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Marchés financiers

Le trading haute fréquence sous haute surveillance

Créé le

17.05.2012

-

Mis à jour le

27.06.2012

Les volumes traités par le trading haute fréquence continuent à augmenter mais la crise financière et aussi le krach boursier de mai 2010 ont suscité des questionnements sur cette activité : quels sont ses effets réels sur la microstructure des marchés ? Sont-ils bénéfiques ? Par ailleurs, les banques doivent-elles investir cette activité jusqu’à présent principalement menés par des fonds d’investissement ?*

Après une expérience de deux ans au sein du département de trading propriétaire de Goldman Sachs, Sergey Aleynikov fut contacté par une start-up qui lui proposait de tripler son salaire. Le 3 juillet 2009, le FBI l’arrêta à New York. Son ancien employeur, Goldman Sachs, l’accusait d’avoir copié des codes informatiques permettant de traiter à haute vitesse de très gros volumes sur les marchés actions et matières premières. En décembre 2010, M. Aleynikov fut condamné à 97 mois de prison ferme et à 12 500 dollars d’amende.

Cette histoire de vol de propriété intellectuelle, pourtant bien banale, fut amplement médiatisée. Spéculation financière, gains importants par temps de crise, échelle de temps à la microseconde : le trading haute fréquence (High Frequency Trading – HFT) était pour la première fois sous les feux de la rampe. Dans un contexte économique particulièrement difficile, il attire aujourd’hui l’attention du régulateur. Le Sénat français propose de taxer à hauteur de 0,1 % les montants relevant indirectement des stratégies du HFT. Quant à l’autorité européenne de régulation des marchés financiers, elle entend renforcer la réglementation afin d’améliorer les contrôles des risques générés spécifiquement par cette forme de trading.

Une forme particulière de trading automatisé

Le HFT est une forme particulière de trading automatisé, dit algorithmique, dans laquelle la vitesse de la prise de décision et d’exécution de l’ordre joue un rôle central : dès lors que certains signaux prédéterminés sont détectés, des modèles mathématiques, algorithmiques, aboutissent à une prise de décision (rester hors du marché, passer un ordre de marché à l’achat/vente, niveaux du stoploss ou de la prise de profit…). Des déséquilibres au sein d’un carnet d’ordres, la valeur particulière d’un indicateur technique, un certain niveau de corrélation ou de spread intermarchés, une dépêche économique ou géopolitique peuvent être autant de signaux pris en compte par l’algorithme dans son processus décisionnel.

C’est en multipliant de très nombreuses fois et très rapidement de petites transactions qu’une stratégie de HFT parvient à dégager des résultats financiers conséquents. Les ordres de prise de position sont transmis, reçus et exécutés dans un laps de temps de l’ordre de quelques microsecondes. Le risque inhérent à la détention d’une position est faible dans le cadre du HFT : la position est très souvent tenue moins de 5 secondes.

Des modèles quantitatifs sophistiqués appuyés par une infrastructure informatique très performante ainsi qu’une vitesse d’exécution record permettent aux traders haute fréquence de tirer profit des plus infimes imperfections des marchés. L’arbitrage, décliné sous de nombreuses formes, a ainsi la préférence du HFT.

Les stratégies mises en œuvre

Dans le cadre de ce type de trading, la stratégie d’arbitrage la plus recherchée est l’arbitrage déterministe du fait de son espérance de gain égale à 100 %. Un modèle algorithmique qui détectera en t que le prix de l’or est de 99 dollars à Londres et 100 dollars à New York transmettra un ordre d’achat à New York, un ordre de vente Londres et remportera la différence de prix avec un gain certain déterminé dès l’observation de l’opportunité d’arbitrage. D’autres formes d’arbitrage sont également utilisées par la haute fréquence :

  • l’arbitrage statistique ;
  • l’arbitrage de latence, qui exploite le décalage de temps entre les mouvements de prix de marché et les prix remarqués par les market makers ;
  • ou bien encore les stratégies d’apport de liquidité, lesquelles exploitent des déséquilibres constatés au sein du carnet d’ordre d’un actif donné.
Bien entendu, les prises de décisions résultant de ces stratégies d’arbitrage sont dans la plupart des cas filtrées, confirmées ou modifiées par de l’analyse technique automatisée, ou bien encore par l’interprétation automatique de nouvelles économiques.

Pour maximiser les chances d’exécution des ordres émis par les modèles algorithmiques, et ce dans les meilleurs délais, le HFT limite son périmètre d’intervention à des actifs extrêmement liquides. Les principaux actifs ciblés sont :

  • les marchés actions et dérivés actions (principalement à Chicago, New York, Londres, Francfort, et dans une moindre mesure en Asie, à Hong Kong et Tokyo) ;
  • le marché des changes (avec une concentration des pairs extrêmement actifs que sont EUR/USD, USD/GBP et USD/JPY).

Les hedge funds en première ligne

Le HFT est principalement utilisé par des hedge funds, dans le cadre de stratégies d’investissement dites « relative value » ou « market neutral ». Les départements de trading pour compte propre de grandes banques d’investissement internationales peuvent également recourir à ce type de trading. Selon les estimations, on parle de 30 à 35 % des transactions réalisées en Europe et plus de 50 % de celles réalisés sur le marché américain le sont par des algorithmiques de HFT. Spécifiquement, le marché des changes enregistrait en avril 2010 un volume journalier généré par le HFT de près de 393 milliards de dollars [1] .

Quels impacts sur la microstructure des marchés financiers ?

Sujet d’étude encore trop récent, le HFT divise tant les opérateurs de marchés que le monde universitaire.

Ses partisans considèrent que dans des conditions de marché normales, ce trading est une source de liquidité grâce au spectre des stratégies d’arbitrage qu’il balaye. À l’inverse, les pourfendeurs de la haute fréquence ne voient dans cet effet favorable qu’un leurre et parlent à ce propos de « liquidity mirage » : bien qu’ayant placé plusieurs ordres sur plusieurs marchés simultanément et donnant une impression de bonne liquidité, la stratégie haute fréquence les fera tous disparaître dès lors qu’un seul de ces ordres sera exécuté.

Par ailleurs, certains ont pu relever que l’introduction du trading algorithmique et duHFT a été suivie d’une amélioration de la microstructure des marchés ciblés par ce trading : la volatilité a diminué et les spreads des cours achat/vente se sont resserrés. De façon générale, le HFT contribuerait à rendre les marchés plus efficients, dans la mesure où la multiplication des opérations d’arbitrage réalisées par les traders haute fréquence minimisent les inefficiences et autres écarts anormaux entre différentes places.

Une nouvelle fois, les opposants à cette forme de trading répondent que cette amélioration de la microstructure des marchés ne serait qu’un leurre, celle-ci ne bénéficiant au final qu’aux traders algorithmiques. Ils estiment également que certaines stratégies d’arbitrage réalisées par la haute fréquence introduiraient une incertitude structurelle dans les marchés au lieu d’améliorer leur efficience : la transmission d’ordres en grand nombre, motivée par une analyse avant tout quantitative et non fondamentale, pourrait freiner l’intervention sur le marché des opérateurs de marché classiques, et peut-être décorréler la valorisation d’un actif financier de sa valeur économique au profit d’une valeur simplement statistique et mathématique.

Le flash crash de mai 2010

Enfin, de façon pragmatique, de nombreux opérateurs de marchés jugent le HFT comme étant le trading le plus réactif et donc celui apportant la meilleure réponse aux changements de conditions de marché. Pour ses opposants, si cette efficacité venait à rendre prépondérant les traders haute fréquence sur les traders traditionnels, ces derniers seraient conduits vers des marchés dits « dark », où le carnet d’ordre n’est pas public et au sein desquels les transactions sont effectuées de manière anonyme. Cette situation rendrait les marchés de trading plus opaques, dégradant ainsi leur microstructure.

Le débat suscité par les transactions à haute fréquence a connu un rebondissement saisissant lorsque les actions américaines enregistrèrent une fluctuation très particulière de leurs cours. Le 6 mai 2010, dans un contexte économique plombé par la crise grecque, les marchés actions américains ouvrent en baisse. À 14 h 42, l’indice Dow Jones chute brutalement et perd 600 points en l’espace de cinq minutes. Certaines actions valorisées à hauteur de 40 dollars cotent soudainement 1 centime de dollar. À 15 h 07, soit 20 minutes après le pic baissier, le Dow Jones recouvre ses pertes et revient à son niveau initial.

Chargées de diligenter une enquête sur ce qui fut appelé le flash crash, les autorités de marché américaines, cinq mois après cet épisode, faisaient état d'un « marché fragmenté et fragile au point qu’une seule transaction importante pouvait entraîner une brusque spirale baissière ». La SEC et la CFTC, qui ont conjointement enquêté, ont montré qu’un fonds mutuel avait initialement vendu une quantité inhabituelle de contrats futures sur l’indice S&P500, générant ainsi une tendance baissière sur les marchés actions. Les algorithmes de transactions à haute fréquence, qui avaient repéré ce mouvement, ont alors commencé à prendre, très rapidement et en quantités importantes, des positions à la vente sur les marchés actions, ce qui a contribué à transformer une tendance baissière en krach.

Un effet boule de neige en trois temps

Les autorités américaines ont donc conclu que si le HFT n’était pas l’instigateur de cette chute, il avait cependant perturbé et accéléré la fluctuation des cours. Ce phénomène – les transactions à haute fréquence contribuent à accélérer le rythme des fluctuations des marchés – s’appelle le « hot potato trading ». Il se caractérise par un effet boule de neige en trois temps :

  • d’abord, les algorithmes subissent la pression à la vente d’intervenants classiques, comme le fonds mutuel qui a initié la tendance baissière du flash crach de 2010, entraînant mécaniquement une importante réduction de la taille des positions acheteuses ;
  • la tendance baissière continuant et l’appétit au risque des traders haute fréquence étant limité, les algorithmes clôturent leurs positions acheteuses par des prises de positions massives à la vente ;
  • enfin, en l’absence d’acheteurs traditionnels et en présence d’une forte augmentation du niveau de volume à la vente, les signaux réagissant à une augmentation du volume conduisent à leur tour à passer des ordres à la vente.
Pour les détracteurs du HFT, ce type de transactions a une implication systémique forte, en raison de sa capacité forte à propager, amplifier et accélérer une fluctuation de cours : la rapidité de réaction et d’exécution de cette forme de trading, sa capacité à cumuler des positions ouvertes importantes par la multiplication de petites transactions seraient ainsi en mesure de perturber profondément la microstructure des marchés, au point de déstabiliser le système financier par un phénomène de contagion intermarchés.

Sensibilisée sur cette question, l’ESMA a publié en février 2012 la traduction officielle des résultats de sa consultation de place visant à préciser les bonnes pratiques en matière de trading automatisé (voir Encadré 1). Les superviseurs nationaux avaient dès lors deux mois pour se prononcer sur ces orientations. Pour la France, l’AMF a choisi de les appliquer en totalité [2] .

Les impacts prévisibles

Si les volumes traités par l’entremise du HFT continuent à augmenter et que le succès de cette forme de trading se confirme, les banques souhaiteront probablement investir massivement ce segment qui demeure encore principalement l’apanage des hedge funds. Un tel mouvement ne serait pas anodin. L’industrie bancaire aurait un avantage certain sur l’industrie des fonds alternatifs, dans un univers où la rapidité d’analyse et d’exécution est essentielle : leurs algorithmes auraient la primeur de l’analyse des carnets d’ordre.

Cependant un développement sans entrave du HFT n’est pour autant pas assuré et de nouvelles législations prudentielles peuvent profondément modifier son exercice. Ainsi, certaines plates-formes d’exécution à haute fréquence pourraient être délaissées au profit de stratégies classiques, eut égard aux conditions imposées par la loi Dodd Frank, votée par le Congrès américain en 2010. Par ailleurs, les conséquences du krach éclair de 2010 sont encore visibles, à travers la volonté très ferme du législateur et des autorités prudentielles de contrôler et limiter les potentiels impacts systémiques du HFT.

Aller vers plus de transparence

Dans l’attente d’un consensus définitif sur les atouts et les dangers que constituent pour la microstructure des marchés les transactions à haute fréquence, il serait sans doute inapproprié d’accélérer le rythme des régulations visant à brider ou à favoriser cette forme si particulière d’investissement. Le monde financier traditionnel, tout comme le législateur, redoute ce qu’il ne connaît pas. Le plus grand défi que relèvera le HFT sera certainement de réussir à lever le voile de mystère qui l’entoure et qui accentue la crainte, parfois irrationnelle, de ses modèles quantitatifs et de ses algorithmes.


1 Chiffrées données par le chef de la surveillance des marchés de l’Autorité des marchés financiers lors de la 11e journée RCCI/RCSI de mars 2011. 2 Position AMF n° 2012-03 relative aux systèmes et contrôles dans un environnement de négociation automatisé, publiée le 5 avril 2012.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº750
Notes :
1 Chiffrées données par le chef de la surveillance des marchés de l’Autorité des marchés financiers lors de la 11e journée RCCI/RCSI de mars 2011.
2 Position AMF n° 2012-03 relative aux systèmes et contrôles dans un environnement de négociation automatisé, publiée le 5 avril 2012.