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Financement des bilans bancaires : les grandes manœuvres

Créé le

30.11.2012

-

Mis à jour le

21.12.2012

Rétrospective 2012 > Sommaire

 

La crise des subprime a plongé les acteurs des marchés financiers, banques en tête, dans une défiance généralisée les uns à l’égard des autres, avec pour conséquence un usage fortement accru des garanties lors des opérations de prêts au secteur bancaire. Cela est vrai sur les échéances courtes, les prêts en blanc sur le marché de la dette interbancaire ayant cédé la place à la pratique du repo (pension livrée), et aussi sur la dette à moyen et long terme : le marché européen des obligations sécurisées (covered bonds) a ainsi progressé de plus de 500 milliards d’euros chaque année depuis 2008, pour un encours proche de 2 700 milliards. La titrisation européenne, elle, reste à la traîne, avec moins 90 milliards d’euros placés sur le marché en 2010 et 2011.

Les mécanismes de la titrisation et des covered bonds restent pourtant proches : émettre de la dette adossée à un pool de créances. Mais si, avec la titrisation, les créances sortent du bilan de la banque, ce n’est pas le cas des covered bonds, qui offrent ainsi aux investisseurs un double recours, reconnu par la loi, sur le pool d’actifs et sur la banque émettrice. Les covered bonds ont d’autant plus valeur de refuge qu’ils sont très favorablement traités par la réglementation (voir Encadré). Ils sont en particulier explicitement exclus du champ du bail-in, cet outil qui permettra demain aux régulateurs d’imposer de manière unilatérale aux investisseurs en dette senior des pertes et des conversions en capital en cas de difficulté de l’établissement. Si l’incertitude juridique plane encore sur les contours du bail-in, accusé d’être anticonstitutionnel, son existence même fait l’effet d’une bombe à retardement sur les marchés de dette bancaire.

 

Ils l'ont dit...

Les covered bonds, un outil rassurant…

« Il n’y a pour le moment pas de compartiment de titrisation prévu dans [le] plan de financement [du groupe BPCE]. Elle n’est pas un instrument très répandu en France, à la différence de certains pays étrangers. Elle souffre depuis longtemps – avant même la faillite de Lehman Brothers – de spreads très défavorables. Elle était plus chère, non seulement que les covered bonds mais aussi que la dette unsecured. Il y a un manque d’attrait des investisseurs pour cette classe d’actifs sur le marché français. Peut-être est-ce son côté “boîte noire” qui effraie.

L’importante détente des spreads pourrait changer la donne : nous sommes dans la logique d’ajouter cet outil à notre palette d’instruments de refinancement, mais ce n’est pas pour un futur proche, car un tel projet nécessite des travaux informatiques lourds. »

Roland Charbonnel, directeur Émissions et Communication financière, BPCE, Banque & Stratégie n° 302, avril 2012, pp. 16-18.

 

…dont il ne faut pas abuser

« […] les besoins en financements de long terme des institutions financières vont être amenés à croître dans les années à venir, du fait non seulement de l’augmentation des bilans bancaires, mais aussi des exigences renforcées en matière de liquidité. Cela va accentuer la pression sur les institutions financières. Certains acteurs risquent d’être incités à innover et à utiliser les covered bonds comme le nouvel instrument de référence du marché du financement collatéralisé.

Ainsi, pour l’avenir de l’industrie bancaire, il est indispensable de restaurer la confiance des investisseurs dans le marché des ABS (Asset-backed securities) : c’est à travers lui que pourront être financées de plus en plus de classes d’actifs, et non à travers celui des covered bonds. Il ne serait en effet pas judicieux de transformer ces derniers, bénéficiant d’une solide réputation, en instruments de financement collatéralisé passe-partout. »

Luca Bertalot, responsable, ECBC (European Covered Bond Council), Banque & Stratégie n° 302, avril 2012, pp. 5-8.

 

Les banques se financent sur base sécurisée

« [La progression de l’utilisation de collatéral sur les marchés financiers] remonte à plus de dix ans, avec l’introduction d’une distinction entre prêts sécurisés et prêts en blanc dans les règles de Bâle, les premiers mobilisant moins de fonds propres que les seconds. C’est une tendance qui se poursuit avec Bâle ​​III qui vient d’introduire des coussins de liquidité ​​: il s’agit pour une banque de conserver dans son bilan un surplus de collatéral de bonne qualité comme protection en cas de difficultés.

[Pour ce qui est de l'impact de la crise sur le besoin en collatéral], avant la crise, la croissance, non explosive mais continue, du marché du repo était principalement entretenue par les grandes banques internationales. Les établissements de petite ou moyenne taille se sentaient peu concernés. Mais avec la faillite de Lehman Brothers et la crise de confiance qui s’en est suivie, les banques se sont mises à ne plus vouloir prêter qu’en échange de collatéral, d’où une hausse des besoins. Avec la crise, les injections de liquidité par l’Eurosystème au sein du système bancaire ont également accru ces besoins en collatéral, les financements accordés par les banques centrales étant toujours garantis par des titres. »

Godfried De Vidt, président, ICMA European Repo Council (ERC), Banque & Stratégie n° 299, janvier 2012, pp. 5-8.

 

Le bail-in et la fragmentation des bilans bancaires

« Par des effets de contournement induits, le bail-in pourrait engendrer une refonte significative de la structure de passif des banques. En effet, face à des coûts de financement plus élevés sur la dette non garantie, les banques seraient amenées à adapter leur structure de financement. Les banques pourraient augmenter leur refinancement à très court terme (moins d’un mois) ou l’émission de dette garantie par du collatéral, ces instruments échappant généralement au régime de bail-in. Par exemple, les obligations foncières, les opérations de politique monétaire couvertes par du collatéral éligible et les pensions livrées bloquent une part croissante des actifs des banques – en moyenne, entre 15 et 20 % pour les banques européennes, voire plus pour certaines banques. Par voie de conséquence, le passif en liquidation s’en trouverait indirectement amoindri, laissant moins de collatéral disponible pour les créanciers non garantis (dont les déposants). Ces mêmes créanciers ont déjà vu leurs coussins en capital et en dettes subordonnées – insuffisants au départ – fortement érodés par la crise financière, réduisant les premières lignes de défense contre les pertes. La conjonction de tous ces éléments risque de peser fortement sur le rebond du marché de la dette bancaire non garantie en Europe. »

Nadège Jassaud, économiste, FMI, et Vanessa Le Leslé, expert du secteur financier, FMI, Revue Banque n° 753, novembre 2012, pp. 38-40.

 

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À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº755