Peu après l’adoption de l’Accord de Paris, la France s’est dotée d’un nouvel objectif, celui atteindre la neutralité climat en 2050. « Atteindre la neutralité climat », cela signifie équilibrer les émissions de gaz à effet de serre du territoire et la capacité de ses puits de carbone, notamment la
La France est donc un des premiers pays à mettre en rapport son projet de développement économique avec la contrainte de faibles émissions. Cette volonté se décline en politiques publiques qui répartissent les efforts et les moyens, sous la houlette d’une Stratégie nationale bas-carbone, dont la première édition, parue en 2015, est en cours de révision pour y inclure le nouvel objectif de neutralité
Pour savoir si notre pays prend effectivement le tournant d’une « transition énergétique » vers ce nouvel objectif, on peut s’intéresser aux investissements réalisés chaque année dans les technologies et les projets qui réduisent les émissions. En effet, ces investissements « en faveur du climat » laissent entrevoir ce que sera l’économie future : mettre en œuvre la stratégie nationale implique leur généralisation. À l’inverse, sans un changement en profondeur des équipements de production et de consommation d’énergie, il est certain que les efforts individuels ou les actions à la marge seront insuffisants.
Avant de consentir à investir pour le climat, ménages, entreprises et acteurs publics doivent être en mesure de rassembler les financements pour acheter les équipements à faible émission. Par conséquent, examiner le financement de la transition permet d’en comprendre les moteurs et les freins. Parmi les entreprises, on peut se demander quel rôle sont amenés à jouer les acteurs financiers. En effet, leur intervention, déjà cruciale dans la mise en relation des épargnants et des investisseurs d’aujourd’hui, devient essentielle lorsqu’il s’agit d’accroître et de rediriger rapidement les capacités d’investissement en faveur d’une économie « verte ».
En France, 40 milliards d’euros par an investis pour le climat
Dans son Panorama des financements climat (graphique), I4CE – Institute for Climate Economics recense les investissements publics et privés en faveur du climat, analyse leur financement et les compare aux besoins esquissés dans la Stratégie nationale bas-carbone. En 2017, la France consacre environ 42 milliards d’euros aux investissements favorables au climat. C’est un montant important, plus de 10 % du total des investissements matériels réalisés au cours de l’année.
Si la transition énergétique évoque souvent en priorité le déploiement des énergies renouvelables, on constate qu’elles ne comptent que pour 6,6 milliards d’euros dans ce total, tandis que près de 20 milliards d’euros sont consacrés à l’efficacité énergétique, et 10 milliards d’euros à la construction d’infrastructures durables dans le secteur des transports et des réseaux. Les investissements dans le développement et la prolongation du parc nucléaire atteignent 2,8 milliards d’euros. Ceux dans la forêt et les procédés industriels non énergétiques représentent 2 milliards d’euros.
Les tendances qui animent le niveau des investissements depuis 2011 sont contrastées. Dans le domaine de l’efficacité énergétique, ils augmentent sous l’effet de la reprise de l’activité immobilière, de l’accélération des normes de performance et du déploiement des programmes de rénovation énergétique des logements privés et sociaux. Dans le domaine des infrastructures de transport, l’engagement de grands chantiers (LGV, transports en commun, Grand Paris) portent les investissements à un niveau historiquement élevé. Dans le domaine des énergies renouvelables, leur niveau a plutôt décru, sous l’effet du ralentissement de l’activité des installateurs, mais aussi de la baisse des coûts d’installation (notamment solaire).
Les pouvoirs publics de plus en plus présents dans les financements
Sur les 42 milliards d’euros consacrés au climat en 2017, près de la moitié, soit environ 20 milliards d’euros, l’a été au travers d’une décision publique d’investissement ou de financement. Cette participation du secteur public est élevée par rapport au reste de
Le secteur financier joue également un rôle croissant
On pourrait s’étonner que la part des marchés financiers dans le financement des investissements de la transition s’accroisse en même temps que celle des pouvoirs publics. Mais il faut tenir compte du fait que la plupart des institutions publiques s’endettent aussi auprès d’acteurs financiers afin d’entreprendre des investissements à grande échelle. Ainsi, l’État, certaines collectivités, les banques publiques et quelques grandes entreprises publiques ont émis des « obligations vertes » pour financer leurs investissements ou leurs
Par ailleurs, les banques commerciales participent au cofinancement de nombreux projets d’entrepreneurs privés. Elles prêtent aux producteurs d’énergie renouvelable d’origine éolienne ou solaire, chez qui l’endettement permet de couvrir jusqu’à 80 % des coûts initiaux des projets, aux agriculteurs qui engagent des projets de méthanisation à la ferme, ou aux ménages (certes, les plus aisés) qui se lancent dans la rénovation énergétique de leur logement.
Pour les entreprises, banques et marchés financiers jouent dès aujourd’hui un rôle crucial dans le financement de leurs investissements en faveur du climat. Cependant, le caractère innovant et donc risqué de beaucoup de projets de la transition énergétique se traduit par une exigence de produire des garanties supplémentaires, dont certaines peuvent être coûteuses.
Augmenter les investissements climat
On peut déduire les besoins d’investissement du pays des trajectoires décrites par la Stratégie nationale bas-carbone de 2015. Pour les secteurs les mieux documentés par la stratégie, il manque 10 à 30 milliards d’euros d’investissements annuels pour atteindre le rythme prévu par les documents stratégiques, et ce malgré la hausse des investissements observée depuis 2011. À cela s’ajoutent probablement des investissements moins bien documentés : dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, du nucléaire, de la recherche et développement et dans l’adaptation au changement climatique.
Cet écart se creuse chaque année, car la stratégie nationale requiert une hausse très rapide du niveau total des investissements, et une redirection accrue des investissements fossiles vers les projets à faibles émissions.
On peut toutefois citer quelques freins en commun, même si chaque secteur a sa propre dynamique. Beaucoup de projets apparaissent comme excessivement risqués, car entrepreneurs et financiers connaissent mal l’historique d’échec ou de succès de certaines innovations, ou sont refroidis par les bulles d’actifs qui ont éclaté il y a quelques années. Pour les ménages et les PME, développer des projets à faibles émissions requiert une expertise et un accompagnement « sur mesure », que peu d’organismes proposent dans des conditions abordables. De plus, les revenus attendus de l’efficacité énergétique sont rendus incertains dans un contexte où le prix des énergies fossiles et le niveau des subventions publiques fluctuent rapidement. Enfin, en réponse à ce dernier problème, la tentative d’accroître la composante carbone du prix des énergies courantes s’est heurtée à la faible disponibilité d’alternatives.
On voit que ces freins impliquent, mais ne se limitent pas, aux acteurs financiers. Ils exacerbent les écarts entre l’offre de projets « verts », encore peu structurée, et une injonction d’investissement « verts » qui progresse par ailleurs au sein de la communauté des acteurs financiers.
En approchant le climat sous l’angle des risques (voir Encadré), le secteur financier peut toutefois accroître son rôle dans les investissements en faveur du climat et accompagner leur progression vers des niveaux compatibles avec l’atteinte de l’objectif de neutralité climat.