agrave; un risque de recapitalisation plus important que ce qu&rsquo;elle pourrait aujourd&rsquo;hui lever sur les march&eacute;s. C&rsquo;est donc plus au risque de dilution qu&rsquo;au risque syst&eacute;mique que les investisseurs sont confront&eacute;s. En tout &eacute;tat de cause, la BCE a d&eacute;montr&eacute; par le pass&eacute; sa volont&eacute; et sa capacit&eacute; &agrave; intervenir vigoureusement en cas de besoin. Tout nous semble donc en place pour que les vertus cathartiques des stress-tests redonnent un nouveau souffle &agrave; l&rsquo;industrie bancaire europ&eacute;enne. 1 Financial Times , 9 f&eacute;vrier 2014. 2 Sondage de march&eacute; r&eacute;alis&eacute; par une grande banque d'investissement aupr&egrave;s de ses clients en f&eacute;vrier. 3 Non Performing Loans . 4 Available for Sale . 5 Obligations souveraines.

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