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État des lieux

« La transition démographique affecte à peu près tous les pays du monde »

Créé le

16.11.2018

-

Mis à jour le

27.11.2018

Le vieillissement des populations laisse préfigurer une société où le nombre de retraités sera égal ou supérieur à celui des actifs. C’est une situation inédite dont les équilibres économiques sont encore mal identifiés. 

Que recouvre la notion de transition démographique ?

La transition démographique décrit un vieillissement de la population, qui obéit à deux moteurs : le premier est ce qu’on appelle le vieillissement par le bas, c’est-à-dire une réduction du nombre d’enfants par femme, une baisse de la fécondité ; le deuxième vient du vieillissement par le haut, c’est-à-dire l’allongement de la vie, la baisse de la mortalité.

Si le nombre d’enfants par femme diminue et que la durée de la vie augmente, nécessairement, l’âge moyen de la population s’élève. C’est un phénomène à la fois inexorable, prévisible, et naturel, qui accompagne le progrès économique : pour se dérouler, il faut qu’il y ait, d’un côté, un contrôle des naissances et une certaine forme de libération de la femme et, de l’autre, un progrès des sciences médicales et des techniques de prise en charge des personnes âgées.

La transition démographique est un phénomène qui affecte à peu près tous les pays du monde, dès qu’ils atteignent un certain stade de développement, mais il peut prendre des formes très différentes : les plus brutales se voient au Japon ou en Corée. Dans ce pays, l’extraordinaire progrès des sciences et des techniques a permis des scores de longévité incomparables, mais cumulé à la chute du nombre d’enfants par femme qui est aujourd’hui de 1,2 en Corée et 1,4 au Japon, il provoque un vieillissement très rapide de la population. Le Japon convertit aujourd’hui des écoles en centres d’accueil de personnes âgées !

Ce phénomène est aussi très marqué en Europe, notamment en Allemagne, en Italie, ainsi que dans certains pays d’Europe de l’Est. Il reste fort en France, mais avec une pyramide qui est de forme plutôt rectangulaire et une assise qui ne s’érode pratiquement pas : avec 1,9 enfant par femme, la France est à peine en dessous du seuil de reproduction des générations, soit 2,1.

Fait historique étonnant, la France a connu un vieillissement dès le XVIIIe siècle. On peut même dater assez précisément le début de cette évolution : à partir à la famine de 1709, en France, le nombre d’enfants par femme baisse, de 7 à 5, puis à 4 au début du XIXe siècle. La famine, suivie par deux hivers très rigoureux, la guerre de la succession d’Espagne, la fin de Louis XIV, puis la peste de Marseille en 1720, ont provoqué un retard de l’âge du mariage des jeunes filles, ce qui finalement s’est traduit par une baisse du nombre d’enfants par femme. Tout au long du XVIIIe et du XIXe siècle, la France a eu un âge moyen plus élevé que le reste de l’Europe.

Est-il possible d’agir sur ce phénomène ?

Il est possible de réduire la fécondité. Dans certains pays, comme le Mali ou le Niger, la pyramide des âges affiche encore une base très large qui explose, avec un nombre très élevé d’enfants par femme, mais différentes études montrent que, dès lors que les gouvernements mettent en place un système de protection sociale, les comportements de fécondité évoluent rapidement vers des scores plus proches de ceux des pays développés. De même, on a pu constater que les migrants adoptent parfois en moins d’une génération les comportements de fécondité du pays d’accueil. En revanche, faire en sorte de relever le niveau de fécondité est plus compliqué ; l’effet des politiques natalistes dépend de nombreux déterminants économiques : le prix des logements, etc.

Quelles sont les conséquences économiques de la transition démographique ?

Il n’existe pas d’histoire du vieillissement des populations dans le long terme. En effet, nous n’avons pas d’expérience connue de ce phénomène, qui se conjugue avec deux autres évolutions nouvelles : l’une est l’instauration des régimes de retraite, qui date de la fin du XIXe siècle ; l’autre est l’apparition de maladies spécifiques et de la perte d’autonomie liées au grand âge. Ces deux évolutions représentent des charges supplémentaires. Dès les années 1950, Alfred Sauvy a publié des articles pour attirer l’attention sur la nécessité à terme de relever l’âge de la retraite. En 1962 apparaissent déjà des rapports qui insistent sur le fait qu’il faut constituer des réserves dans les régimes par répartition parce que la société évolue forcément vers un vieillissement démographique.

Mais aujourd’hui encore, on ne connaît pas les équilibres d’une société du vieillissement par rapport à une société où le nombre d’actifs est supérieur aux inactifs. Nous devons nous adapter à cette situation, c’est-à-dire prendre en charge les personnes âgées et en particulier les personnes dépendantes, sans exclure les jeunes et continuer à faire en sorte qu’ils créent de la valeur ajoutée, investissent et aient des horizons de long terme. Le Japon par exemple donne l’impression d’une forte exclusion de la jeunesse : 50 % des moins de 30 ans sont désociabilisés, ils n’entrent pas sur le marché de l’emploi, ni sur celui du mariage, mais s’occupent de leurs vieux parents. C’est probablement une gestion assez inefficace du vieillissement.

Mais il est vrai que le financement des infrastructures liées à la dépendance et à la perte d’autonomie est considérable et difficilement gérable par le marché. Ces engagements sont de très long terme avec un fort niveau d’incertitude, car personne ne sait encore quelle sera la durée de vie en perte d’autonomie, comment va évoluer la prévalence de ces affections… Le coût du transfert du risque au marché par des dispositifs d’assurance reste très élevé.

Autre conséquence due à l’augmentation de la longévité, certaines personnes aujourd’hui vont passer 30 ans en retraite. Or quand les retraites ont été conçues, elles étaient fondées sur une durée de retraite estimée de 5 à 10 ans et non pas une période bientôt équivalente à la durée de la vie active, ou à la durée d’éducation. Les temps de formation et d’éducation, comme ceux de la retraite avoisinent aujourd’hui 25 à 30 ans ! Ce cycle de vie individuel finira par être intenable quand 30 % de la population aura de plus de 65 ans.

La troisième conséquence économique de la transition démographique est la concentration des patrimoines. Dans certaines sociétés 80 % des patrimoines appartiennent d’ores et déjà à des inactifs. Or ceux-ci ont une gestion prudente, voire un peu timorée, de leur patrimoine : ce sont rarement des investisseurs de start-up ! En outre il s’agit souvent d’un patrimoine de « mainmorte » car les retraités investissent dans leur logement dont les enfants n’hériteront qu’après leur disparition. Nous cherchons des solutions pour faciliter la circulation de ces actifs, car celle existante comme le viager ne s’est pas développé parce qu’elle recèle un poids psychologique lourd et que, d’une certaine manière, elle spolie les héritiers.

Les politiques économiques intègrent-elles aujourd’hui les enjeux de la transition démographique ? Quelles solutions sont possibles ?

Les politiques économiques n’intègrent pas vraiment ces nouvelles réalités. Les états gèrent aujourd’hui des problèmes de beaucoup plus court terme lié à la dette. Il est difficile de s’engager sur des questions sociétales de cette nature qui sont à horizon de 20 ou 30 ans quand on est élu tous les 5 ans ; c'est vrai pour les gouvernements de tous les pays du monde.

Concernant la question de la concentration des patrimoines, il faut inventer des produits nouveaux. Notre chaire travaille beaucoup sur la liquéfaction des patrimoines et sur des montages dans lesquels une personne âgée vend son bien à une société foncière, dispose immédiatement du cash qu’elle peut transmettre à ses enfants ou garder en prévision d’une éventuelle situation de dépendance, tout en ayant la garantie de rester dans les lieux en payant à l’acheteur une redevance, équivalent d'un loyer. Nos travaux montrent que ces montages sont possibles même dans des zones immobilières peu cotées, pour peu qu’ils soient assortis d’une garantie de l'État, limitée mais qui permettrait à l'investisseur immobilier de ne pas prendre un risque trop important.

La constitution de l'épargne retraite est un autre axe de recherche de la chaire. Nous avons pu montrer qu’une épargne à hauteur de 2 à 3 % des revenus permettrait de stabiliser la moitié de la baisse du rendement des régimes par répartition et de constituer en quelques années un fonds souverain qui serait parmi les plus importants dans le monde.

Quant aux questions liées à la santé, un des seuls éléments constatés par des études longitudinales aujourd’hui est que plus les personnes restent actives longtemps, plus elles déclarent tardivement des maladies neuro-dégénératives. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il faut reculer l’âge de la retraite, car ces activités ne sont pas nécessairement liées au travail exercé avant la retraite, même si, précisent les gérontologues, elles doivent être un peu contraignantes ! En outre, il ne faut pas toujours se représenter la personne âgée comme un sujet médical : la dépendance est une véritable catastrophe individuelle mais elle ne concerne en réalité qu’un septième de la population au-dessus de 80 ans. Il faut à présent travailler sur ces données pour savoir comment les traduire en mesures économiques concrètes.

Enfin le dernier sujet d’amélioration possible est qu'on ne peut pas demander à des personnes âgées de rester actives, de liquéfier leur patrimoine, d'avoir une gestion rationnelle de leur cycle de vie, et d'être exclus du boom technologique ! Il faut aussi une forme d'éducation ou de formation, qui permette aux personnes âgées de tirer à court terme le meilleur parti des techniques digitales, tout en incitant les nouveaux technologues à s'intéresser à la figure de la personne âgée. Les nouvelles technologies s'adressent aujourd’hui à un personnage fictif, jeune urbain entre 20 et 30 ans. L'exemple le plus radical est celui des voitures autonomes qui ne sont jamais pensées pour des personnes âgées, alors que ces dernières seraient évidemment la première cible pour reconquérir de l'autonomie. Dans les générations actuelles de personnes âgées, le fait de ne plus pouvoir conduire est vécu comme une véritable perte de liberté. Mais il faut que la voiture soit pensée et adaptée pour cette cible, avec un accès facilité, des commandes intuitives… De même, alors que les smartphones pourraient rendre d’énormes services aux personnes âgées, en termes de suivi médical, de livraison à domicile, leurs écrans tactiles ne sont pas toujours faciles à activer pour des personnes dont la vue est moins bonne et le toucher moins sûr. Il existe un problème d'ergonomie des innovations et d'adaptation des systèmes.

L’épargne retraite en général et les fonds de pension en particulier, peuvent-ils être une solution au financement des retraites ?

Nous restons dans des économies dont les engagements de retraite sont encore largement gérés par les systèmes de répartition, parce que c’est la méthode la plus solidaire, matérialisant un pacte social qui nous inspire pour l’heure encore plus de confiance que la solidité des marchés financiers. Mais la situation serait totalement différente si les retraites étaient, au moins de façon complémentaire, gérées par de l’épargne de long terme. L’épargne retraite devrait être un complément indispensable du régime de retraite par répartition.

Par ailleurs, nous avons fait des travaux avec des équipes des universités du Mans et d'Angers pour analyser le rôle des fonds de pension en Suède, bien que les retraites suédoises ne soient pas financées exclusivement par des fonds de pension, loin de là. Mais ces derniers sont importants et ont investi dans l'économie suédoise. Nous avons montré que même pendant la crise, ils ont maintenu leur participation et sont vraiment des investisseurs de long terme. Un fonds de pension peut suivre une gestion de long terme et faire preuve d'une certaine forme de patriotisme économique.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº826bis