Les investisseurs institutionnels sont intéressés par les crypto-actifs, dans une perspective d’amélioration du rendement des portefeuilles et de diversification des risques. Mais le marché, marqué par une trop forte volatilité, une trop faible liquidité et un déficit de régulation, reste encore en phase de construction.
Alors que les crypto-actifs se développent depuis plusieurs années – la Banque Centrale Européenne (BCE) en dénombre plus de 5 000 en avril 2019, dont environ 700 traités quotidiennement –, ce marché a dans un premier temps surtout capté l’attention des investisseurs particuliers, à la recherche de solutions alternatives à fort rendement, bien que très risquées.
Les milieux bancaires sont jusqu’alors restés très défiants vis-à-vis de ce marché non régulé, souvent associé au risque accru de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, tout en montrant un intérêt certain pour la technologie et les concepts sous-jacents avec de nombreuses initiatives visant à se familiariser avec le bitcoin et les autres protocoles à blockchain.
Un intérêt croissant des institutionnels
Les mentalités évoluent aujourd’hui et le monde institutionnel entre peu à peu dans le marché des crypto-actifs, sous l’œil attentif des régulateurs qui s’organisent pour encadrer ce nouveau marché (v. Encadré 1). Selon une étude réalisée par Greenwich Associates, près de 50 % des investisseurs institutionnels aux États-Unis considèrent que les crypto-actifs trouveraient une place dans leur portefeuille, quand presque un quart y serait déjà investi. Toujours aux États-Unis, les institutionnels représenteraient près de 20 % du volume total de transactions sur les crypto-actifs.
L’intérêt pour les investisseurs institutionnels de se positionner sur les crypto-actifs relève pour partie d’une logique de spéculation, avec la perspective de générer des rendements élevés dans un marché marqué par une forte volatilité – c’est le cas principalement des hedge funds et fonds de capital-risque –, mais aussi d’une logique plus quantitative de diversification des portefeuilles, fondé sur le principe de dilution du risque, les crypto-actifs présentant des corrélations très faibles avec les composantes classiques des actifs traditionnels.
C’est sur ce deuxième aspect que se spécialisent un certain nombre de gestionnaires d’actifs quantitatifs qui lancent des fonds institutionnels spécialisés dans les crypto-actifs, à l’instar du gestionnaire d’actifs parisien Tobam qui a créé le premier fond sur le bitcoin en Europe en novembre 2017, fonds AIF (Alternative Investment Fund) non régulé mais approuvé par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les premiers clients visés sont les family offices et banques privées, avec l’ambition de s’ouvrir vers tous les types d’institutionnels par la suite.
L’offre d’investissement en crypto-actifs se structure
Plusieurs approches d’investissement sont retenues par les professionnels :
Contrairement aux actifs financiers traditionnels, les crypto-actifs reposent sur un modèle décentralisé, ancré dans une blockchain, et qui s’affranchit de tout tiers de confiance, a fortiori de dépositaire. Néanmoins, contrairement aux particuliers, les investisseurs institutionnels sont demandeurs d’un service dépositaire afin de déléguer les contraintes et risques associés à la conservation des crypto-actifs (v. Encadré 2).
Le marché s’est développé pour répondre aux différentes stratégies d’investissement et aux besoins propres aux institutionnels. Parmi les quelque 300 plateformes de trading de crypto-actifs, certaines proposent des offres dédiées aux investisseurs institutionnels, comme Coinbase, Gemini ou encore, plus récemment, le français LGO.
Plusieurs fournisseurs de données se sont lancés dans la production d’indices sur les cryptomonnaies diffusés sur les terminaux Nasdaq, Bloomberg, Refinitiv ou encore SIX, favorisant une plus grande accessibilité aux données pour les acteurs institutionnels. L’offre autour des indices se développe avec la création de trackers et ETP sur des paniers de crypto-actifs, à l’instar d’Amun AG, FinTech suisse qui cote ses produits sur la plateforme de négociation de SIX.
Le marché des dérivés futures et options sur crypto-actifs se professionnalise, avec l’arrivée des infrastructures de marché historiques qui lancent des produits dédiés aux institutionnels : CME, CBOE et plus récemment Bakkt (filiale du New York Stock Exchange, groupe ICE – Intercontinental Exchange) en septembre 2019 avec une offre de livraison « physique », qui connaît néanmoins un lancement mitigé.
Sans oublier le marché de gré à gré (OTC, hors des plateformes d’échanges) qui, comme pour les produits financiers traditionnels, représente le canal d’investissement privilégié des gros portefeuilles institutionnels, car évitant de subir un impact marché (décalage de cours) sur les prises importantes de position. Ce marché est animé par de nombreux acteurs (brokers/dealers), parmi lesquels Kraken, VanEck, B2C2 et Circle.
Un marché en forte croissance
Avec 150 à 200 nouveaux « cryptofonds » créés chaque année depuis 2017, on recense à juillet 2019 plus de 800 fonds dédiés aux crypto-actifs dans le monde, dont 78 % de hedge funds et fonds de capital-risque, et 22 % de fonds Private Equity, ETP et ETF, pour une capitalisation totale de 18,3 milliards de dollars, certes modeste au regard de la capitalisation globale des hedge funds (moins de 1 %), mais en forte croissance annuelle (voir Graphique 1). Près de la moitié est domiciliée aux États-Unis, la présence en Europe restant encore marginale, principalement au Royaume-Uni, Suisse et Allemagne.
La majorité des crypto-fonds reste de taille relativement faible (la moitié ayant moins de 10 millions de dollars d’actifs sous gestion, seulement une quarantaine avec plus de 100 millions), mais les perspectives de croissance sont importantes avec l’entrée attendue d’investisseurs institutionnels plus classiques comme les fonds de pension ou fonds de retraite.
Les prochains défis
Si les développements et innovations dans le secteur sont nombreux, le marché des crypto-actifs reste aujourd’hui dans sa phase de structuration. Par analogie avec les marchés financiers traditionnels, on peut considérer que sa démocratisation au sein des investisseurs institutionnels dépendra de plusieurs facteurs :
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