Alors qu’aux États-Unis, les stress-tests sont rapidement parvenus à rassurer les investisseurs, les autorités prudentielles européennes ont manié cet outil avec une efficacité moindre. Les difficultés de l’EBA s’expliquent en partie par le contexte délicat de la crise de la zone euro.
Les banques sont confrontées à une double exigence qui, dans les périodes de forte instabilité, s’avère particulièrement difficile à assumer :
En raison de ces facteurs d’incertitudes, le diagnostic relatif à la santé des banques s’avère délicat : il ne peut pas entièrement reposer sur la seule analyse des performances passées et doit inclure des données prévisionnelles [2].
En raison d’une certaine opacité des bilans bancaires, sans doute accentuée en temps de crise, et de la vulnérabilité des banques à des chocs exogènes dont la nature et l’ampleur sont mal connues, les stress-tests permettent, pour autant qu’ils soient crédibles et rendus publics, de réduire ces incertitudes. En effet, ces exercices permettent non seulement de révéler les fragilités des banques à un ou plusieurs scénarios de stress, mais aussi, pour autant qu’ils concernent un nombre important de banques, de mettre à jour certains risques systémiques. En résumé, des stress-tests bien calibrés et, bien entendu, assortis des mesures correctrices nécessaires [3], peuvent contribuer au renforcement de la santé financière des banques et conforter la confiance des acteurs économiques et des marchés, ces deux effets se renforçant mutuellement.
Ainsi, depuis le déclenchement de la crise en 2007, les nombreuses incertitudes concernant la santé réelle des établissements bancaires tant européens qu'américains – qu’il s’agisse de leur situation présente ou future –, ont conduit naturellement à une utilisation accrue des outils de stress-test par les banques elles-mêmes et par le secteur officiel chargé de leur surveillance et de leur soutien. Les stress-tests ont permis aux banques et aux pouvoirs publics – gouvernements, banques centrales, superviseurs bancaires, institutions internationales (FMI, par exemple) – de dimensionner les risques et les zones de vulnérabilité, sur la base d’un diagnostic documenté, et de mettre en place des réponses adaptées aux chocs potentiels (voir infra).
En dépit des efforts de transparence et des mesures prises, notamment en Europe, les marchés financiers n’ont toujours pas retrouvé des conditions normales de fonctionnement, signe que des doutes persistent quant à la capacité de certains acteurs de faire face aux turbulences à venir et, en particulier, à la crise de la dette souveraine.
À l’évidence, la qualité des stress-tests est essentielle – mais non suffisante – à la mise en œuvre d’une réponse crédible aux tensions que connaissent actuellement les banques et plus généralement les systèmes bancaires en Europe. Le jugement porté par les marchés et les observateurs sur les nombreux stress-tests réalisés depuis 2009 par les autorités publiques est assez contrasté. La démarche adoptée par les autorités américaines (Federal Reserve Board, FDIC, OCC, US Treasury) a été jugée plutôt positivement, alors que le processus européen, piloté sous l’égide du superviseur bancaire européen (Committee of European Banking Supervisors – CEBS –, désormais EBA [4]) en collaboration avec les superviseurs nationaux, a été critiqué, parfois de façon excessive.
Stress-tests américains : une démarche offensive
En février 2009, au moment où les autorités américaines ont annoncé la conduite d’un [5] concernant simultanément 19 Bank Holding Companies (BHC) ayant chacune d’entre elles un total de bilan supérieur à 100 milliards de dollars et représentant ensemble environ les deux tiers du système bancaire américain, de nombreuses mesures avaient déjà été prises pour stabiliser un système ayant subi le contrecoup de la faillite de Lehman-Brothers quelques mois plus tôt (septembre 2008). En effet, dès 2008, la Réserve Fédérale avait mis en place plusieurs mécanismes de soutien en liquidité [6], le recours à ses facilités habituelles s’étant révélé inadapté face à une crise d’une ampleur systémique. Par ailleurs, le Congrès américain avait approuvé un programme de soutien massif en capital [7], non seulement en faveur des banques – 707 d’entre elles ont bénéficié d’une injection de fonds propres d’un montant total de 205 milliards de dollars –, mais aussi d’entreprises n'appartenant pas au secteur bancaire (AIG , GM, Chrysler).
En dépit de ces efforts massifs de soutien en liquidité et en fonds propres, les autorités américaines ont néanmoins estimé nécessaire de conduire un exercice de stress-tests (Supervisory Capital Assessment Program – SCAP). Son objectif principal était de « produire de l’information » en vue de dissiper les incertitudes sur la viabilité des institutions bancaires systémiques. La production d’information visait à réduire le coût du soutien public, les investisseurs étant rassurés sur la situation réelle des banques et, ce faisant, moins enclins à leur refuser des financements et/ou à leur faire payer des primes de risque élevées.
Dans le scénario réputé le pire, les 19 BHC enregistraient des pertes de l’ordre de 600 milliards de dollars qu'elles étaient en mesure d’absorber pour autant que 75 milliards de capital fussent injectés dans dix d’entre elles, ce qui a été fait.
Le SCAP a été jugé crédible par les acteurs de marché en raison d’un ensemble de facteurs dont le poids respectif est sans doute difficile à départir. On peut néanmoins tenter d’en établir une liste :
L’année suivante, en 2010, les autorités américaines n’ont pas estimé nécessaire de réitérer [8] un exercice de stress-test public, considérant que le SCAP de 2009 avait été motivé par des circonstances particulières.
Les autorités américaines ont naturellement continué à procéder à l’évaluation du capital des BHC, celles-ci devant dorénavant soumettre, annuellement, leur plan en matière de fonds propres (CCAR [9]) à un horizon de 2 ans, qui intègre trois scénarios de stress. Contrairement au SCAP, les résultats individuels des CCAR n’ont pas vocation à être publiés.
La recrudescence des risques et des vulnérabilités en 2011 est sans doute à l’origine de la décision des autorités américaines [10] de conduire en 2012 un exercice de stress-tests publics semblable à celui de 2009 ; aux 19 BHC s’ajouteront 12 entités supplémentaires dont le bilan excède 50 milliards de dollars. Pour les 6 BHC les plus importantes, l’exercice intégrera un stress-test important sur les souverains et secteurs financiers européens. Les résultats de cet exercice seront rendus publics, sans doute au premier semestre 2012. La sévérité avec laquelle les « risques européens » seront mesurés ne manquera pas de susciter un grand intérêt, y compris pour les autorités prudentielles européennes.
Stress-tests européens : une approche plus défensive
Quelques jours à peine après la publication des résultats des stress-tests (SCAP) effectués aux États-Unis (7 mai 2009) l'EBA publiait un communiqué de presse [11] annonçant que des stress-tests étaient conduits par les superviseurs bancaires nationaux dans le cadre de leur activité régulière de supervision. Ceux-ci n’avaient pas pour objet d’identifier les banques sous-capitalisées mais d’évaluer la résistance des systèmes bancaires européens à un certain nombre de chocs. Le communiqué de presse concluait en indiquant que les résultats de ces travaux seraient confidentiels, ce qui n’était pas illogique s’agissant d’analyses individuelles que les superviseurs n’ont pas vocation à publier.
Cette attitude empreinte de réserve, qui contrastait avec la transparence qui avait prévalu outre-Atlantique, a pu peser sur certains jugements critiques portés sur les travaux de l’EBA. Il faut constater que les superviseurs européens n’ont adhéré à un objectif de transparence que progressivement. En effet, alors que les résultats de l’exercice de 2009 devaient être confidentiels, des informations agrégées ont néanmoins été publiées en octobre 2009. Ces informations, qui faisaient état d’un montant assez élevé de pertes estimées – de l'ordre de 400 milliards d'euros –, mettaient l’accent sur le fait qu’aucune banque n’affichait un ratio Tier 1 inférieur à 6 % dans le scénario le pire (« adverse ») et, en conséquence, que les banques européennes étaient convenablement capitalisées [12] pour faire face aux chocs.
Il faudra attendre juillet 2010 pour que le superviseur européen publie des stress-tests détaillés banque par banque, portant sur un échantillon plus large d’établissements (91 contre 26 pour l’exercice de 2009) et couvrant environ 60 % des actifs du système bancaire européen. Le montant des pertes estimées s’élevait à 566 milliards d'euros.
Les résultats de ce premier exercice public ont néanmoins suscité plusieurs critiques. D’une part, seulement 7 banques (dont 5 espagnoles) affichaient un ratio Tier 1 inférieur à 6 % et, d’autre part, l’insuffisance de fonds propres était limitée à un montant modeste de 3,4 milliards d'euros. Dans un contexte de forte turbulence des marchés, ces résultats sont apparus en quelque sorte décalés par rapport aux estimations des marchés. Par ailleurs, les observateurs ont critiqué la méthode retenue pour estimer les pertes afférentes aux dettes souveraines, le stress-test étant pour l’essentiel limité aux expositions détenues dans le trading book, celles comptabilisées dans le banking book étant certes prises en compte, mais de façon indirecte. Enfin, les graves difficultés rencontrées par le système bancaire irlandais quelques semaines après la publication des résultats ont sans conteste contribué à entamer la crédibilité de ces stress-tests, les banques irlandaises [13] n’ayant pas été pointées du doigt.
Le deuxième stress-test (2011) a été marqué par un souci de très grande transparence. Les investisseurs ont eu accès à une information très détaillée [14] sur les expositions des banques, y compris leurs risques sur les souverains.
Cet exercice a néanmoins pâti de l’accentuation de la crise de la dette souveraine. Premièrement, l’EBA a été conduit, assez tardivement en 2011, à modifier la notice méthodologique en vue de stresser les expositions souveraines dans le banking book de façon plus conservatrice. Deuxièmement, les résultats publiés en juillet 2011 ont été de facto remis en cause dès le mois d’août : en effet, selon les résultats du stress-test, 8 banques ne dépassaient pas le seuil minimum de 5 % de fonds propres durs (« Core tier 1 ») pour une insuffisance de fonds propres limitée à 2,5 milliards d'euros ; or, quelques semaines plus tard, le FMI [15] considérait qu’il y avait urgence à procéder à une augmentation substantielle du capital dans les banques européennes, si nécessaire en ayant recours au FESF [16].
Si, dans un premier temps, les autorités européennes ont fortement contesté ce diagnostic, l’Union européenne a jugé nécessaire de mettre en œuvre des mesures visant à rétablir la confiance dans le système bancaire européen, compte tenu de l’accentuation de la crise souveraine. L’exercice de stress-tests, bien qu’utile, a été complété par un plan de recapitalisation [17] qui fait ressortir un besoin en fonds propres de 114,4 milliards d'euros estimé sur la base d’une approche différente – un Capital Exercise – qui n’incluait pas des scénarios de stress. Ce montant de 114 milliards [18] d'euros n’est donc pas directement comparable aux estimations précédentes.
Le renforcement des fonds propres provient :
Au total, le déficit de crédibilité dont ont pu pâtir les exercices de stress-test en Europe peut être attribué aux facteurs suivants :
Ces critiques doivent être tempérées, dans la mesure où le processus européen a fortement pâti, depuis 2009, d’une dégradation continue de la situation des souverains en Europe dont le risque est difficile à refléter dans le cadre des stress-tests. À cet égard, il convient de noter que les autorités américaines n’ont pas été confrontées à cette difficulté.
On remarquera enfin qu’après avoir subi des critiques concernant le manque de sévérité des hypothèses de stress sur les expositions souveraines, l’EBA est aujourd’hui pointée du doigt pour avoir imposé des contraintes en capital trop exigeantes, qui au demeurant ne se traduiront pas forcément par une augmentation des fonds propres. En effet, les exigences en capital ont été formulées en termes de ratio (9 %) et non de capital. Ainsi, le respect de ces exigences a conduit les banques à optimiser au mieux le calcul des risques pondérés et à un mouvement de deleveraging que la Banque Centrale Européenne s’efforce de contenir avec ses mesures de soutien en liquidité.
Une transparence délicate à manier
La publication des stress-tests est une entorse à la confidentialité qui préside habituellement aux travaux des superviseurs. Dans des circonstances normales, ils exercent naturellement leurs responsabilités à l’abri des regards. Mais il est des circonstances exceptionnelles, dans lesquelles la publication d’informations, en particulier sur les résultats des stress-tests, devient un instrument indispensable de gestion de crise, sous la condition que l’exercice soit perçu comme crédible. Rétablir la confiance devient un objectif primordial, ce qui requiert une grande transparence et donc la publication d’informations banque par banque. À cet égard, il faut aussi admettre qu’il n’existe pas de recette idéale et que la transparence, en elle-même, est un outil de communication difficile à manier. Les investisseurs sont notamment très attentifs au réalisme des hypothèses des stress-tests. Les hypothèses afférentes au risque souverain [19], lequel présente des caractéristiques très particulières, pourront être considérées comme insuffisamment sévères, ou à l’inverse excessives, voire tout simplement non pertinentes.
En tout état de cause, dans une période toujours troublée, les marchés continuent à s’interroger sur la santé des banques et mettent une pression à la fois sur ces dernières et sur les pouvoirs publics pour obtenir une information détaillée. Nul doute que les autorités prudentielles, tant européennes qu’américaines, continueront de conduire et publier les résultats de leurs stress-tests.
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