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Plans à moyen terme des banques françaises : la prudence l’emporte

Créé le

10.04.2014

-

Mis à jour le

02.06.2014

Dans la présentation récente de leur plan de développement à moyen terme, Crédit Agricole, BNP Paribas et Société Générale affichent la même prudence, même si leurs parcours respectifs devraient être beaucoup plus différenciés que par le passé.

Crédit Agricole, BNP Paribas (ci-après BNPP) et Société Générale ont récemment présenté leurs plans pour la période 2014-2016. Leur analyse permet d’apprécier la façon dont les grandes banques françaises vont s’adapter à un environnement complexe et en pleine transformation.

Si les grandes banques sont prudentes dans leur approche des trois années à venir, dans le même temps, transparaît clairement la volonté de préparer la banque de demain. La question qui se pose alors est celle du rythme de la transformation.

Une réduction des stratégies possibles

Que la prudence l’emporte ne constitue pas une surprise. Les banques doivent intégrer la multitude des changements réglementaires intervenus au cours des deux dernières années. Après une phase de mise en œuvre de ces nouvelles règles vient le temps de l’adaptation du modèle économique des banques. Cette adaptation n’est pas achevée.

Si les banques respectent à présent les nouveaux ratios de solvabilité, elles ont encore à intégrer le ratio de liquidité à long terme dont le mode de calcul n’est pas encore totalement stabilisé, ainsi que le ratio de levier de 3 %. Cette dernière exigence a pour effet de pousser, toutes choses égales par ailleurs, à une contraction « mécanique » des crédits distribués.

La reprise très progressive qui est anticipée en Europe limite considérablement le champ des stratégies possibles. En effet, il est en effet difficile d’envisager des opérations de fusion ou acquisition de grande ampleur dans des économies dont la croissance est limitée à 1 % par an. Les synergies comme les perspectives de développement ne sont pas suffisantes pour justifier l’appétit des acquéreurs et l’intérêt des vendeurs.

Dès lors, les deux orientations qui subsistent sont :

  • la cession des activités qualifiées de non core, même si la définition de cette notion est rarement explicitée ;
  • l’optimisation des dispositifs en place, qui se traduit à la fois par une politique volontariste de progression des revenus et par des plans de réduction des charges.

La pertinence du modèle de banque universelle

Les banques soulignent aussi la pertinence du modèle de la banque universelle. La diversification des activités a permis de résister à une succession de crises majeures, mais le même mot ne recouvre pas la même réalité.

Crédit Agricole est un acteur majeur de la banque de détail en France, avec plus de 25 % de part de marché, parfois plus dans certaines activités, alors que BNPP  et Société Générale se situent dans la zone des 10 %. En revanche, BNPP dispose de belles franchises en Europe, notamment en Belgique et au Luxembourg, et Société Générale est très présente en Europe de l’Est et particulièrement en Russie. La stabilisation du marché italien devrait profiter au Crédit Agricole puis à BNP Paribas, Cariparma présente en effet de meilleures performances que BNL. BNPP pourrait bénéficier du dynamisme de l’économie américaine avec BancWest. La trajectoire de la banque de détail à l’international de la Société Générale est plus incertaine dans la mesure où elle est localisée en dehors de la zone euro pour une large part. Ces différences dans les marchés adressés par les trois banques devraient conduire à des écarts dans le taux de croissance du produit net bancaire plus marqués que par le passé.

BNPP dispose d’une banque de financement et d’investissement puissante dans laquelle elle n’a cessé d’investir. L'orientation récente d'un développement en Asie fait sens s’il s’agit d’une option de long terme. Il n’en est pas de même pour le Crédit Agricole, qui a cédé ses brokers et arrêté l’essentiel de ses activités sur produits dérivés actions ou complexes. Malgré cela, des ambitions fortes sont affichées en termes de revenus. La Société Générale devrait conserver ses positions  sur le marché des actions et profiter de la dynamique de ce marché, au moins en début de période. Le produit net bancaire de la BFI des banques françaises a beaucoup diminué depuis 2010. Cette évolution s'explique par la crise de l’euro, la difficulté d’accéder à la liquidité en dollars, enfin la gestion à la baisse des actifs pondérés pour respecter les nouveaux ratios. L’ampleur des restructurations conduites n’a cependant pas permis de limiter, autant que souhaitable, la baisse du résultat. Si un point bas est vraisemblablement atteint, il est aussi très probable que la reprise sera progressive dans les activités de fixed income.

Le Crédit Agricole a fait le choix explicite, depuis la création d’Amundi, de développer son pôle de gestion de l’épargne qui disposait déjà, avec sa compagnie d’assurances Predica, d’un outil performant et puissant. L’adaptation du modèle historique de l’asset management aux données actuelles du marché comme le développement international de ces activités constituent un enjeu fort. Avec Cardif, BNPP a un véritable assureur international, mais n’occupe pas la même position dans l’asset management où il reste, à l’échelle de ce métier, un acteur de taille moyenne. Société Générale fonde son développement sur Lyxor et bénéficiera aussi de sa position d’actionnaire d’Amundi.

Les trois groupes ont choisi de développer l’assurance à l’international, à partir de ses implantations dans la banque de détail en Europe pour le Crédit Agricole et la Société Générale, et grâce à Cardif pour BNPP.

Au total, sur les trois années à venir, le parcours de ces deux banques devrait être beaucoup plus différencié encore qu’il ne l’a été dans le passé. La diversité des modèles apparaitra plus clairement, même si l’on se réfère toujours au concept de plus en plus flou de banque universelle.

Prudence ne signifie pas immobilisme

Les plans présentés témoignent en premier lieu de la nécessité pour les banques de revoir la nature et le mode d’organisation de la relation avec leurs clients, quels qu’ils soient. De ce point de vue, les plans présentés annoncent des prises d’initiatives ou des évolutions intéressantes, même s’ils ne vont pas, bien évidemment, jusqu’à détailler les actions qui seront conduites, ni à fournir des calendriers.

L’impact du digital sur la distribution dans la banque de détail est également pris en compte. Les investissements technologiques et humains associés à cette évolution sont importants dans les réseaux traditionnels et de fortes ambitions sont affichées pour les banques « purement digitales » : Hellobank pour BNPP, B for Bank pour le Crédit Agricole et Boursorama pour la Société Générale. Les mesures annoncées ne semblent pas prendre directement en compte les risques que présentent les acteurs du Web qui s’intéressent à la banque et ont déjà pris des initiatives en ce sens. Plus généralement, le risque que représente la concurrence des non-banques n’apparaît pas clairement.

Si l’évolution de la relation client dans la gestion de l’épargne est moins explicite dans les présentations, elle est cependant sous-jacente. Les objectifs s’expriment en volume et en rentabilité. Mais le réexamen de la gamme de produits pour mieux répondre aux besoins de conseil des clients est une priorité. Les problématiques de distribution sont traitées au travers de l’évolution de la banque de détail et, en particulier, du besoin de former et de spécialiser les conseillers.

L’évolution de la relation client est aussi manifeste dans le domaine de la grande clientèle, même si elle prend des formes différentes de celles attendues dans les marchés de masse. Le mouvement de désintermédiation, accéléré par Bâle III, conduit en effet à renforcer la proximité avec les clients ainsi que la pertinence du conseil.

Les synergies intragroupes sont aussi à l’honneur. Cette approche est caractéristique d’une phase de croissance plus ralentie. Quand les marchés sont porteurs, la tendance de chaque métier est de se développer de façon autonome pour profiter au mieux des opportunités que le marché offre. Quand la croissance est plus faible, il faut être à la fois plus innovant et plus économe. L’innovation passe en effet souvent par le croisement de plusieurs types de savoir-faire. Le partage d’outils, de moyens entre métiers différents est source d’économies substantielles et souvent rapides.

BNPP et Société Générale semblent, au moins en termes de tonalité, donner plus de poids à la croissance des revenus tirés des synergies entre métiers, tandis que le Crédit Agricole semble plus centré sur les baisses de charges.

Une accélération des changements

Dans les trois plans, prudence et investissements d’avenir se conjuguent, mais la question du rythme du changement demeure. La prudence des business plans vient conforter un sentiment de sécurité attendu par le marché. Mais la trajectoire dessinée est-elle à la hauteur de la modification des termes de la concurrence qui se dessine dans plusieurs des grands métiers de la banque ? Cela n’est pas acquis. Trop de prudence peut conduire au conservatisme.

Les plans présentés sont une réponse aux données du moment, ils devront vraisemblablement être revus en cours d’exécution pour répondre à cette nouvelle donne. La banque a un côté industriel. Comme l’industrie, il y a quelques années, elle est en train de s’ouvrir, de se transformer. Le rythme de changement de l’industrie bancaire devrait donc avoir tendance à s’accélérer. Les banques devront en tenir compte.

 

Actualisé le 15 mai 2014

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº773