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Tarification

Le « pricing » dans la banque, un modèle à revoir

Créé le

10.09.2020

Le principal enjeu des banques pour les années à venir sera de réorganiser leur processus de formation des prix, pour que le positionnement tarifaire de chaque établissement traduise parfaitement ses valeurs et ses objectifs sur son marché ainsi que la valeur des produits et services qu’il propose à sa clientèle.

Les entreprises ont depuis longtemps pris conscience de l’importance de contrôler et d’optimiser leurs achats et leurs coûts. À partir des années 1980, les entreprises se sont dotées de ressources et d’approches dédiées à la poursuite d’économies des charges. Aujourd’hui, l’approche de maîtrise des coûts s’est généralisée dans tous les secteurs d’activité, secteur bancaire inclus. Il en va différemment en ce qui concerne le « pricing » dans la banque.

Généralement, trois facteurs essentiels permettent de former le prix :

– le niveau des coûts. La caractéristique immatérielle d’un produit ou d’un service bancaire étant ce qu’elle est, il est difficile pour une banque d’en déterminer les coûts individuels et, en tant que conséquence, leur prix ;

– le prix que le client est prêt à payer, autrement dit, la valeur perçue (value-to-customer), soit la volonté de payer en fonction du niveau de performance du produit/service et son aptitude à bien répondre aux besoins et attentes du client. Ce facteur est malheureusement peu analysé par les banques, et donc peu pris en compte. Les banques se livrent rarement à des études auprès de leurs clients pour mesurer la valeur perçue de leurs produits et services. À l’inverse de nombreux autres secteurs, elles ont rarement recours à des tests d’acceptabilité et à la recherche quantitative et qualitative ;

– les conditions de marché, à savoir notamment la concurrence et les contraintes réglementaires. Sans aucun doute, ces leviers sont aujourd’hui essentiels à la formation du prix des produits et services bancaires, tant le secteur bancaire est réglementé et l’analyse concurrentielle est prégnante dans la formation du prix. Les banques se doivent d’abord de respecter les contraintes réglementaires qui impactent souvent la formation ou l’évolution des prix de leurs produits et services. Ensuite, les banques tarifient les produits ou services non réglementés, après avoir examiné attentivement les tarifs affichés de leurs concurrentes ainsi que les résultats des enquêtes des associations des consommateurs et des comparateurs en ligne (qui pourtant influencent peu le consommateur). C’est souvent ainsi que les banques forment ou font évoluer les prix de leurs produits et services.

Les failles de la tarification bancaire

Si certains secteurs ont développé des systèmes de tarification dynamique entièrement adossés à l’évolution de la demande – par exemple le « Yield (ou Revenue) Management » dans l’hôtellerie et le transport aérien [1] – ou du risque (par exemple dans l’assurance), le secteur bancaire doit encore faire évoluer son approche de tarification, notamment en relation avec la valeur perçue.

Les banques, parce qu’incontournables, ont longtemps fonctionné en vendant des produits (épargne, crédit) à forte marge. Aujourd’hui, les marges de ces produits sont fortement attaquées et les banques ne sont plus incontournables. Pour remédier à cette situation, elles ont peu à peu activé le levier de la tarification des services. Hélas, les actions menées sur la tarification par les banques (traditionnelles) sont rarement le fruit d’une stratégie globale mais plutôt d’évolutions tarifaires sorties de leur contexte d’ensemble, de pratiques annuelles d’indexation ou de réactions au positionnement agressif des nouveaux entrants (notamment néobanques et FinTechs). De manière générale, faire coïncider la valeur perçue par le client et le prix est essentiel et doit passer par le biais d’une stratégie commerciale et de communication adaptée. La tarification bancaire n’a pas encore bénéficié d’une telle approche, en grande partie par le manque de vision d’ensemble sur les leviers liés au prix.

De par ses caractéristiques intrinsèques de marché fermé, réglementé et complexe, le secteur bancaire bénéficie d’une position privilégiée qui peut, au moins en partie, justifier son retard sur des approches de pricing calibrées sur la valeur client, par exemple. En effet, cette position de force d’un côté et la relation de dépendance et d’infériorité des consommateurs à l’égard de leur banque de l’autre ont permis une certaine liberté tarifaire du secteur et encouragé un manque avéré de lisibilité et de transparence. Pendant longtemps et encore maintenant, les jeunes ont ouvert leur premier compte bancaire dans le même établissement que celui de leurs parents et le prix demeure un facteur secondaire de choix de la banque par rapport à celui de la proximité. L’ouverture de compte ou le changement de banque sont aussi souvent liés (par choix ou par contrainte) à la souscription d’un prêt immobilier. La récente loi sur la « mobilité bancaire », bien qu’a priori en faveur des consommateurs, n’a pas encore produit les effets escomptés. Selon une étude menée par le cabinet Bain & Company, la part des clients ayant changé de banque principale a atteint 5,5 % en 201 (elle était de 4,8 % en 2018 et 2,5 % en 2014). Parmi les principaux facteurs motivant le changement de banque : la qualité du service jugée insuffisante et des tarifs trop élevés.

Les effets de la révolution digitale

La « révolution digitale » et l’apparition des banques en ligne, néobanques et FinTechs, ont bouleversé le panorama bancaire et entrainé les acteurs traditionnels dans un processus d’évolution de l’offre de produits/services, des canaux d’utilisation et de communication clients. Les modèles de pricing « moderne » de ces nouveaux acteurs sont calqués sur les tendances de consommation actuelles, avec une forte composante de gratuité ou du « freemium » (modèle lancé par l’industrie des logiciels et aujourd’hui largement repris par d’autres industries comme les jeux informatiques, « free-to-play »). Ces modèles ont commencé à percer ces dernières années, dans le secteur bancaire, grâce aussi à des stratégies de communication et de conquête très agressives et commencent à influencer les grands groupes bancaires traditionnels. Selon nos estimations, ces nouveaux players représentent désormais plus de 10 % du marché bancaire français (6,5 % en 2017 selon l’étude de l’ACPR) et surtout un taux de conquête client annuel de 30 % (2017), de quoi faire réagir les « banques traditionnelles ». La percée de ces modèles a comme conséquence d’anéantir la perception de valeur des services bancaires de base (compte courant et moyens de paiement entre autres) en dépit d’efforts d’innovation et de valeur client non négligeables déployés par le secteur (virements instantanés, paiement sans contact).

Parallèlement à l’intensification de la concurrence, on observe également une attention grandissante du régulateur à l’évolution des frais bancaires et en général aux prix du secteur bancaire. L’intervention du régulateur s’explique à la fois par la volonté de freiner des dérives (ou jugées telles) tarifaires, (cf. le plafonnement des prix de la commission d’intervention ou des frais de tenue de compte d’inactivité), et par l’incapacité du secteur bancaire à s’auto-réguler dans un contexte économique et social en grande mutation (cf. le gel des tarifs en réponse au mouvement des gilets jaunes). Même si les critiques portées à l’encontre des banques ne sont pas toujours justifiées, le manque de lisibilité et de pédagogie ainsi que certains abus, notamment ceux des commissions pénalisantes, ont érodé l’image de la banque et renforcé, chez les clients, le sentiment d’un manque de transparence de l’offre bancaire.

La centricité client pour une identité tarifaire reconnue

Les banques traditionnelles commencent à comprendre l’importance et l’enjeu du rôle du pricing mais peinent à en extraire de la valeur du fait de nombreux freins internes (poids de l’histoire, difficulté à mesurer les coûts induits, problèmes organisationnels et culturels, complexité et étendue de l’offre…).

Une solution à ce problème est de définir une stratégie tarifaire au plus haut niveau qui reflète bien les intentions stratégiques de la banque, traduise dans la formation des prix le positionnement de marché qu’elle souhaite avoir et communiquer à ses clients et prospects. Autrement dit, le positionnement tarifaire de la banque doit parfaitement traduire ses valeurs et ses objectifs sur son marché ainsi que la valeur des produits et services qu’elle propose à sa clientèle. La banque doit s’efforcer de construire une identité tarifaire reconnue à travers un positionnement clair et précis et des stratégies adaptées pour chaque cible de clients et de prospects. Il est important que la banque challenge son positionnement tarifaire au regard des options stratégiques qu’elle a formulées, afin d’en assurer la cohérence. Construire une identité tarifaire reconnue, c’est :

– définir un positionnement tarifaire clair. Cela ne concerne pas seulement les prix eux-mêmes mais la manière dont le prix appuie et traduit la stratégie de la banque. Plus la vision est claire, plus la communication aux clients et aux employés est cohérente et efficace ;

– assurer la transparence et la lisibilité des offres et de leurs prix. C’est le véritable point faible des brochures tarifaires aujourd’hui, qui en moyenne comptent plus de 200 lignes de prix, des offres et promotions parfois incompréhensibles qui finissent par générer beaucoup de confusion dans l’esprit des clients ;

– mettre en œuvre une communication à la clientèle qui valorise l’identité tarifaire en termes de réponses aux besoins des clients et de promesse de prix. Il s’agit de positionner le curseur sur la « centricité client » et identifier les besoins clés comme la simplicité, la réactivité et le niveau de service ;

– remettre en cause les pratiques incohérentes avec le positionnement et la stratégie de la banque. L’enquête annuelle sur la tarification bancaire réalisée par CLCV (2020) révèle, par exemple, le manque d’intérêt des clients à la souscription d’un package souvent plus cher que l’offre « à la carte ».

Souvent ces quatre dimensions sont considérées de manière isolée. L’enjeu principal – et la difficulté – est donc de les intégrer avec cohérence pour construire l’identité tarifaire de la banque. Concrètement, il s’agit tout d’abord de définir la stratégie d’entreprise à travers un positionnement clair et précis de la banque sur son marché. Un état des lieux des processus et pratiques courantes doit ensuite être dressé afin de les challenger et de les mettre en cohérence avec le positionnement. Les propositions d’offres de produits et de services doivent être adaptées aux cibles et segments de clientèle auxquelles elles s’adressent. Il faut enfin construire une communication efficace qui repose sur la pédagogie, la transparence et la clarté à la fois à l’égard des clients, mais aussi des employés, et notamment des conseillers en charge de la relation avec les clients.

Une rentabilité améliorée de la relation client

En conclusion, le principal enjeu des banques pour les années à venir sera certainement de réorganiser leur processus de formation des prix, à partir de leurs objectifs stratégiques pour mieux les décliner jusque dans les étapes de contrôle et de suivi et d’en déduire la formulation d’une identité tarifaire, reflet de leur stratégie et de leurs valeurs. La combinaison des deux permettra de mieux répondre aux attentes et besoins de valeur perçue des clients et de contribuer à une rentabilité améliorée de la relation client. En fin de compte, des facteurs qui déterminent le résultat économique de la banque, le prix est le levier dont l’impact est l’un des plus importants mais aussi celui qui est aujourd’hui le moins bien travaillé.

 

1 Politique de tarification dynamique de fixation du prix qui évolue en fonction du client et du moment de la transaction, pour maximiser le profit généré par la vente du produit ou service. Cette technique est particulièrement utilisée par les entreprises ayant des coûts et des capacités fixes, et commercialisant des services non stockables, par exemple dans le secteur de l’hôtellerie et le transport aérien.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº848
Notes :
1 Politique de tarification dynamique de fixation du prix qui évolue en fonction du client et du moment de la transaction, pour maximiser le profit généré par la vente du produit ou service. Cette technique est particulièrement utilisée par les entreprises ayant des coûts et des capacités fixes, et commercialisant des services non stockables, par exemple dans le secteur de l’hôtellerie et le transport aérien.