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Retraite et pénibilité du travail de louables intentions, mais…

Créé le

12.07.2010

-

Mis à jour le

19.09.2014

Le gouvernement a annoncé dans les grandes orientations pour la réforme des retraites, rendues publiques à la mi-mai, son intention de prendre en compte l’usure physique liée à des conditions de travail pénible. Les organisations syndicales réclament pour leur part que le fait d’avoir exercé certains métiers « pénibles » entraîne automatiquement une bonification des droits à la retraite et permette un départ anticipé à la retraite. Au-delà des questions financières, un dispositif reliant pénibilité du travail et retraite pose de redoutables difficultés, qui a déjà fait l’objet de négociations infructueuses entre les organisations patronales et syndicales.

  • Relier pénibilité du travail et espérance de vie ne va pas de soi car la pénibilité du travail n’est qu’un élément aujourd’hui plutôt secondaire des déterminants de l’espérance de vie. Le premier est sans conteste le sexe. Le second est le mode de vie (consommation d’alcool ou de tabac, type d’alimentation, attitude par rapport au risque, pratique du sport…). Tous ces facteurs se combinent et il est impossible de faire la part de l’un ou de l’autre. Ainsi, si les cadres vivent, en moyenne, plus vieux que les ouvriers, les conditions de travail ne sont pas seules en cause. par exemple, une femme ouvrière a une espérance de vie supérieure à celle d’un homme cadre.
  • Si l’on considère que l’espérance de vie peut déterminer l’âge de départ à la retraite, il n’y aurait aucune raison de ne pas prendre en compte également le sexe, et pourquoi pas, l’état de santé voire la prédisposition génétique. Tout cela ne pourrait donc qu’aboutir à détruire les dispositifs d’assurance vieillesse qui sont fondés sur une mutualisation du risque.
  • La pénibilité du travail est, dans nos pays et de nos jours, une notion très relative. La grande majorité des salariés considère qu’ils ont des facteurs de pénibilité dans leur travail. La définition de métiers et même de tâches pénibles sera toujours considérée comme contestable. Si le métier de maçon est considéré comme pénible, tous les salariés du bâtiment (couvreurs, charpentiers, terrassiers, plâtriers…) réclameront le même avantage et que dire des employés du nettoyage, des salariés des services à la personne ou de la restauration… Les professionnels du tertiaire supérieur (banque, assurance, conseil…) pourront aussi faire valoir la pénibilité mentale et les risques psychosociaux.
  • L’expérience des régimes spéciaux de retraite, fondés à l’origine sur la notion de pénibilité du travail, montre que les avantages accordés ne peuvent plus être remis en cause même si les conditions réelles d’exercice des métiers changent complètement.
  • La reconnaissance de droits à retraite liés à la pénibilité pose de redoutables questions de preuve. Comment un salarié peut-il établir qu’il a exercé effectivement des tâches pénibles il y a dix, vingt, trente ou quarante ans alors que souvent l’entreprise aura disparu ? L’expérience du régime dit des « carrières longues » montre que les risques de fraude sont importants.
  • Attribuer un avantage de retraite pour des travaux pénibles va à l’encontre de l’amélioration des conditions de travail et favorise le maintien des salariés à des postes pénibles. Les employeurs pourront parfois considérer que l’avantage donné au salarié les libère de faire des efforts pour améliorer les conditions de travail et certains salariés souhaiteront continuer à effectuer ces travaux pour ne pas perdre leur avantage en matière de retraite.
Au total, relier pénibilité du travail et droits à la retraite présente des inconvénients majeurs. C’est pourquoi il n’a pas été mis en place dans aucun des pays européens. La sagesse devrait donc conduire à renoncer à donner des avantages vieillesse liés à la pénibilité et consacrer les sommes ainsi préservées à l’amélioration des conditions de travail dans les entreprises. Des engagements concrets pourraient être demandés aux entreprises, en particulier celles qui ont des taux d’accidents du travail ou de maladies professionnelles élevés. Comme des promesses ont été faites dans le cadre de la réforme des retraites, le moindre mal serait sans doute de permettre aux personnes présentant des traces réelles d’usure dues à des conditions de travail pénibles d’être exemptées de l’élévation de l’âge de la retraite. Des exemptions individuelles et non pas collectives peuvent seules limiter le risque d’un dérapage général.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº726