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Assureur

« Prudence face aux offres des banquiers, gérants d’actifs et réassureurs »

Créé le

18.01.2018

-

Mis à jour le

30.01.2018

Très sollicité par les banquiers, les gérants d’actifs et par les réassureurs, qui proposent des solutions économes en fonds propres dans un environnement Solvabilité 2, AG2R LA MONDIALE affiche la plus grande prudence. Le coût de ces offres, intéressantes par ailleurs, constitue le frein principal.

Quel est aujourd’hui le périmètre d’AG2R LA MONDIALE, en termes d’encours sous gestion ?

AG2R LA MONDIALE gère un encours de 115 milliards d’euros, dont 16 milliards au titre de la retraite complémentaire [1] .

Comment se répartit votre portefeuille entre les différentes classes d’actifs ?

Nos actifs assurantiels en euros sont surtout obligataires. Notre portefeuille est investi à 27 % en obligations souveraines, 23 % en obligations privées émises par des établissements financiers et 23 % en obligations privées émises par des entreprises non financières. Les actions représentent 10 % de nos investissements et l’immobilier 5 %.

Comment a évolué votre poche actions récemment et comment voyez-vous évoluer, à court terme, ce marché qui a beaucoup monté ?

Le marché actions s’est beaucoup valorisé depuis 4-5 ans : de fin 2012 à fin 2017, l’indice CAC 40, dividendes réinvestis, s’est valorisé de 72 %. Cette classe d’actifs est, de façon générale, coûteuse en fonds propres, mais après 5 ans de hausse des cours, la charge en capital est augmentée, sous l’effet de l’activation d’un ajustement symétrique (qui permet de calculer le dampener [2] ). Structurellement, les actions ont un coût en capital, hors mesures transitoires [3] , de 39 % mais en réalité, ce coût oscille entre 29 et 49 % selon le cycle : quand le marché a baissé, la charge est allégée et inversement. Nous allons donc bientôt voir augmenter la charge en capital lié à notre détention d’actions (du fait de cet ajustement symétrique et de la diminution progressive de l’effet des mesures transitoires) sauf si nous nous couvrons contre le risque de chute du marché actions.

À cet ajustement vient s’ajouter un autre mécanisme applicable aux assureurs retraite : en cas de baisse des taux, nous effectuons un choc de taux [4] sur nos passifs et nos actifs, déduction faite de ce que nous détenons sous forme d’actions. Ce mécanisme, qui fait que les chocs de taux sont appliqués sur 100 % des passifs mais sur seulement 85 % des actifs, pénalise lui aussi, de manière indirecte, la détention d’actions.

C’est dans ce contexte que nous nous sommes demandé si nous devions nous protéger contre un risque de chute du marché actions, qui ne peut être exclu.

Pour vous protéger face au risque de chute du marché actions, avez-vous eu recours aux offres de prestataires externes ?

Les banques et, dans une moindre mesure, les Asset Managers proposent des stratégies optionnelles. Nous avons attentivement examiné ces propositions de couvertures optionnelles, mais nous avons finalement décliné : elles coûtent trop cher, même avec une volatilité historiquement basse. Comparées au gain en capital qu’elles peuvent rapporter, elles n’apparaissent pas aujourd’hui très intéressantes. Nous n’avons donc pas eu recours aux stratégies optionnelles. Nous avons préféré réduire notre exposition, en cédant pour 500 millions d’euros d’actions.

Plus globalement, que pensez-vous des offres des banquiers, mais aussi des gérants d’actifs et des réassureurs qui proposent des solutions visant à aider les assureurs dans l’environnement Solvabilité 2 ?

Les produits les plus sophistiqués et les plus coûteux qui nous sont proposés ne sont pas forcément les plus intéressants. Par exemple, en matière de réassurance, nombre d’assureurs continuent de recourir à la réassurance en quote-part, c’est-à-dire la réassurance « à l’ancienne ».

J’ai le sentiment que les offres plus récentes, nées avec l’arrivée de Solvabilité 2, se sont peu développées. Il s’agit, avec ces produits plus sophistiqués, de transférer au réassureur uniquement les queues de distribution, c’est-à-dire les événements rares, qui sont coûteux sous Solvabilité 2.

Globalement, nous faisons preuve de prudence face aux offres des banquiers, gérants d’actifs et réassureurs.

Comment percevez-vous la perspective d’une hausse des taux ?

En tant qu’assureur dont une grande partie de l’activité concerne la retraite, la hausse des taux est une bonne nouvelle, très attendue par les acteurs dont les passifs sont plus longs et moins sensibles aux rachats. Certes, quand elle se produira, la valeur de nos actifs obligataires mal rémunérés va baisser, mais cela constitue un risque de deuxième ordre car l’horizon de nos actifs (environ 7 ans) est plus court que l’horizon de notre passif (environ 15 ans, activités retraite et épargne confondues). Le paramètre le plus important en cas de hausse des taux, c’est qu’elle fera baisser la valeur de nos passifs dans des proportions plus importantes que la baisse de nos actifs ; une hausse des taux serait donc une excellente chose pour nous. La seule limite à ce raisonnement est la tentation qu’auront les détenteurs de nos produits d’épargne de racheter leurs contrats.

En attendant la hausse des taux, nous nous réjouissons, en tant qu’émetteur, de pouvoir nous financer à des taux qui sont encore très attractifs, d’autant que, disposant d’une capacité d’émission sur les marchés en dollars, nous pouvons bénéficier du différentiel favorable entre USD et euros.

Solvabilité 2 est en train de se réformer ; qu’attendez-vous de cette réforme ?

L’EIOPA [5] a publié un premier texte le 30 octobre 2017 et le second texte devrait être publié en ce mois de février. Le premier texte n’apporte que des améliorations à la marge et nous suivons les discussions sur le deuxième. Mais cette réforme risque de ne pas opérer une refonte structurelle des difficultés que nous rencontrons avec Solvabilité 2.

Quelles sont ces difficultés ?

Cette réglementation est très contraignante du point de vue des investissements : par exemple la détention d’actions est très coûteuse en fonds propres, et donc découragée, alors que ces investissements permettent de financer l’économie et que certains assureurs disposent d’un horizon suffisamment long pour supporter les aléas de ce marché.

Au-delà des investissements, Solvabilité 2 gêne les assureurs de par sa complexité. En effet, les assureurs eux-mêmes, tout comme le marché (c’est-à-dire les investisseurs qui nous financent), ont du mal à comprendre la manière dont le modèle réagit. C’est donc une réflexion de long terme qui doit être menée, afin d’améliorer de façon structurelle la situation des assureurs.

Ne souhaitez-vous pas loger votre activité retraite dans un FRPS [6] ? Cette activité pourrait dès lors obéir aux règles de Solvabilité 1…

Si notre activité retraite devenait un FRPS, cela impliquerait de renoncer à la mutualisation des risques entre notre activité retraite, soumise au risque de baisse des taux, et notre activité épargne, soumise au risque de hausse des taux. Or cette mutualisation est très intéressante pour nous, notamment du point de vue de la réglementation Solvabilité 2. Nous n’excluons pas définitivement l’hypothèse d’un passage en FRPS, mais à ce stade, et s’il n’y a pas d’ajustement réglementaire relatif au traitement de la réassurance interne, il semble prudent de ne pas sacrifier les fondements de la gestion actif-passif pour un arbitrage réglementaire. Cette analyse devra être régulièrement revisitée, acteur par acteur, et au vu de l’évolution des équilibres actif-passif.

AG2R-La Mondiale cherche-t-il toujours à financer les entreprises sous forme de prêts ? Et quel est le traitement réservé par Solvabilité 2 à cette classe d’actifs ?

J’estime que notre rôle est de financer l’économie, en particulier l’économie dans les territoires, au plus proche de nos assurés. Donc nous sommes notamment investis dans des fonds de prêts et nous octroyons également des prêts en direct. Au total, nous sommes exposés à hauteur aujourd’hui de 1,2 milliard d’euros à cette nouvelle classe d’actifs, qui a commencé à émerger début 2012. Toutefois, ces dernières années, la rémunération de ces loans a eu tendance à baisser, de sorte qu’aujourd’hui, elle couvre difficilement le coût de ces actifs en fonds propres qui est lié à la maturité des prêts, mais également à la qualité de crédit de l’emprunteur.

Que pensez-vous d’IFRS 17 "contrats d'assurance" ?

La future norme comptable IFRS 17 est très inquiétante. Ses concepteurs ont choisi la voie de la complexité.

Par exemple, dans le domaine des contrats d’assurance vie, et en l’état actuel du texte, nous devrions appliquer une segmentation très fine qui nous empêcherait de mutualiser les gains et les pertes que nous réalisons sur un certain nombre de produits. Or la mutualisation constitue un paramètre important du métier d’assureur.

De plus, certaines dispositions d’IFRS 17 sont peu compatibles avec Solvabilité 2 : les métriques utilisées ne sont pas les mêmes.

Quant à la forme du compte de résultat, elle subit une révolution : le chiffre d’affaires disparaît, au profit de variations d’hypothèses par rapport à l’année précédente ! Il n’est pas évident que la lisibilité des comptes par les parties prenantes (notamment les investisseurs) soit améliorée.

Nous avons commencé à nous préparer à l’application d’IFRS 17, car – malheureusement – la norme est publiée et nos premiers tests auront lieu courant 2018. Mais nous espérons certaines inflexions de la part de la Commission, par exemple un carve out : certaines dispositions de la norme pourraient ne pas entrer en application tant qu’elles ne conviennent pas aux assureurs européens. Nous comptons aussi sur la façon dont l’EFRAG [7] va interpréter IFRS 17.

 

1 Données au 31 octobre 2017, incluant les actifs gérés par la société de gestion.
2 Coussin permettant d’augmenter ou de réduire la charge en capital en fonction de l’évolution du marché.
3 Les mesures transitoires permettent une mise en œuvre progressive de la réglementation.
4 Risque lié à l’évolution des taux et qui génère un certain niveau de fonds propres exigibles.
5 European Insurance and Occupational Pensions Authority.
6 Fonds de retraite professionnelle supplémentaire (véhicule créé par la loi Sapin 2).
7 European Financial Reporting Advisory Group. Cet organisme veille à la prise en compte, par l’IASB, du point de vue européen sur les normes comptables internationales.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº817
Notes :
1 Données au 31 octobre 2017, incluant les actifs gérés par la société de gestion.
2 Coussin permettant d’augmenter ou de réduire la charge en capital en fonction de l’évolution du marché.
3 Les mesures transitoires permettent une mise en œuvre progressive de la réglementation.
4 Risque lié à l’évolution des taux et qui génère un certain niveau de fonds propres exigibles.
5 European Insurance and Occupational Pensions Authority.
6 Fonds de retraite professionnelle supplémentaire (véhicule créé par la loi Sapin 2).
7 European Financial Reporting Advisory Group. Cet organisme veille à la prise en compte, par l’IASB, du point de vue européen sur les normes comptables internationales.