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L’IA au cœur de la performance des banques

Créé le

13.12.2019

La donnée et les nouvelles technologies sont au cœur de la performance des établissements bancaires. Toutefois, leurs déploiements rencontrent de nombreux obstacles. Les dépasser est devenu une nécessité pour pouvoir tirer profit de ces outils et performer sur un marché en constante évolution.

Sans la maîtrise de leurs données et sans outil pour les collecter et les analyser, les établissements bancaires ne peuvent faire face à la complexité et à la vélocité de l’écosystème actuel. L’Intelligence artificielle (IA) tend à devenir un levier de plus en plus important de la performance bancaire et de l’excellence du service offert aux clients. Toutefois, de nombreux freins contribuent à freiner l’utilisation de cette technologie par les banques. Tour d’horizon sur ces obstacles et la façon de les résoudre.

1er frein : l’environnement réglementaire

Règlement général sur la protection des données de l'Union européenne (GDPR), norme BCBS 239 du Comité de Bâle, Reporting Anacredit, directive UE 2015/849 (dite « 4e directive Antiblanchiment ») : la législation bancaire est complexe et chaque année plus contraignante. Plus que dans tout autre secteur, les banques sont soumises à des exigences de transparence et de reproductibilité des modèles. Par exemple, le RGPD introduit des règles relatives au profilage et aux décisions entièrement automatisées, notamment pour celles « produisant des effets juridiques » ou « affectant de manière significative » les personnes. Les banques et assurances sont particulièrement concernées par ces règles, car leurs prises de décisions d'accorder ou de refuser des crédits ou d’appliquer des tarifs plus élevés d’assurance entrent dans cette catégorie de décisions « affectant de manière significative » les personnes. Plus spécifiques au domaine financier, les obligations de vigilance, les déclarations de soupçon et le reporting financier et prudentiel vers les différents régulateurs et autorités de contrôles se sont multipliés ces dernières années. L’augmentation de ces demandes, qui plus est avec un niveau de granularité grandissant, ont abouti à faire peser sur les différentes lignes de défense une pression forte pour assurer la fiabilité, la transparence et la cohérence des informations remontées aux régulateurs. Les équipes de contrôle et conformité ont ainsi connu une croissance exponentielle des effectifs, sans pour autant apporter des réponses satisfaisantes et pérennes sur l’ensemble de ces obligations.

Le contexte et les enjeux réglementaires sont à la fois un frein et une source d’opportunité majeure pour le développement de l’IA dans le secteur financier. En effet, si d’un côté les obligations spécifiques pour les banques et assurances peuvent être un ralentisseur pour des innovations et pour l’amélioration des services apportés aux clients, de l’autre, ces contraintes sont un puissant levier pour automatiser et systématiser bon nombre de processus de contrôle.

Néanmoins, tirer pleinement parti de la valeur de l’IA nécessite d’apporter des réponses à des points fondamentaux qui explique – à juste titre d’ailleurs – la frilosité, voire la paralysie, d’équipes opérationnelles ou du top management. En effet l’IA et l'apprentissage automatique sont souvent assimilés à des « boîtes noires », c’est-à-dire des modèles générant des prédictions ou résultats avec une très faible visibilité sur la manière dont la décision est prise. Ainsi, ces technologies sont parfois vues comme étant incompatibles avec les impératifs de transparence et reproductibilité mentionnés plus haut. Or, il est possible de contourner ce problème avec différentes approches. La première consiste à utiliser a priori des modèles qui sont par construction transparents et explicables tels que des régressions ou des modèles simples à base d’arbres de décisions. Si cela peut sembler peu innovant (les régressions étant utilisées depuis de nombreuses années dans des modèles statistiques en banque & assurance bien avant la data science, le machine learning ou l’IA), il ne faut pas perdre de vue que, pour un nombre significatif – si ce n’est majoritaire – d’usages, la performance du traitement dépendra bien plus des données en entrée que du modèle lui-même. Ainsi, le gain apporté par un modèle sophistiqué mais « boîte noire » sera marginal par rapport à la valeur issue des données et des variables sur lesquelles il se base, notamment grâce aux capacités de traitement Big Data mises en œuvre par les organisations ces dernières années et permettant de traiter et croiser des données auparavant inutilisables pour des raisons de volume notamment. Pour les usages sur lesquels des modèles plus évolués de machine learning ou de deep learning apportent un gain réel, il y a également des approches a posteriori qui permettent d’extraire des informations du modèle et donc de satisfaire aux critères de transparence et d’explicabilité. Par exemple, l’analyse par sous-population permet d’apporter une meilleure compréhension du comportement du modèle sur différents groupes, d’identifier certains biais et de mieux appréhender sa fairness (équité). Il existe également des méthodes permettant d’apporter des explications individuelles de prédiction telles que la valeur de Shap (Shapley Additive exPlanation) et de faciliter ensuite la prise de décision par des équipes métiers sur base de ces résultats.

2e frein : dispersion et qualité de la donnée

La dispersion et la qualité de la donnée sont deux autres grands défis auxquels les banques doivent faire face pour utiliser l’IA. Collectées et traitées de façon indépendante dans chaque filiale et département, les opérations de nettoyage, de gestion des données mais aussi de connexion à des sources de données s’avèrent complexes. Ce défi n’est pas spécifique au secteur bancaire mais il est amplifié, à la fois par les différentes strates historiques des SI en place et les contraintes juridiques et organisationnelles d’accès et de partage de données entre entités, métiers et pays différents. Cet accès aux données est souvent sous-estimé en termes de difficulté et de délai, constituant non seulement un frein aux lancements et aux succès rapides des premières initiatives IA, mais aussi à l’extension de ces initiatives aux différentes entités et équipes. L’enjeu est alors de trouver les bonnes organisations et gouvernances pour lancer les premières initiatives qui, une fois éprouvées, peuvent être déployées à plus grande échelle. Si des projets lancés sur des approches centralisées construites autour d’une plateforme unique et une équipe centrale ont montré leurs limites dans les organisations complexes, il est également difficile d’impulser une dynamique à l’échelle de grandes organisations par des initiatives locales. Les expériences menées dans plusieurs entreprises montrent qu’il n’y a pas de modèle miracle dans le déploiement de projets d’IA, mais force est de constater que les entreprises qui ont réussi à enclencher une véritable transformation par la data ont en commun d’avoir trouvé une gouvernance conjuguant une nécessaire centralisation ou mutualisation des pratiques, sans pour autant n’avoir qu’une équipe centrale. Ces projets nécessitent en effet de se reposer sur des équipes locales maîtrisant les enjeux opérationnels. En outre, cette gouvernance évolue dans le temps à mesure de la progression de la maturité de l’entreprise sur l’IA.

3e frein : la gestion des risques des modèles et la validation

Le sujet étant souvent au cœur des exigences réglementaires, il est difficile de concilier vélocité et validation des risques des modèles, ce qui peut ralentir la progression d’initiatives IA. Toutefois, ce défi peut être relevé en introduisant notamment la cohérence et la reproductibilité dans le processus des équipes de validation des modèles. Là où il est courant de voir des équipes de validation examiner des modèles de différentes entités ou des équipes travaillant avec leurs propres processus, leurs formats de modèles et de données, les établissements bancaires ont tout intérêt à uniformiser davantage les méthodes et outils. Le processus de validation est accéléré et permet à ces modèles de passer en production en quelques semaines et non plus en mois ou en années, comme il est courant de l’observer dans de nombreuses banques.

4e frein : les compétences IA

Si l’une des problématiques majeures de toutes les entreprises soucieuses d'accélérer leur intégration de l'IA reste l'embauche, les banques ont l’avantage de pouvoir proposer des packages salariaux attractifs pour attirer les talents. Néanmoins, sur un marché de l’emploi en forte tension pour les profils en data science et IA, retenir de tels profils dans la durée nécessite de leur fournir des projets stimulants et les capacités de les relever. Or, aujourd’hui, force est de constater que bien souvent les finalités et impacts attendus des projets de data science sont trop peu définis en amont de l’arrivée de Data Scientists et le cadre technique et organisationnel de travail trop rigide au regard des attentes des Data Scientists. Aussi, il en résulte fréquemment une latence forte sur les projets érodant significativement la motivation de ces derniers. Dans un secteur comme la banque où de nombreuses expertises fonctionnelles existent, embaucher le spécialiste possédant les bonnes compétences dépend fortement du cas d’utilisation. La meilleure façon de procéder consiste donc à s’appuyer, au-delà d’une équipe réduite de Data Scientists experts (principalement d’un point de vue technique et méthodologique) sur les ressources internes, dont les compétences métiers et la connaissance de l’organisation sont éprouvées, et à les former à l’utilisation de la donnée. Le défi des compétences IA consiste moins à embaucher qu’à outiller, à faciliter et à améliorer l’efficacité des collaborateurs en place.

5e frein : la résistance au changement

Enfin, transformer une banque n’est pas chose aisée et s’avère d’autant plus difficile lorsqu’il s’agit d’IA, pour laquelle l’attention particulière de la presse grand public nourrit des appréhensions plus ou moins fortes. Ainsi, les conséquences de ces technologies sur le marché de l’emploi suscitent de grandes interrogations et résistances au changement. Pour autant, une banque ne peut plus aujourd’hui faire l’impasse de ces nouveaux outils et des processus d’automatisation qui en découlent, ni se lancer dans de tels projets en ignorant ou passant outre ces résistances. Les initiatives d’IA sont autant de leviers indispensables à sa performance dès lors qu’elles s’inscrivent dans un plan de transformation qui en adresse les multiples défis, afin de pouvoir en tirer pleinement les bénéfices attendus.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº841
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