Square

Change et taux

Pourquoi la question des Taux d'intérêt est sérieuse et probablement sans issue

Créé le

19.04.2021

Depuis les années 1980, les taux d’intérêt à long terme, nominaux et réels, sont sur une tendance décroissante, avec un point bas atteint à l’été 2020 (taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique de 0,6 % aux États-Unis, de - 0,6 % en Allemagne). Il y a deux explications essentielles à cette baisse des taux d‘intérêt : la politique monétaire de plus en plus expansionniste et la hausse du taux d’épargne du monde, d’où la hausse de la demande des épargnants pour les dettes sans risque.

Il faut comprendre que cette dynamique des taux d’intérêt pose un problème sérieux et probablement sans solution.

Le point de départ du problème est que tous les agents économiques ont eu le temps de s’adapter à cette situation de taux d’intérêt bas, puisqu’elle débute il y a près de 40 ans. Les taux d’endettement, publics et privés, ont considérablement augmenté, ce qui est normal avec le passage progressif des taux d’intérêt à long terme en dessous du niveau de la croissance. Les entreprises ont massivement utilisé le levier d’endettement, à partir de 1985, pour racheter leurs actions, ce qui a du sens puisque le coût de la dette devient considérablement inférieur au coût du capital en actions, mais affaiblit leur structure financière. Les banques ont aussi massivement utilisé l’endettement obligataire pour financer le crédit : la dette obligataire des banques passe de 18 % du PIB de 2000 à 31 % du PIB en 2009. Enfin, ce qu’on peut appeler « la finance à levier » s’est évidemment considérablement développée dans un environnement de taux d’intérêt bas [1] .

Tous les comportements financiers des agents économiques ont été fortement influencés par le bas niveau durable des taux d’intérêt. S’il y avait remontée des taux d’intérêt, l’ajustement serait extrêmement douloureux : il faudrait que les États, les ménages et les entreprises se désendettent, ce qui conduirait à une forte contraction de la demande ; il faudrait que les entreprises et les banques se financent par actions et plus par la dette, ce qui serait difficile puisque la hausse des taux d’intérêt précisément détournerait les épargnants des actions au profit des dettes ; il y aurait une violente contraction de la finance à levier (hedge funds, LBOs). La croissance serait violemment affaiblie et il y aurait des victimes dans la finance, puisque l’organisation présente fait l’hypothèse de la permanence des taux d’intérêt bas.

Ceci montre que l’organisation créée par le maintien sur une longue période de temps des taux d’intérêt très bas génère une forte irréversibilité : comment oser remonter les taux d’intérêt si les agents économiques sont organisés financièrement dans la perspective de taux d’intérêt bas ? Mais d’un autre côté, ne pas remonter les taux d’intérêt peut aussi faire apparaître des problèmes très sévères : incapacité de répondre à l’inflation si elle revient un jour ; croissance sans limite des bulles sur les prix des actifs et des inégalités de revenu.

On arrive à une situation absurde : on ne peut pas remonter les taux d’intérêt parce que tous les agents économiques ont adapté leurs comportements financiers à une situation de taux d’intérêt bas ; on ne peut pas laisser les taux d’intérêt à ce niveau aussi bas sans faire apparaître des déséquilibres financiers massifs.

 

1 La taille des hedge funds passe de 100 milliards de dollars en 1998 à 3 900 milliards de dollars en 2021 ; le montant des LBOs (rachats d’entreprises par l’endettement) de 100 milliards de dollars par an en moyenne dans les années 1990 à 400 milliards de dollars par an dans la période récente.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº856
Notes :
1 La taille des hedge funds passe de 100 milliards de dollars en 1998 à 3 900 milliards de dollars en 2021 ; le montant des LBOs (rachats d’entreprises par l’endettement) de 100 milliards de dollars par an en moyenne dans les années 1990 à 400 milliards de dollars par an dans la période récente.