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Finance comportementale

Un robot est-il un financier comme un autre ? Biais cognitif versus biais statistique

Créé le

20.05.2019

-

Mis à jour le

12.07.2019

Dans le cadre des House of Finance Days de l’Université Paris Dauphine, le Magistère Banque, Finance, Assurance, a organisé une table ronde sur le thème « Un robot est-il un financier comme les autres ? », animée par Thomas Blard, fondateur du webmédia économique Décideurs TV. Cette table ronde réunissait Jonathan Levy, trader algorithmique au Crédit Agricole CIB, Daniel Haguet, professeur de finance à l’EDHEC, Pascal Koenig, associé en charge du secteur Investment Management chez Deloitte France, et David Furcajg, président et cofondateur de HighWave Capital.

Jusqu'à une période récente, les marchés financiers avaient toujours été des marchés humains inextricablement liés à des questions d'ordre psychologique et comportemental. Cette part bien documentée de la finance, la finance comportementale, n'a pas disparu ni perdu de son importance. Toutefois, elle fait aujourd'hui face à des changements inédits : à l'heure où l'analyse quantitative, le machine learning, les robo-advisors (robots conseillers) et les fonds algorithmiques gagnent en importance, que reste-t-il de ces biais comportementaux ? Les biais déjà observés par le passé sont-ils amoindris ou exacerbés par cette nouvelle donnée ? Se dirige-t-on vers des marchés plus stables et rationnels ou toujours plus erratiques et moutonniers ? L’Homme a-t-il encore sa place au milieu des machines ? Et d’ailleurs quelles sont ces machines ? Toutes ces questions sont d’une importance capitale pour comprendre l’avenir du monde financier.

De quels robots parle-t-on ?

Les marchés financiers ont été investis par de nouveaux acteurs utilisant l’informatique non plus comme simple outil de décision, mais comme preneur de décision. Ces nouveaux acteurs sont de différentes natures, allant du trading algorithmique, déjà bien installé dans l’industrie, aux robo-advisors les plus récents.

Le trading algorithmique est devenu au fil des ans une technique de trading incontournable dans le market making et dans l’Automatic Proprietary Trading (interdit aux banques par la loi Volker, mais toujours très utilisé par certains Hedge Funds). Contrairement à certaines idées reçues, le trading algorithmique n’est pas forcément effectué à haute fréquence. En ce qui concerne le market making, la fréquence des transactions est souvent comprise entre une seconde et une minute, ce n’est donc pas si éloigné d’une fréquence humaine. Le principal avantage que possède le trading algorithmique sur le trading humain se situe dans la rapidité à analyser et traiter des informations reçues par voie électronique. Leur essor fulgurant est lié au passage des Bourses sur des plateformes entièrement informatisées. Avec la digitalisation des flux, une grande part des métiers était prête à être entièrement robotisée, souligne Jonathan Levy.

De son côté, le robo-advisor a pour mission de gérer de manière automatique les portefeuilles de ses clients selon leurs profils de risque, leurs horizons temporels ou tout autre élément ayant une incidence sur la composition optimale du portefeuille. Cette tâche complexe pour un conseiller en chair et en os, ne l’est pas moins pour un robot. Beaucoup de paramètres humains difficilement perceptibles par la machine sont à prendre en compte. De fait, les robo-advisors d’aujourd’hui ne sont souvent capables que d’une segmentation primaire des clients. Cette difficulté d’intégrer de la personnalisation (prise de risque maximale, typologie de produits) dans les choix d’investissement limite actuellement ces outils à des objectifs d’efficacité. La notion de « gérant augmenté » définit cette capacité du gérant de demain à intégrer dans le cadre de son processus de gestion un ensemble large d’indicateurs dans ses outils d’analyse et de choix via des techniques cognitives maîtrisées.

Quels impacts sur les marchés ?

Quel que soit le secteur d’activité concerné, et le secteur financier ne fait pas exception à la règle, l’apparition des robots s’accompagne de multiples interrogations, de nombreuses attentes, mais aussi d’inquiétudes sur les changements fondamentaux qui pourraient survenir. Le caractère innovant, complexe et, il faut bien le dire, relativement opaque de ces robots est souvent générateur de rejets. Les exemples bruyants de « flash krach » dus à des emballements algorithmiques rapides et brutaux ont jeté le trouble sur l’utilisation à outrance des algorithmes dans la finance. De plus, le trading à haute fréquence s’est vu accusé d’éloigner les prix de leurs fondamentaux, les machines pouvant manipuler les cours en lançant puis en annulant des ordres à une fréquence indétectable pour l’œil humain. Pourtant, il semblerait que ces automates aient eu globalement un impact assez positif sur les marchés, relève Daniel Haguet : le trading haute fréquence est souvent générateur de liquidité et contribue à l’efficience des marchés en effectuant des arbitrages constants. Par ailleurs, la programmation de règles systématiques permet d’éviter les failles d’ego de certains acteurs. La spéculation a tendance à diminuer et la volatilité à baisser, même si cette dernière est étroitement liée aux positions prises par les banques centrales.

Il serait toutefois naïf de surestimer l’efficience induite par l’introduction de ces nouvelles machines. Les emballements algorithmiques mentionnés supra révèlent avec force et tapage une composante essentielle de l’usage d’algorithmes : les algorithmes sont d’origine humaine. C’est ce péché originel de l’algorithme qui le fait dérailler face à des situations inédites et imprévisibles. L’intelligence artificielle reproduit donc à sa manière ce que l’on observe chez les humains : une certaine rationalité (les cours évoluent généralement dans le sens des nouvelles qui y sont liées) accompagnée de biais comportementaux (notamment des comportements moutonniers et une sous-estimation des évènements extrêmes). Pour autant, les nouvelles technologies introduisent des problématiques inconnues jusqu’alors.

Que restera-t-il du financier en chair et en os ?

C’est la question fondamentale que tout étudiant en finance se pose sur l’avenir du secteur : aurai-je encore une place, dans 5 ou 10 ans, au sein d’un système de plus en plus automatisé ? Sans boule de cristal, il est difficile de répondre, mais une première évidence se dessine, nous indique Pascal Koenig : seuls les financiers qui sauront tirer parti de la puissance de la machine (capacité à coder) pourront s’adapter à la nouvelle complexité des marchés financiers et subsister dans un secteur en surcapacité, où la performance des produits reste l’attribut premier.

Il est ainsi assuré que la tendance est à la baisse pour les effectifs de certains métiers, notamment les market makers, dont la tâche est assez automatisable. Néanmoins, les clients semblent n’être pas tout à fait disposés à ne côtoyer que des machines. Les professionnels du secteur cherchent de plus en plus à faire entrer l’algorithmique dans la relation client et les avis divergent quant à l’avenir de cette évolution. Assiste-t-on aux premiers signes d’un bouleversement majeur du secteur avec, d’une part, l’adaptation progressive de la clientèle à cette nouvelle manière d’être conseillée et, d’autre part, l’amélioration de la qualité des robo-advisors ? C’est notamment la vision de David Furcajg et de HighWave Capital, qui propose un robo-advisor utilisant des principes de finance comportementale pour déterminer l’aversion au risque des clients, mais encore pour gérer automatiquement des portefeuilles d’actifs en fonction de l’analyse comportementale du marché.

Pour autant, la consommation d’énergie nécessaire à la machine pour le stockage et le traitement des données reste une variable importante. À titre d'exemple, un enfant comprend en deux images ce qu’est un chat… là où une machine nécessitera le visionnage de plusieurs centaines d’images.

Conserver la conscience de ses actes

Enfin, face à la machine, l’Homme possède, sinon un avantage, au moins une spécificité qui lui est propre : il conserve la conscience que ses actes ont une portée et qu’il en est responsable. De l’intelligence à la conscience artificielle, le chemin semble encore long. Face au progrès de la technologie, il reste difficile d’identifier ce qui relève d’un monde meilleur ou du « meilleur des mondes » d’Huxley. Pour l’heure, les robots ont déjà contribué à une transformation profonde d’un secteur de plus en plus tourné vers un client désormais en quête d’un sens à donner à son épargne.

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nºhof2019