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Relation banque entreprise

« Plus que le crédit, c’est le financement en fonds propres des entreprises qui pose problème »

Créé le

19.01.2012

-

Mis à jour le

27.02.2012

Pour Philippe Messager, le danger en matière de financement ​d’entreprise ne vient pas d’un credit crunch issu des contraintes ​réglementaires de Bâle III, mais de Solvabilité 2 : ce texte décourage les prises de participations des assureurs au capital des entreprises, ​notamment des PME. Or, sans fonds propres, celles-ci auront bien du mal à ​négocier des concours bancaires.

Faut-il craindre un credit crunch en 2012 ?

Cela dépend de divers éléments : tout d’abord, la situation post-faillite de Lehman en 2008, avec aujourd’hui la crise des dettes souveraines qui contraint les banques à enregistrer des provisions très importantes. Dans ces conditions, il est concevable que ces dernières soient plus regardantes concernant leurs résultats et qu’elles prennent des mesures sévères concernant la distribution du crédit. Le deuxième élément à avoir en tête est le renforcement des réglementations : deux d’entre elles, Bâle III et Solvabilité 2, sont directement corrélées à la question posée.

Bâle III comporte des dispositions importantes qui ne figuraient pas dans la réglementation précédente, entre autres sur la liquidité des banques à court et moyen terme, et qui visent à disposer d’un système bancaire de meilleure qualité, car plus solide. Il en résulte des marges, toutes choses égales par ailleurs, sensiblement plus élevées que celles pratiquées jusque-là. Il ne faut pas que cette nouvelle réglementation serve à stigmatiser le système bancaire et qu’il distribue moins du crédit aux petites et moyennes structures, voire qu'il arrête de le faire. Cependant, les statistiques économiques montrent que depuis plusieurs mois, la France est entrée en récession. Dans ce contexte, les PME ne veulent pas aujourd’hui engager des projets d’investissement lourds. La demande de crédits, plus que l’offre, se réduit donc.

En fait, la distribution de crédits dépend d’abord du niveau des fonds propres de l’emprunteur. Ce sujet me paraît beaucoup plus préoccupant que le thème du coût mis en avant à travers Bâle III. Ainsi, sur la base d’études et de calculs plus ou moins explicites, Solvabilité 2 exige 39 % de fonds propres pour des investissements en titres cotés, et 49 % pour des titres non cotés. Rares sont les acteurs qui pourront se permettre de prendre des participations dans des PME, compte tenu de la mobilisation réclamée en fonds propres et donc de l’impact sur la rentabilité de leur investissement. Certains semblent d’ores et déjà prêts à se retirer de ce compartiment. Ainsi, ce n’est pas le financement bas de bilan des PME qui pose problème, mais bien plutôt le financement en equity.

Reste-t-il une marge de manœuvre pour modifier le texte de Solvabilité 2 ?

Il faut attirer fortement et rapidement l’attention des régulateurs, sans quoi le traitement risque de tuer le client ! D’autant que le contexte économique actuel est excessivement sensible. La mise en place d’un cadre beaucoup plus rigide se déroulerait sûrement mieux dans un environnement plus alerte et serein. Sans même s’arrêter sur le point de savoir s’il est bon de mettre en place de nouvelles réglementations au plan européen, sachant que la concurrence est mondiale…

Ces nouvelles réglementations ne poussent-elles pas les entreprises à se financer davantage sur les marchés qu’auprès de leurs banques ?

Concernant les plus grandes entreprises, Bâle III devrait les inciter un peu plus à se tourner vers le marché obligataire, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose. Celui-ci offre en effet la possibilité de lever des fonds sur une durée sensiblement plus longue que ce que propose le marché bancaire : une entreprise, même en bonne santé financière, pourra difficilement négocier auprès de sa banque un emprunt non adossé d’une durée supérieure à 5 ans, alors que le marché obligataire selon les devises sélectionnées, peut permettre de lever des fonds à 30, 40, 50 ans. Mais, à l’instar de ce qui se voit aux USA, les grandes entreprises françaises se financent déjà pour près de 80 % sur le marché obligataire et pour un peu moins de 25 % sur le marché bancaire. En revanche, les PME françaises sont bien loin de ces ratios. Ce qui peut s’expliquer assez aisément car dans le système économique français, une petite ou moyenne entreprise qui se développe convenablement entre tôt ou tard dans le giron d’un groupe plus important. La maison mère centralise aussitôt les besoins de financement. Le marché a ainsi une forme de sablier avec, d’un côté, les grandes entreprises qui peuvent prétendre aux financements désintermédiés et, de l’autre, les petites et moyennes qui restent cantonnées au marché bancaire. Car on ne fait pas une émission obligataire pour lever quelques millions d’euros. Il faut un montant minimum et mieux une régularité dans les émissions pour être crédible auprès des investisseurs.

Cependant, pour gagner en marge de manœuvre, les PME peuvent intégrer dans leur relation avec leurs banquiers des éléments de gestion de l’entreprise au jour le jour (side business), mais aussi de gestion patrimoniale. Les banques pourront s’occuper de la situation personnelle de l’entrepreneur à condition de participer aux besoins de financement de l’entreprise.

Serait-il possible de donner un accès aux marchés aux PME en regroupant leurs besoins au sein de structures d’émission ad hoc ?

Il est peut-être possible de revenir à des groupements comme le GOBTP ou le GITT, qui organisaient dans les années 1980, pour le compte de leurs membres, des appels collectifs à l’épargne publique. Mais ces pratiques soulèvent plusieurs problèmes. Tout d’abord, ces financements ont souvent été mis en place de façon conjointe et solidaire : selon un principe de mutualisation des pertes, si un des membres participants fait défaut, les autres prennent en charge sa partie. Est-il souhaitable de poursuivre de cette façon ? Ensuite, comment le marché va-t-il apprécier ce type de structure ? Ne risque-t-il pas d’évaluer l’opération selon le principe du maillon le plus faible ? L’investisseur va fixer sa marge, en fonction de la santé financière du plus faible des adhérents émetteurs.

Côté investisseurs, faut-il réactiver le marché obligataire pour les particuliers, à l’image de ce qui se passe en Italie, pour faciliter les émissions des corporate ?

Le marché obligataire du retail a été actif il y a de nombreuses années. Des tentatives pour le redynamiser ont été menées à travers, entre autres, une opération à 6 ans lancée en 2008 par EDF. Mais ce marché n’a pas grand-chose à voir avec celui des investisseurs institutionnels.

Pour toucher la « veuve de Carpentras », il faut mettre en œuvre des moyens de promotion et de publicité très importants, donc très coûteux. La durée des émissions est longue : sur le marché obligataire des investisseurs institutionnels, dès lors que la documentation est prête, vous pouvez mener une opération de plusieurs milliards d’euros en quelques heures ; alors que si vous vous adressez au marché des particuliers, les books devront rester ouverts pendant 15 jours au minimum, comme cela s’est passé au printemps 2008 pour EDF. Sans compter l’impact sur le prix de la transaction, car vous êtes obligés d’annoncer son rendement au moment de son lancement et de le maintenir tout au long de l’ouverture des books, sans savoir comment vont évoluer les taux pendant cette période sur des marchés présentant souvent des volatilités importantes.

Dernier biais, EDF avait offert à l’époque une clause de green shoe, c'est-à-dire que nous nous étions engagés à servir toutes les demandes qui pouvaient remonter des réseaux bancaires. Nous étions partis avec l’idée de lever un montant de l’ordre de 700 millions d’euros, et nous nous sommes retrouvés finalement avec 3,3 milliards.

Redynamiser le marché obligataire des particuliers pourrait être envisageable, mais à condition de revoir sa manière de fonctionner pour éviter, pour l’émetteur, des prises de risque et des prix trop élevés.

Que pensez-vous du renforcement de la réglementation annoncée sur les produits dérivés ?

Nous restons sur notre position, à savoir : les entreprises utilisent ces marchés pour couvrir les risques financiers liés à leurs positions patrimoniales ou commerciales. Or, dans ce cas de figure, vous êtes obligés de faire du « sur-mesure (OTC) », si vous ne voulez pas impacter comptablement votre PNL à chaque échéance. Vous ne pouvez pas vous contenter des produits standard. Il faut veiller à ce que la réglementation ne vienne pas renchérir significativement le coût de ces opérations pour les entreprises ou diminuer les possibilités de couverture. La Commission européenne semblait avoir tenu compte de ces préoccupations dans la première mouture du texte. Mais les versions plus récentes marquent un revirement inquiétant…

L’intervention des pouvoirs publics dans les questions des financements banque entreprise, comme cela s’est vu au cours des derniers mois, est-elle souhaitable ?

Le système bancaire relève d’une activité à risque systémique immense, d'une certaine manière comparable à celui de l’industrie nucléaire. De fait, il n’est pas souhaitable de voir l’industrie nucléaire se développer totalement en dehors du giron de l’État, puisqu'en cas de catastrophe et nous l’avons bien vu au Japon, ce sont au final les pouvoirs publics qui sont appelés à la rescousse. De la même façon, en cas de crise financière majeure, les pouvoirs publics interviendraient pour sauver les banques commerciales et éviter des conséquences dramatiques concernant au moins les déposants. Dès lors, faut-il imposer une participation capitalistique ou réfléchir à créer des participations croisées comme celles développées avec OSEO, la Caisse des Dépôts, ou développer une panoplie de garanties ?

Quelles sont finalement les leçons de la crise pour la relation banque entreprise ?

Avec la crise financière de 2008, c’est bien souvent les contribuables qui ont été amenés à cotiser pour sauver le système bancaire national. Globalement, par son incurie, celui-ci a été défaillant. Et du coup, les banquiers vilipendés sont descendus de leur piédestal, et ont adopté, me semble-t-il, une position peut-être moins condescendante, voire moins arrogante. Alors qu’il y a quelques années, certains établissements annonçaient sans vergogne des taux de retour sur capitaux propres de 15 à 25 %, aujourd’hui, ceux-ci ont été très largement revus à la baisse. Incontestablement, clients et banquiers se sont sensiblement rapprochés. Je pense que la relation banque entreprise s’appuiera de plus en plus sur la domiciliation du side business de type donnant-donnant. Cependant, cette crise a aussi eu pour effet d’engendrer chez les banquiers un réflexe de prudence tendant souvent vers la pusillanimité. Il ne faudrait pas que ceci tue définitivement l’esprit d’initiative.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº745