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Stabilité financière

Bâle III : « Un accord raisonnable et réaliste dans son calibrage et son calendrier »

Créé le

18.12.2017

-

Mis à jour le

09.01.2018

Nommé sous-gouverneur de la Banque de France en juillet dernier, Denis Beau revient sur les grands enjeux du système financier européen : le Brexit, l’assainissement des bilans bancaires, les risques liés à la digitalisation des services financiers, mais aussi l’accord sur la finalisation de Bâle III.

Que prévoit l’accord trouvé le 7 décembre dernier par le Comité de Bâle ?

Cet accord clôt la réforme du cadre international de supervision des banques qui a commencé en 2009. Il porte sur les méthodes de calcul des risques pondérés auxquels s’appliquent les ratios
de fonds propres. Depuis 2006, les établissements peuvent utiliser des approches standard ou des modèles internes pour ce calcul. L’objectif de la réforme était de réduire la variabilité des résultats, que ce soit entre banques ou entre pays, sans pour autant basculer dans l’uniformisation qui pénaliserait les risques faibles, tout en respectant le cadre fixé par le G20 de ne pas augmenter de manière significative les exigences en fonds propres globales.

Cet accord comprend cinq grandes composantes. Il s’agit tout d’abord de renforcer la robustesse des résultats produits par les modèles internes, avec des dispositions techniques visant à contraindre quelques-uns de leurs paramètres et à supprimer leur utilisation pour certains risques comme le risque opérationnel. Les approches standard sont, elles aussi, renforcées et leur sensibilité aux risques a été accrue. L’accord prévoit par ailleurs l’introduction d’un output floor, c’est-à-dire un plancher en capital, pour limiter le résultat produit par les modèles internes par rapport à celui obtenu avec les approches standard. Son calibrage a été fixé à 72,5 % en 2027. Un autre point important de l’accord touche à la révision de la pondération des activités de marché, incluse dans la FRTB [1] , de sorte à ramener le niveau d’exigence à ce qui était initialement prévu mais que certaines spécifications techniques du précédent texte ne permettaient pas d’assurer. Le dernier pilier de cet accord est le calendrier retenu : ces nouvelles règles devront être mises en œuvre à partir de 2022, avec une montée en charge progressive de l’output floor de 50 % en 2022 à 72,5 % en 2027.

En quoi cet accord marque-t-il la finalisation de Bâle III et non l’avènement de Bâle IV ?

L’accord complète le dispositif existant, en limitant l’impact sur les exigences en fonds propres et en proposant un calendrier long. Ce délai permettra que les éventuelles augmentations des exigences en capital – de l’ordre de 14 à 15 % selon les estimations de l’EBA pour les plus grandes banques de l’Union, sur la base de chiffres fin 2015 figés – soient couvertes par une mise en réserve « normale » de résultats, sans nécessiter une augmentation de capital dédiée pour aucune banque française. L’accord finalise Bâle III et donne aux établissements une visibilité sur leur cadre de régulation à moyen et long terme, sans clause de revue.

Un output floor à 72,5 % n’est-il pas trop élevé ?

Il faut regarder l’ensemble de l’accord et en particulier les travaux de recalibrage de la FRTB. L’accord final peut être considéré comme équitable : un engagement très clair a été pris par toutes les juridictions pour le mettre en œuvre, y compris sur l’aspect « risque de marché ». Il maintient un acquis essentiel : la coopération internationale en matière de stabilité financière. C’est un accord raisonnable et réaliste dans son calibrage et son calendrier. Il préserve un cadre sensible aux risques et un rôle important pour les modèles internes. Même si les conditions de leur utilisation évoluent, c’est un élément de continuité très fort pour les établissements français. Les règles sont désormais stabilisées. C’est un bon accord.

Les négociations du Brexit vont se poursuivre en 2018. Quels doivent être les principaux points d’attention pour la stabilité du système financier ?

Sans préjuger de l’issue des négociations, il est vraisemblable que le Brexit provoque un important mouvement de reflux de l’offre de services financiers en euros vers l’Union européenne. Deux impératifs s’imposent dès lors aux Européens. Il s’agit tout d’abord de s’assurer que ce mouvement ne laisse pas hors de l’Union des activités potentiellement sources de risques systémiques importants. C’est en particulier le cas d’infrastructures de marché comme la compensation par contrepartie centrale. Le second impératif pour l’Europe est de mettre à profit le Brexit pour réduire la fragmentation persistante du système financier de l’euro. Ce doit être un catalyseur pour faire émerger une véritable union de financement pour l’investissement et l’innovation. Des initiatives ont été engagées et le Brexit est l’occasion de les consolider, de les amplifier et de les unifier. Cela suppose en particulier des progrès dans trois domaines : l’achèvement de l’union bancaire, la révision des dispositifs d’incitation aux investissements transfrontières, notamment au plan fiscal et réglementaire, et l’accroissement de l’offre de services d’intermédiation financière pour mieux orienter l’excédent d’épargne européen de 350 milliards d’euros vers des placements longs, en particulier en actions.

La constitution d’établissements bancaires transfrontières est-elle nécessaire pour y parvenir ?

Tout à fait. L’Europe compte un nombre élevé d’établissements de crédit, certes en réduction depuis dix ans, mais les opérations de fusions-acquisitions restent à un niveau faible : on en a recensé une trentaine en 2016 pour un montant de moins de 10 milliards d’euros. Or des consolidations transfrontières, saines et solides, permettraient aux banques de mieux diversifier leurs risques et d’orienter plus efficacement l’épargne vers l’investissement sur l’ensemble de la zone euro. Cela aurait des effets bénéfiques à la fois en termes de stabilité financière et de financement de l’économie.

Quelles mesures peuvent être prises pour encourager ces fusions ?

Un préalable est de recenser l’ensemble des obstacles de nature réglementaire et prudentielle. Cela peut être fait par l’EBA. La supervision des établissements sur une base consolidée au niveau de la zone euro pourrait aussi faciliter de telles opérations. Des dispositions existent déjà, mais il est possible d’aller plus loin.

Ces fusions peuvent-elles se faire entre établissements de grande taille ?

Ce sont les forces de marché qui doivent en décider. L’important est qu’elles se fassent sur des bases saines et solides.

Quels sont les effets notables de l’environnement de taux bas sur les banques ?

Dans ce contexte de taux historiquement bas, les institutions financières françaises ont maintenu des niveaux de performance financière solides grâce aux efforts d’adaptation qu’elles ont menés et qu’elles doivent poursuivre. Le dynamisme des résultats des établissements bancaires est venu de la BFI, de l’assurance, de la gestion d’actifs, ainsi que de la baisse du coût du risque en lien avec l’amélioration de la conjoncture. Leur modèle d’affaires diversifié leur a permis de compenser l’orientation à la baisse des revenus de la banque de détail. Elles devront en outre poursuivre leurs efforts pour améliorer leur performance opérationnelle et réduire leurs coefficients d’exploitation. En effet, le poids des frais de structure contribue à expliquer l’existence persistante d’un écart entre le coût du capital et leur rentabilité financière.

Qu’en est-il pour les assureurs ?

Ils sont confrontés à une baisse tendancielle du rendement de leurs actifs : 3 % en 2016 contre 3,4 % un an plus tôt. Ils ont réagi en adaptant leur modèle d’affaires : baisse des rémunérations servies sur les contrats, gestion plus dynamique des actifs, promotion des contrats en unités de compte, développement de l’offre d’assurance santé et de prévoyance. Ce mouvement doit se poursuivre, en veillant aux risques que ces réorientations peuvent entraîner.

Les banques ont fait face à la baisse des taux notamment par l’augmentation du volume de crédits. Existe-t-il aujourd’hui un risque quant au niveau d’endettement des acteurs en France ?

Depuis la crise, la dynamique de la dette des agents non financiers, d’une manière générale, est soutenue et supérieure à la croissance de l’activité, ce qui est un peu atypique en Europe.
On constate une croissance sensible de l’endettement des ménages par le crédit immobilier qui progressait en septembre de 6 % en glissement annuel. Cela s’accompagne d’un assouplissement des conditions d’octroi, tant en termes d’apport moyen, de taux d’effort, de niveau d’endettement que de maturité des prêts.

Mais l’augmentation de l’endettement est surtout tirée par les grandes entreprises et en particulier les financements en dette qu’elles lèvent sur les marchés. 60 % de la croissance de l’endettement des entreprises est ainsi le fait des plus grandes. Cela va de pair avec une hausse du levier et un allégement des clauses contractuelles, notamment pour les LBO. C’est un phénomène signalé par le Haut conseil de stabilité financière en septembre et de nouveau en décembre dernier. Nous sommes entrés dans la phase haute du cycle financier et il faut faire preuve de vigilance.

Le traitement des prêts non performants doit-il être amélioré en traitant la question individuellement avec chaque banque ou par des règles de portée générale ?

Dix ans après le début de la crise, la réforme du cadre prudentiel a largement porté ses fruits en matière d’assainissement des bilans. Les ratios de solvabilité et de liquidité ont fortement augmenté. Des efforts ont également été engagés sur la qualité des actifs. L’encours des créances douteuses des banques de la zone euro est ainsi passé d’un plus haut de 1 000 milliards d’euros à 800 milliards aujourd’hui, soit un taux de 5,5 %, contre 6,6 % il y a un an. Cette moyenne cache des disparités fortes entre pays. Pour les banques françaises, ce taux est ainsi inférieur à 4 %, alors qu’il est supérieur à 15 % dans un certain nombre d’autres pays. Une trentaine de banques concentrent la moitié du stock de créances douteuses. Le superviseur européen incite individuellement ces établissements à mettre en place des stratégies de réduction à moyen terme. Début octobre, dans un souci de transparence, la BCE – dans son rôle de superviseur – a rendu publiques ses attentes, en se concentrant sur les nouveaux flux de créances douteuses. Ce sont des orientations générales appliquées au cas par cas selon les spécificités de chaque établissement, dans une approche de pilier 2.

Certains ont reproché à la BCE d’avoir outrepassé son rôle en publiant ces exigences. Qu’en pensez-vous ?

C’est la mission des superviseurs de veiller aux plans de réduction des créances douteuses et la BCE était donc dans son rôle. Sa communication ne préjuge pas d’autres initiatives pouvant être prises au plan réglementaire.

La digitalisation des services financiers va croissante. Fait-elle peser de nouveaux risques sur le système ?

La digitalisation est une véritable révolution industrielle pour les institutions financières, avec des opportunités, notamment en termes de services rendus et d’efficacité des process internes, mais aussi avec des risques stratégiques. Tout d’abord, celui de perdre la relation avec leurs clients, la maîtrise des données et finalement, la profitabilité de cette relation. La digitalisation fait également courir aux établissements un risque accru de cyberattaques. À la Banque de France, nous suivons de près ces risques et la manière dont les acteurs concernés y répondent. D’un point de vue général, nous constatons chez eux, quatre axes majeurs de réaction : une réorientation de la culture des entreprises vers l’innovation, une modernisation des systèmes d’information, la dématérialisation de la relation client en particulier par le vecteur du téléphone mobile, et le développement de l’exploitation des données grâce aux nouveaux outils.

De nouveaux acteurs font leur apparition dans la sphère financière du fait de cette digitalisation et de réglementations comme la DSP 2. Que cela change-t-il pour la Banque de France ?

Nous avons toujours eu une approche globale dans le cadre de notre mission sur la sécurité des systèmes et moyens de paiement. Avec la DSP 2, le législateur a voulu favoriser l’entrée de nouveaux acteurs sur ce marché, tout en maintenant un cadre de régulation significatif, d’où la création des statuts d’agrégateurs et d’initiateurs de paiement et l’obligation de mettre en œuvre l’authentification forte. Cette approche nous paraît de nature à concilier modernisation des systèmes de paiement et maîtrise des risques. En matière de paiement, la sécurité est un attribut essentiel, un bien collectif qu’il faut préserver et renforcer. C’est également une des conditions du développement commercial de ces outils. La voie tracée par la DSP 2 est un bon moyen d’y parvenir.

L’ouverture des systèmes poussée par la DSP 2 fait-elle peser un risque de cybersécurité plus particulier ?

Les chaînes de traitement pour réaliser les opérations de paiement se complexifient. Elles impliquent un nombre accru d’acteurs d’origines diverses et une importante dématérialisation des relations. Cela augmente mécaniquement l’exposition au risque de cyberattaques. Or la sécurité du système dépend de son maillon le plus faible. Cela impose des efforts de coordination et de coopération, à la fois entre acteurs et entre juridictions. Il faudra des progrès dans ce domaine dans les prochaines années. En France, nous pouvons nous appuyer sur le groupe de Place dit « Robustesse », animé par la Banque de France et qui réunit les principaux acteurs français pour échanger et mener des tests. Ce type d’initiatives doit être renforcé et étendu à l’échelle européenne et internationale.

Le développement des cryptomonnaies est-il un risque à surveiller ?

Au-delà de la blockchain, qui est une technologie intéressante et que nous testons à la Banque de France, il y a le sujet de ses applications dans le domaine des « cryptomonnaies ». Je préfère utiliser le terme de « cryptoactifs », car ils n’ont pas les attributs d’une monnaie, leur volatilité ne leur permettant pas en particulier de prétendre être une réserve de valeur. Ils n’offrent pas non plus une garantie de remboursement au pair, comme c’est le cas de la monnaie électronique. Ce sont des actifs spéculatifs, soumis à des risques de perte, de fraude, de piratage, de blanchiment… Ceux qui les utilisent le font à leurs propres risques. La Banque de France, l’ACPR et l’AMF lancent régulièrement des appels à la prudence.

Des Bourses américaines ont lancé en décembre les premiers contrats à terme adossés au bitcoin. N’est-ce pas un risque pour la sphère financière traditionnelle ?

À ce jour, les cryptoactifs ne posent pas de problème en termes de stabilité financière car leur diffusion est limitée. Pour ceux qui les utilisent en revanche, il est nécessaire de s’assurer qu’ils ont bien conscience des risques qu’ils encourent. Ce sont des actifs hors du système monétaire classique et qui n’ont pas les attributs pour y être intégrés et reconnus comme tels à ce stade.

Et à plus long terme ?

Plusieurs attitudes sont possibles, entre le laisser-faire et l’interdiction formelle. Il existe sans doute une voie moyenne. Au-delà d’appeler l’attention sur les risques, on peut aussi imaginer les conditions dans lesquelles au moins certains de ces actifs pourraient s’intégrer dans le système régulé. Les réflexions sont en cours.

 

1 Revue fondamentale du portefeuille de négociation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº815
Notes :
1 Revue fondamentale du portefeuille de négociation.