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Témoignage

« Le besoin de transformation est tout à fait considérable pour les métiers de la banque »

Créé le

20.06.2012

-

Mis à jour le

27.06.2012

La crise et les contraintes réglementaires nécessitent une adaptation du modèle de banque universelle à la française, et cela n'est pas neutre en termes de ressources humaines. La Société Générale a ainsi prévu la suppression de 880 postes sur sa BFI en France. Parallèlement, elle compte recruter 2 500 CDI pour sa banque de détail en 2012. Mais comment attirer et motiver les talents dans un contexte d'image dégradée du secteur ? Le P-DG de la banque rouge et noire livre sa vision des mutations RH en cours.

Dans quelle mesure le deleveraging imposé par la crise a-t-il un impact sur la gestion des ressources humaines ?

La réduction du bilan (deleveraging) n’est qu’un élément parmi d’autres changements structurels comme la crise de la zone euro, le basculement des richesses vers l’Asie, la somme des nouvelles réglementations… Le besoin de transformation, actuel et à venir, est tout à fait considérable pour les métiers de la banque. Le mouvement de deleveraging, nécessaire pour être en ligne avec Bâle III, a été accéléré par la crise de la zone euro. Il se traduit, pour la banque de financement et d’investissement, par un glissement de ses métiers vers un modèle « origination-distribution », dans lequel nous garderons moins longtemps les crédits à notre bilan. Mais les changements touchent aussi la banque de détail, avec l’enjeu de la satisfaction client. C’est l’ensemble des métiers qui est concerné par la transformation. En termes de ressources humaines, il faut être une entreprise agile offrant un lieu de travail attractif. Dans un contexte sujet à autant de changements et dominé par autant d’incertitudes, l’entreprise doit savoir montrer à ses collaborateurs la direction qu’elle suit et leur donner envie de participer à ce projet.

Comment maintenir l’attractivité de la banque dans ce contexte ?

Le lien de confiance qui s’est maintenu entre un client et son banquier est un élément très positif. Face au questionnement sur le rôle du banquier, se concentrer sur la valeur ajoutée à apporter aux clients est un outil puissant en matière de motivation. Face aux critiques, nous pouvons répondre en nous appuyant sur ce qui se passe concrètement sur le terrain et qui montre la cohérence de notre action sur la durée : accompagner le client, financer l’économie, apporter des conseils de qualité…

Comment cela se traduit-il en matière de gestion des ressources humaines ?

La politique de ressources humaines englobe une palette de leviers et d’actions. Sur le plan individuel tout d’abord, nous avons diffusé le même outil d’évaluation pour l’ensemble du groupe, reposant à la fois sur des paramètres d’ordre commercial et financier et sur des compétences moins quantifiables, comme la coopération, la capacité à évoluer ou le développement du capital humain. Nous pensons en effet qu’un certain nombre de compétences sont communes à tous les métiers du groupe. La satisfaction client a bien entendu été intégrée dans cette évaluation des performances et contribue à la fixation des parts variables de rémunération. Nous avons également entrepris des actions plus ciblées, par exemple sur les « 1 000 ambassadeurs » – les principaux cadres du groupe – qui sont soumis à une évaluation à 360 degrés, avec une possibilité de coaching personnel par la suite.

Au niveau collectif ensuite, nous avons travaillé sur le sujet de la formation. Nous avons par exemple mis en place une corporate university, avec des modules de formation dont l’enjeu clé est de développer le capital humain et les aptitudes managériales cohérentes avec nos valeurs. Ce sont donc des formations sur le management et le leadership, que suivent les talents très diversifiés du groupe. Cela favorise par ailleurs la création de réseaux internes.

La création de cette corporate university répondait-elle à un besoin spécifique des managers ?

Toutes les grandes entreprises doivent porter une attention particulière à leur management intermédiaire : il faut faire en sorte que tous les collaborateurs, même les plus juniors, comprennent non seulement leur travail, mais aussi le groupe auquel ils appartiennent. Sans cela, l’entreprise n’est qu’un conglomérat de métiers mis côte à côte. Au contraire, il s’agit d’être dans une logique de valorisation des synergies entre métiers. Il me semble que le management intermédiaire, qui fait le lien entre les fonctions centrales du groupe et chacun des 160 000 collaborateurs, est essentiel dans ce domaine. Ces cadres, qui peuvent être directeurs de filiales, responsables commerciaux ou encore directeurs RH, ont un rôle d’interface entre le centre, qui doit expliquer sa vision, et les personnes sur le terrain. Ils doivent être en cohérence avec les valeurs du groupe, et la corporate university doit favoriser le partage de ces valeurs.

La communication est également un élément clé dans une période aussi agitée. Nous avons mis en œuvre des actions suivant des logiques top-down – par exemple des chats d’une heure que j’ai menés réunissant jusqu’à 4 000 personnes ou encore des réunions régulières entre la direction générale et les « ambassadeurs » – ou bottom-up – via notamment un baromètre social qui a recueilli 85 000 réponses en 2011 et qui sert aux managers d’outil de dialogue et de progrès avec leurs collaborateurs.

Quels sont vos objectifs en matière de parité et de diversité ?

Dans une période comme celle que nous traversons, mettre l’accent sur l’équité des chances, qu’elle soit en matière de mixité, d’origine géographique ou de diversité de parcours, est fondamental. Il reste beaucoup de progrès à faire, mais je suis satisfait du chemin réalisé depuis deux ans : notre comité de direction, qui réunit les 56 principaux cadres du groupe, compte aujourd’hui 23 % d’étrangers et 18 % de femmes. C’est mieux qu’il y a deux ans.

Dans les métiers de la banque de marché, qui emploient traditionnellement peu de femmes, je suis ainsi très satisfait de certaines nominations : Danielle Sindzingre à la tête du Fixed Income, Pascale Moreau, comme coresponsable mondial des ventes Fixed Income, Diony Lebot, responsable adjointe de la relation-client et de la banque d’investissement et responsable de la BFI pour la région Europe de l’Ouest, ou Inès de Dinechin, aux commandes de Lyxor. Au niveau du groupe, on peut aussi citer Marie Cheval, comme directrice Global Transaction & Payment services, ou encore Anne-Marion Bouchacourt, comme responsable pour la Chine, après avoir été DRH du groupe.

Concernant la diversité des nationalités, nous avons également réalisé des progrès satisfaisants. Nous sommes la seule banque française à compter un directeur général délégué d’origine étrangère (Bernardo Sanchez Incera, NDLR). Quant à nos activités de marché, elles sont dirigées par Dan Fields, qui est de nationalité américaine. Toutes nos filiales européennes sont aujourd’hui entre les mains de directeurs locaux, alors qu’ils étaient tous français il y a encore six ans. Cette diversité doit être préservée. En revanche, je ne souhaite pas rendre d’objectifs publics : cela ne peut que fragiliser les nominations, en laissant penser que les personnes ne sont pas promues pour leurs compétences.

La responsabilité sociale des entreprises consiste également à assurer de bonnes conditions de travail pour les salariés. Quelles actions avez-vous entreprises ?

La première responsabilité d’un employeur est effectivement de veiller à ce que ses salariés soient motivés. De ce point de vue, nous avons monté un observatoire du stress. En liaison avec les syndicats, nous avons également conduit une expérience sur l’un de nos pôles Services clients (PSC-back office du réseau de détail en France) pour mesurer la nature du stress et explorer les manières d’y remédier concrètement. Les salariés ne doivent pas être laissés seuls face aux incivilités ou à certaines remarques désagréables du quotidien, sans exagérer l’ampleur du phénomène. Les réunions d’équipes sont essentielles pour cela. La dimension de la satisfaction client est également un élément de réponse. Mais cela fait partie d’un tout : il s’agit de rassurer les collaborateurs sur l’état de la banque, de communiquer sur les développements en cours…

Cet observatoire fait-il état d’une montée du stress ?

Il n’y a pas eu de montée du stress au cours des deux dernières années. Il existe néanmoins dans certaines entités, mais pas plus que dans d’autres entreprises françaises. Il faut garder à l’esprit que, dans le contexte actuel, les volumes de production et donc d’activité fluctuent beaucoup. C’était le cas en 2011, avec une forte augmentation des dossiers de crédits immobiliers, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut donc prendre du recul par rapport aux chiffres.

En cette période de crise, comment conserve-t-on la cohésion entre la BFI et la banque de détail ?

Il faut sans cesse réaffirmer que l’une nourrit l’activité de l’autre, et vice versa. Au cœur du modèle de banque universelle tel que nous l’avons développé, on trouve le banquier conseil qui promeut l’ensemble des activités. Nous avons été amenés à créer des joint-ventures, par exemple entre la banque privée et la BFI pour nos activités de family office. Inversement, le client corporate de la BFI peut générer de l’activité pour la banque de détail, grâce au cash management. Il faut accompagner et stimuler ces synergies par des parcours de carrière permettant de passer d’un métier à l’autre.

J’ai en tête de nombreux exemples : Philippe Aymerich, passé à la tête du Crédit du Nord après une carrière en BFI aux États-Unis ; Édouard-Malo Henry, nommé inspecteur général après un parcours en BFI et devenu récemment directeur RH du groupe ; Bertrand Cozzarolo, mon nouveau chef de cabinet, qui était directeur financier de notre filiale de banque de détail en Egypte, avant de devenir directeur commercial pour la Bulgarie. Au-delà des synergies, cela montre que notre groupe offre de belles carrières, avec des passerelles entre fonctions support et fonctions commerciales et des opportunités à l’international.

Cela permet-il de compenser la période de « vaches maigres » en termes de rémunération ?

Une minorité de personnes, principalement dans la BFI, ont peut-être rejoint la banque pour le niveau de rémunération proposé. Pour elles, ce que nous pourrons offrir dans les prochaines années sera, de facto, différent de ce qui était envisageable par le passé. Nous verrons si ces personnes s’adapteront ou non, mais cela ne représente qu’une minorité des effectifs. Il est légitime de vouloir être rémunéré en fonction des efforts fournis, mais la question va plus loin : comme dans toute entreprise, il s’agit de proposer aux salariés un équilibre entre rémunération, développement de carrière et environnement de travail.

Je tiens par ailleurs à souligner la mesure innovante que nous avons prise en 2010, avec la distribution d’actions gratuites aux 160 000 collaborateurs du groupe, principalement fondée sur un objectif de satisfaction client.

Peut-on dire aujourd’hui que la banque reste un ascenseur social ?

Chez Société Générale, nous avons un programme, le « cursus cadre », qui fonctionne très bien. Il permet à un technicien de suivre une formation et de passer un examen pour devenir cadre. Le contenu est préparé en collaboration étroite avec les managers du groupe. J’ai ainsi l’exemple de mon ancienne assistante, lorsque j’étais directeur financier, qui a suivi ce cursus et qui est désormais responsable adjointe de l’une des plus grosses agences parisiennes. Je ne suis pas convaincu que beaucoup d’entreprises soient en mesure d’offrir ce type de parcours.

En quoi le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en cours peut-il perturber cet équilibre ? Il rencontre beaucoup de succès…

D’abord, je voudrais rappeler qu’il s’inscrit dans une politique plus générale d’adaptation des BFI à la crise et au nouveau contexte réglementaire et prudentiel. Par ailleurs, il s’agit du premier PSE du groupe depuis 20 ans et il est logique que nos salariés saisissent les opportunités qui se présentent à eux lorsqu’ils peuvent bénéficier de mesures d’accompagnement très favorables, notamment sur le plan financier.

En termes d’image, cela compte pour un groupe…

En France peut-être, mais il faut parvenir à évoluer sur cette question. Il ne s’agit pas de licenciements, mais de départs à l’initiative du salarié. Dans le monde actuel, une banque doit pouvoir ajuster ses activités. C’est le cas aujourd’hui de toutes les grandes banques françaises et de beaucoup d’entreprises industrielles.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº750