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Point de vue

Plaidoyer contre la limitation des systèmes de rémunération du secteur bancaire

Créé le

21.05.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

L’Europe est en train de se doter de deux lois qui vont fortement encadrer les systèmes de rémunérations des professionnels de la finance, en plafonnant en particulier leur bonus. Le chasseur de têtes Éric Singer y voit une mesure populiste qui ne générera que délocalisations et médiocratie.

 

Depuis le début de l’année, deux textes européens ont été votés pour encadrer le salaire des professionnels de la finance :

  • tout d'abord celui du 28 ​février 2013 : l'accord conclu entre le Parlement européen et le Conseil européen prévoit que les bonus annuels des banquiers ne puissent pas excéder leur salaire annuel, à moins que les actionnaires ne donnent leur accord. Dans ce cas, les bonus pourront représenter au maximum le double du salaire annuel ;
  • ensuite, celui du 21 mars 2013, adopté par le Parlement européen, qui affirme que la composante variable du salaire total d'un gestionnaire de fonds ne devrait pas excéder la composante fixe du salaire et 50 % de la rémunération variable devraient être payés sous forme d'unités (actifs) des OPCVM concernés. Le texte ajoute que le salaire des gestionnaires de fonds devrait toujours être aligné sur les intérêts des investisseurs et les performances du fonds en question.
En droit, ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une législation bancaire relative aux exigences de fonds propres. En fait, elles sont caractéristiques d’une politique populiste qui rend le secteur bancaire responsable de la crise économique débutée en 2008. Elles devraient être applicables à partir de 2014. Une fois ces faits énoncés, se posent de nombreuses questions.

Ces mesures sont-elles légales ?

N’allons-nous pas voir se multiplier des questions prioritaires de constitutionnalité sur les thèmes de la liberté contractuelle ou de la distorsion que cette mesure crée entre le monde bancaire et  les autres secteurs de l’économie, même réglementée telle que l’énergie nucléaire, la presse ou le sport ? N’allons-nous pas voir se développer des recours de dirigeants d’entreprises considérant que la politique salariale est déterminante pour attirer et conserver des talents, que la réglementer est une atteinte fondamentale à leur liberté d’entreprendre et à leur droit de se développer ?

Rappelons que ce ne serait pas nouveau qu’une réglementation européenne soit en opposition avec la jurisprudence du droit du travail français : c’est également le cas de la clause de «  clawback [1] » introduite par la directive CRD 3.

Ces mesures sont-elles efficaces ?

Vont-elles éviter la prochaine crise bancaire ? Vont-elles, pour reprendre les termes d’un député européen vert,  « mettre fin à un casino business où le trader gagne à tous les coups même s'il perd » ? Vont-elles sauver les futures Citibank, Royal Bank of Scotland, Lehman Brothers, Fanny Mae, Freddy Mac, Northern Rock, IKB ?

Les cycles économiques s’accélèrent. La guerre des changes fait rage. Les bulles se recréent. Les capitaux, les sociétés et les hommes sont mobiles. En conséquence, des mesures micro-économiques prises au niveau d’une zone géographique délimitée ne pourront jamais avoir un impact macroéconomique au niveau mondial, en dépit du rêve de certains parlementaires.

Les market makers et les traders de produits de flux – auteurs présumés de la crise –  sont progressivement remplacés par des ordinateurs et des algorithmes. La prochaine étape serait-elle de réglementer les bonus des éditeurs de logiciels ?

Pourquoi travailler douze à seize heures par jour pour une rémunération plafonnée ? Les meilleurs éléments quitteront la zone économique concernée ou aménageront leur temps de travail. Dans les deux cas, une baisse significative de productivité est à prévoir dans les établissements
concernés. Enfin, le plafonnement des rémunérations variables sera immédiatement compensé par un mouvement parallèle d’augmentation des salaires fixe des banquiers et des gestionnaires concernés. Ce phénomène est déjà survenu en 2009, lorsque les bonus ont été drastiquement réduits. À cette époque, le salaire fixe moyen d’un Managing Director dans une banque anglo-saxonne est passé de 280 000 à 350 000 euros, y compris dans les établissements en difficulté tels que Citibank. Cette mesure aura un impact significatif sur le niveau des coûts fixes.

Utiliser la réglementation européenne comme méthode de management d’entreprise privée est inefficace dans un monde économique ouvert et mobile. Elle est mise en place dans un contexte de démonstration de justice sociale. Mais le sujet reste basique : il faut savoir contrôler les activités à risque et être capable de licencier un trader ou un gérant qui a commis des pertes.

Ces mesures sont-elles applicables ?

Deux interprétations sont possibles, selon que le Royaume-Uni applique ou non les mesures annoncées le 28 février et le 21 mars. Dans le cas où il ne les appliquerait pas, sauf comportement « suicidaire » des régulateurs européens, le projet de limitation des salaires des banques et des gestionnaires de fonds serait un coup d’épée dans l’eau. Si au contraire, le Royaume Uni appliquait les mesures précitées, les places financières européennes verraient une fuite des talents et des structures qui les emploient vers des établissements étrangers et des places financières telles que  Zurich, Dubaï, New York, Hong Kong et Singapour. De surcroît, la récente décision de onze pays de l’Union européenne de mettre en place une taxe sur les transactions financières renforcera la décision des acteurs de se délocaliser.

Un coup d’épée dans l’eau…

L’innovation financière est un moteur de l’économie. Les techniques de couverture contre les risques de taux, de change, de matières premières, l’accès direct aux marchés des capitaux, la liquidité procurée par les spéculateurs, la transparence des prix via les plates-formes électroniques sont autant d’exemples qui jouent en faveur de la finance au service de l’économie réelle.

Le contrôle des risques au niveau mondial – et non la limitation des rémunérations au niveau régional –  est nécessaire et efficace dans un secteur économique où l'« effet papillon » est évident. La crise indonésienne ou la chute de LTCM en 1998 ont eu des effets en Europe et aucune limitation des salaires des banquiers appartenant à l’Union européenne à cette époque n’y aurait fait quelque chose.

Ces mesures de limitation des salaires bancaires, restreintes à l’UE dans un contexte de village global et d’économie libérale, sont un coup d’épée dans l’eau qui crée des distorsions de concurrence sans accroître la stabilité du secteur bancaire. Ces mesures cumulent les inconvénients :

  • atteinte à la liberté d’entreprendre ;
  • risque de délocalisation, notamment des sociétés de gestion ;
  • distorsion de la concurrence ;
  • fuite des talents ;
  • perte d’influence des places financières et des acteurs bancaires de la zone concernée.

…aux conséquences graves

De manière générale, dans le monde des services, y compris financiers, c’est le talent et non le capital qui est rare. Affaiblir sa Place financière signifie porter atteinte à son économie, voire à sa souveraineté. Restreindre un tant soit peu l'éclosion des talents, c'est condamner la société tout entière à la médiocrité. Par ailleurs, comment peut-on rêver, si l'on est jeune et ambitieux, de limiter sa rémunération à une fois son salaire fixe, dans un contexte où ces derniers progressent extrêmement lentement alors que les loyers, les distractions et les impôts progressent de manière inversement proportionnelle ? Souvenons-nous que, grâce à son talent Claude Bébéar, a constitué AXA, qui emploie aujourd’hui plus de 163 000 personnes. Son patrimoine personnel dépasse 100 millions d’euros [2] . Fallait-il limiter ses espérances de gain et celles de ses collaborateurs face à cette fantastique création de valeur ? Faut-il dire aux générations futures qu’il vaut mieux créer les futurs AXA à Zurich ou Singapour ?

1 Réduction rétroactive de bonus en fonction de la performance ultérieure des activités. 2 L’Agefi, 2009.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
1 Réduction rétroactive de bonus en fonction de la performance ultérieure des activités.
2 L’Agefi, 2009.