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La coopération en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption et en matière d’embargos

La coopération internationale opérationnelle en matière de lutte contre le blanchiment

Créé le

12.03.2020

La coopération internationale opérationnelle en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption doit encore se renforcer, même si les instruments procéduraux qui permettent de résoudre de manière globale et rapide des affaires judiciaires constituent déjà un nouvel outil de coopération efficace. La coopération internationale est également sollicitée lorsque des entreprises établies dans d’autres pays font l’objet de sanctions économiques aux États-Unis.

 

Une première remarque est que la coopération internationale apparaît indispensable pour lutter contre le blanchiment et la corruption, dès lors que ces phénomènes de délinquance se caractérisent la plupart du temps par un élément d’extranéité.

Il est donc impossible de lutter efficacement contre le blanchiment et la corruption si les États ne mettent pas en place des mécanismes de coopération permettant aux autorités d’échanger des informations et d’obtenir ainsi des résultats probants.

Une deuxième remarque est que la coopération est indispensable pour rechercher et collecter les preuves qui seront nécessaires pour caractériser les infractions :

– cela concerne moins l’action menée par les régulateurs, dont la vocation première est d’intervenir au plan national ;

– en revanche, les actions menées par les autorités judiciaires peuvent se heurter rapidement à l’existence des frontières et à des freins institutionnels résultant d’une absence d’harmonisation des textes ou d’une mauvaise connexion entre les autorités répressives.

Sur ce point, il est important de relever que la lutte contre le blanchiment d’argent et la lutte contre la corruption s’appuient sur un ensemble de conventions internationales, témoignant d’une volonté commune des États de prendre en compte ces phénomènes criminels à la hauteur des enjeux. Le dernier exemple en date remonte au G7 de Biarritz de 2019, à l’issue duquel les chefs d’État ont délivré une déclaration destinée à rappeler l’importance de la transparence des marchés et de la lutte contre la corruption.

Cette base commune ancienne entre les États a favorisé des avancées significatives ; on peut citer en particulier l’infraction de blanchiment, qui était au départ une infraction spéciale et qui est devenue aujourd’hui une infraction générale. Le Code pénal français est même allé jusqu’à retenir l’infraction de présomption de blanchiment, marquant ainsi la volonté d’un champ de répression plus large et plus efficace.

S’agissant de la corruption, on rappellera bien entendu l’influence déterminante de la Convention de l’OCDE de 1997 qui, après l’application sans concession de la législation américaine FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), a conduit la plupart des États à adopter des standards à peu près communs en la matière.

Mais cette volonté commune de lutter contre le blanchiment et la corruption se traduit-elle par des actes concrets ?

 

Des principes à la pratique de la coopération

Au vu de certains constats, on pourrait penser que cette efficacité est loin d’être acquise :

– en matière de blanchiment, on relèvera notamment la déclaration faite en juillet 2019 par la précédente commissaire européenne à la justice, Véra Jourova, qui estimait que « l’Europe souffre d’un grave problème. Europol estime qu’environ 1 % des richesses de l’Union européenne sont impliquées dans des activités financières suspectes. C’est l’équivalent du budget annuel de l’UE » ;

– en matière de corruption, c’est Transparency International qui relevait dans son dernier rapport que « l’indice de perception de la corruption 2018 montre que la lutte contre la corruption est au point mort dans la plupart des pays ».

Ces constats alarmistes visent à l’évidence à maintenir l’opinion publique en alerte et à augmenter la pression sur les Gouvernements afin qu’ils fournissent encore plus d’efforts pour combattre la grande criminalité financière. Mais ils mettent également en lumière les insuffisances et les failles qui persistent : les pratiques de blanchiment, de plus en plus sophistiquées, sont encore insuffisamment détectées, et la lutte contre les formes variées de corruption, récente, est loin d’être totalement opérationnelle.

Rappelons qu’une coopération judiciaire effective requiert deux éléments essentiels :

– une convergence des normes, voire, dans la mesure du possible, une harmonisation des législations nationales ;

– une circulation fluide de l’information, informelle et officielle, entre les autorités.

 

Des normes antiblanchiment convergentes

En matière de lutte antiblanchiment, l’objectif de convergence semble globalement atteint, grâce notamment aux recommandations du GAFI (Groupe d’action financière) et aux directives européennes successives, qui ont conduit à des progrès importants en terme d’harmonisation. Il existe aujourd’hui un socle de principes généralement partagés au plan international, qui permet de lutter de façon à peu près cohérente contre les phénomènes de blanchiment.

On rappellera au passage que le GAFI prévoit un mécanisme d’évaluation périodique, et qu’à cet égard le dispositif français de lutte antiblanchiment va être évalué en 2020 pendant plusieurs mois afin de relever les progrès effectués depuis la dernière évaluation effectuée en 2011.

Si l’objectif est partiellement atteint, il faut bien admettre qu’il subsiste encore un certain nombre de difficultés, en particulier au niveau européen :

– les directives européennes ne sont pas toujours transposées avec célérité par les États. Ainsi, le 26 juin 2018, date limite de transposition de la quatrième directive contre le blanchiment au sein de l’Union européenne, la Commission européenne avait engagé une procédure d’infraction de non-transposition ou de retard de transposition à l’encontre de 21 États membres ;

– par ailleurs, un certain nombre d’affaires judiciaires qui émergent depuis quelque temps en Europe, touchant en particulier des banques nordiques (Danske Bank, Nordea…) et auxquelles il est reproché de graves défaillances de leurs procédures de contrôle interne, soulignent que d’importants progrès restent à effectuer dans la mise en œuvre des mécanismes de détection du blanchiment d’argent. Ces affaires ont conduit la Commission européenne à réagir, d’une part en critiquant fermement le rôle passif de l’Autorité bancaire européenne, et, d’autre part, pour formuler des propositions énergiques visant à renforcer cette Autorité et à lui donner le pouvoir d’enjoindre aux États membres d’engager des enquêtes[1].

 

L’échange d’informations

Le blanchiment étant la plupart du temps une infraction transnationale à raison des flux financiers qui circulent dans le monde entier, un échange rapide et opérationnel d’informations quant aux transactions suspectes ou illégales est essentiel pour pouvoir initier des enquêtes judiciaires :

– c’est d’abord sur la vigilance imposée aux établissements financiers que repose la détection ;

– les cellules de renseignement financier (TRACFIN en France et ses équivalents étrangers) reçoivent les déclarations de soupçon, échangent rapidement et informellement des informations avec leurs homologues à l’étranger et procèdent aux vérifications nécessaires. Les cellules de renseignements financiers sont regroupées dans le cadre du réseau « Egmont », qui utilise un système d’échanges d’informations cryptées entre agences ;

– au plan policier et judiciaire, Europol permet également de faire circuler de l’information ;

– dans un cadre beaucoup plus formel, les mécanismes de l’entraide judiciaire internationale, plus lents et complexes à mettre en œuvre, permettent de transmettre avec plus ou moins de célérité les éléments de preuve.

Sur un plan moins directement opérationnel, il faut citer également l’existence de nombreux accords internationaux entre les superviseurs et les régulateurs qui permettent dans un cadre précis de faciliter l’assistance réciproque en matière de contrôle de l’exercice du devoir de vigilance par les établissements financiers.

 

Les résultats de la coopération en matière de blanchiment

Certaines affaires françaises et européennes peuvent être citées comme des résultats concrets.

Le premier exemple est la sanction récemment prononcée par le Tribunal de Grande Instance de Paris contre la Banque UBS (février 2019) qui constitue à ce jour la sanction financière la plus importante jamais prononcée en France à l’égard d’un établissement bancaire (3,7 milliards d’euros), pour des faits de blanchiment de fraude fiscale et de démarchages illégaux[2].

On peut également citer la première Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) conclue en novembre 2017 entre le parquet national financier (PNF) et la banque HSBC Private Bank (Suisse), également en matière de blanchiment de fraude fiscale[3]. Il s’agissait de la première CJIP signée et homologuée, qui a permis d’installer cette modalité de résolution dans le paysage judiciaire français.

Les affaires touchant les établissements d’Europe du Nord, évoquées précédemment et non encore conclues, posent de réelles questions de détection du blanchiment par les établissements financiers et les régulateurs. L’existence de problèmes de cette ampleur dans le système bancaire européen rappelle que les dispositifs de prévention antiblanchiment demeurent largement perfectibles malgré les efforts entrepris dans le cadre des directives.

S’y ajoutent des cas de disparition pure et simple d’établissements bancaires pour des raisons liées à des activités illégales de blanchiment : ce fut le cas de la banque maltaise Pilatus, à qui la Banque Centrale Européenne a dû retirer sa licence bancaire en novembre 2018, et de la banque lettone ABLV liquidée en 2018 suite à des accusations du département du trésor américain la même année.

 

En matière de corruption, des échanges opérationnels principalement judiciaires

Comme en matière de lutte antiblanchiment, la lutte anticorruption repose sur un nombre important de normes internationales, dont principalement la Convention de l’OCDE de 1997, qui a, par exemple, permis l’ajout au dispositif répressif français des infractions de corruption d’agent public étranger.

Il faut également prendre en compte dans le paysage normatif de la lutte anticorruption des législations étrangères telles que le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) de 1977 qui a permis aux États-Unis d’imposer ses standards anticorruption à l’étranger en raison de ses dispositions extraterritoriales et d’incarner pendant longtemps la référence internationale en la matière. Cette législation américaine a elle-même conduit à l’adoption de la convention de l’OCDE de 1997[4], puis à l’adaptation d’un certain nombre de législations anticorruption dans le monde, telles que le UK Bribery Act anglais en 2010 ou encore la loi Sapin 2 française en 2016[5].

Alors qu’il existe en matière de lutte contre le blanchiment un échange de renseignements opérationnels effectué par des agences dédiées, ce réseau n’existe pas réellement pour lutter contre la corruption. Si l’on prend l’exemple du nouvel organisme créé par la loi Sapin 2, l’Agence française anticorruption (AFA), celle-ci n’est pas dotée de pouvoirs d’investigation, dès lors que sa mission première est de conseiller les entreprises et contrôler la bonne application du dispositif de prévention des actes de corruption imposé par la loi. L’AFA conclut, certes, des accords de coopération avec certains de ses homologues dans le monde, mais il s’agit avant tout de promouvoir des bonnes pratiques.

Un réseau d’échanges entre autorités administratives ou judiciaires luttant contre la corruption, dit « réseau de Sibenik », a émergé en marge de réunions du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe en 2018.

Il existe également des échanges plus spécifiquement liés à la question de l’intégrité des responsables publics, impliquant en France la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), via le « réseau pour l’intégrité », mais là encore il ne s’agit pas réellement d’échanges opérationnels.

En matière de répression de la corruption, les informations nécessaires aux enquêtes s’échangent par conséquent prioritairement par la voie de l’entraide internationale officielle.

 

La CJIP : un changement majeur dans la coopération internationale anticorruption

À l’instar du Deferred Prosecution Agreement américain (DPA), un nombre croissant de pays (Canada, Royaume-Uni, Singapour…) se sont dotés d’un outil procédural d’accord négocié, instrument efficace de résolution rapide des affaires judiciaires, et en particulier des dossiers de corruption pour lesquels les enquêtes sont particulièrement longues et les procès publics parfois hasardeux en termes de résultat. En France, la loi Sapin 2 de 2016 a ainsi institué la CJIP[6], qui permet désormais aux autorités françaises de mettre un terme à des enquêtes françaises, mais également de participer aux côtés de plusieurs pays à la résolution globale d’enquêtes internationales.

Dans ce nouveau contexte, la coopération internationale devient encore plus essentielle et efficace : il ne s’agit plus seulement de requérir l’assistance d’un pays étranger ou, à l’inverse, de fournir passivement des éléments de preuve à un État requérant ; il s’agit désormais pour l’autorité nationale directement concernée par une investigation initiée à l’étranger d’être en mesure de participer activement à sa résolution judiciaire et d’obtenir à ce titre une part des amendes prononcées. Il en résulte une plus grande efficacité du processus judiciaire à la faveur de résultats plus rapidement obtenus.

Ces procédures prennent de l’ampleur : les autorités de poursuite françaises se sont approprié rapidement ce nouvel outil, et on compte à ce jour sept CJIP [7] pour un montant total de plus d’un milliard d’euros.

Certains exemples récents de résolution globale peuvent être rappelés.

L’affaire spectaculaire de la Société Générale en 2018 s’est soldée par une répartition de l’amende infligée pour corruption à la banque française entre le Parquet national financier français (PNF), d’une part, et le Department of Justice américain (DoJ), d’autre part[8]. Elle a permis pour la première fois de mettre sur un pied d’égalité autorités françaises et américaines, et d’obtenir un partage équitable des sanctions financières prononcées en confiant le monitoring (suivi de la mise en conformité de l’entreprise sanctionnée) à l’AFA nouvellement créée.

Airbus fait de son côté l’objet d’une enquête conjointe pour corruption associant le PNF français et le Serious Fraud Office (SFO) britannique. Le Department of Justice américain a également ouvert une enquête. Il est donc probable que ce dossier se règle dans les mois qui viennent par un deal de justice, en l’occurrence par une CJIP française et des deferred prosecution agreements anglais et américains, qui devraient aboutir à une répartition des amendes ou des sanctions [9].

La société française Technip a, en juin 2019, conclu un accord avec les autorités américaines et brésiliennes. Le PNF mène également une investigation pour corruption à l’encontre de cette société depuis déjà plusieurs années, mais n’a semble-t-il pas été associé à cette résolution internationale.

Enfin, bien que ne s’agissant pas de faits de corruption mais de blanchiment, le dossier UBS, évoqué précédemment, constitue une illustration intéressante de la place que la CJIP va être appelée à prendre dans le paysage français. Pour mémoire, le PNF avait proposé courant 2017, alors qu’une instruction judiciaire pour des faits de blanchiment de fraude fiscale durait depuis plusieurs années, de solder le dossier en signant une CJIP pour une amende de l’ordre de 1 milliard d’euros à l’encontre de la banque. UBS a refusé et, deux ans plus tard, a été condamnée par la juridiction de première instance à 3,7 milliards d’euros d’amende (un appel est en cours).

De façon indirecte, cette décision a donné de la crédibilité à la convention judiciaire d’intérêt public et va probablement inciter à l’avenir des entreprises sous enquête, qu’elle soit nationale ou internationale, à considérer la conclusion d’un accord négocié comme l’une des options de résolution du dossier et comme un moyen utile pouvant lui permettre d’éviter de multiples poursuites à l’étranger pour des faits similaires ou très connexes.

Je voudrais achever ce propos en soulignant que la lutte antiblanchiment et la lutte anticorruption ont désormais ceci en commun que la mise en place de dispositifs de prévention et de détection constitue une obligation essentielle que les entreprises doivent prendre très au sérieux.

En France, aux politiques LCB/FT qui s’imposent depuis plusieurs années aux établissements assujettis aux dispositions du Code monétaire et financier pour lutter efficacement contre le blanchiment et le financement du terrorisme, s’ajoutent désormais les programmes de prévention anticorruption prévus par la loi Sapin 2 de 2016.

Paradoxalement, alors que l’inaction de la France en matière de lutte contre la corruption était régulièrement stigmatisée depuis plusieurs années, celle-ci se retrouve désormais plutôt en avance, alors qu’il reste encore des dispositifs à harmoniser, notamment au sein de l’Union européenne. Afin de pouvoir lutter contre la corruption sur des bases communes, il serait utile de s’inspirer des dispositions de la loi Sapin 2 et de généraliser les obligations préventives de conformité anticorruption à l’ensemble des États européens.

La coopération internationale opérationnelle doit se renforcer. Le parquet européen, qui vient de voir le jour, est conduit pour l’instant à intervenir sur un champ très limité. On ne peut que souhaiter que ses pouvoirs soient renforcés dans un avenir proche afin qu’il puisse enquêter sur le blanchiment et la corruption internationale. Dans cette attente, l’Unité de Coopération Judiciaire EUROJUST devrait pouvoir remplir tout son rôle actuel de coordination des autorités judiciaires nationales en s’impliquant davantage encore sur ces phénomènes criminels.

 

[1] NDLR: cf. notamment Communication de la Commission, «Vers une meilleure mise en œuvre du cadre réglementaire de l’UE en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme», 24 juill. 2019 (COM (2019) 360 final) et Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’évaluation des récents cas présumés de blanchiment de capitaux impliquant des établissements de crédit de l’UE (COM(2019) 373).

 

[2]  NDLR: TGI Paris, 32e ch. correctionnelle, 20 févr. 2019, n° 11055092033.

 

[3]  NDLR: Convention judiciaire d’intérêt public entre le Procureur de la République financier près le TGI de Paris et HSBC Private Bank (Suisse) SA, n°  PNF 11 024 092 018.

 

[4]  NDLR: OCDE, Convention sur la lutte contre la  corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée le 17 déc. 1997 et entrée en vigueur le 15 févr. 1999. Elle a été ratifiée par la France en 2000.

 

[5]  NDLR: Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (JORF n° 0287 du 10 décembre 2016, texte n° 2).

 

[6]  NDLR: art. 41-1-2 C. proc. pén.

 

[7]  La conférence précède les conventions judiciaires d’intérêt public Bank of China (homologuée le 15 janvier 2020), Airbus (homologuée le 31 janvier 2020) et Egis Avia (homologuée le 10 décembre 2019).

 

[8]  NDLR : Cf. ord. de validation du 4 juin 2018 (n° PNF 15- 254 000 424).

 

[9]  Depuis la conférence, des tribunaux français, britannique et américain ont validé, le vendredi 31 janvier 2020, des accords prévoyant des sanctions d’un montant global de 3,6 milliards d’euros.

 

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À retrouver dans la revue
Banque et Droit NºHS- 2020-1
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