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Investissement

Les actifs illiquides : une oasis dans le désert du rendement ?

Créé le

30.08.2018

-

Mis à jour le

14.09.2018

Compte rendu de la table ronde organisée par le parcours 203 et son association étudiante Stratefi 203, dans le cadre des House of Finance Days de l’Université Paris-Dauphine, en partenariat avec QMI (Quantitative Management Initiative), GFIAddstone, le GARP, le CFA Institute France et Insti7. Cette conférence, animée par Vincent Puche, Président d’Insti7, a réuni Olivier Renault, Responsable Europe des solutions structurées pour les institutions financières chez Citi, Pedro Arias, Responsable mondial de la plateforme Actifs alternatifs et réels chez Amundi, Matthieu Baret, Partner en charge des opérations de capital-risque chez Idinvest, et Antoine Maspétiol, Responsable de l’activité Dette privée chez Aviva Investors France.

L’industrie financière est fondée en partie sur la notion de rendement. D’un côté, les investisseurs deviennent de plus en plus exigeants en termes de rentabilité, au regard notamment du montant des frais de gestion, comparés par exemple à ceux bien plus faibles de produits d‘investissements plus récents tels que les ETFs ; de l’autre, l’univers d’investissement est de plus en plus contraint. Les taux, surtout en Europe, sont à des niveaux historiquement bas et devraient augmenter dans les années à venir, tout en restant à des niveaux probablement plus modestes que lors des précédents cycles économiques. Cependant, l’aspect le plus contraignant concerne les réglementations, de plus en plus nombreuses, qui limitent les possibilités d’investissement de certains investisseurs et induisent des coûts supplémentaires, en termes de reporting ou de gestion des risques par exemple. C’est dans cet environnement que l’on peut observer un engouement plus important pour des actifs dits illiquides, ou de portage, qui présentent un profil de risque plus élevé mais offrent des niveaux de rémunération plus importants que les classes d’actifs traditionnelles.

Les actifs illiquides : quelle(s) définition(s) ?

La première grande difficulté est de définir les actifs illiquides, car, comme le précisent Pedro Arias et Antoine Maspétiol, il n’existe pas de véritable définition dans la littérature économique ou financière. Ces actifs, que l’on nomme également privés ou réels, représentent plutôt une classe hétérogène qui va de la dette privée, aux infrastructures, en passant par l’immobilier, les hedge funds, les ressources naturelles, le capital développement, le capital-risque, ou encore le leverage buy-out. On peut cependant dresser la liste de leurs caractéristiques communes. Tout d’abord, ils sont illiquides, et cette illiquidité – qui n’est pas conjoncturelle  – est compensée par une prime d’immobilisation des capitaux. On parle par ailleurs d’actifs de portage. Ensuite, ce sont des actifs transactionnels non cotés (qui s’échangent de gré à gré), entraînant une forte asymétrie d’information. Enfin, les acteurs qui interviennent sur ces marchés sont très différents de ceux des autres actifs. Ainsi, par exemple, une entreprise souhaitant émettre un titre de dette peut ne pas remplir les conditions d’accès aux marchés obligataires et se retrouver contrainte d’émettre de la dette privée. Cela peut également être la conséquence d’un choix stratégique afin de ne pas divulguer d’information à ses concurrents. Sur ces marchés, on trouve donc des entreprises de toute taille qui cherchent des financements alternatifs. Côté investisseurs, les profils sont également assez différents de ceux des autres marchés et notamment dans la durée de détention des actifs qui est en moyenne de 3 à 5 ans pour la dette privée. Pour le private equity, qui consiste à investir dans le capital d’entreprises non cotées, les durées varient en moyenne entre 5 et 10 ans. Pour les infrastructures voire les fonds de fonds, ces durées peuvent encore s’allonger, et donc l’illiquidité peut s’inscrire de plus en plus dans le long terme.

Un engouement global

Le contexte économique tout comme les évolutions en matière de réglementation ont été favorables aux actifs illiquides qui éveillent désormais l’intérêt de nombreux investisseurs. En effet, la crise de liquidité de 2008 et les réglementations qui ont suivi (les accords de Bâle III) – axées sur la gestion des risques – ont poussé les banques à se retirer en grande partie de ces types de financement, laissant plus d’espace à d’autres investisseurs, comme l’observe Olivier Renault. Du côté des assureurs, Solvency II et son approche par les risques a pu amener certains investisseurs à investir davantage sur des actifs de portage permettant non seulement un adossement actif – passif sur des engagements longs mais également offrant une visibilité sur les flux futurs. Globalement, c’est le rendement supérieur de ces actifs, dans un environnement de recherche de rentabilité, qui en fait une catégorie d’investissement attractive. Si les motivations des investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou assureurs, sont similaires, elles doivent être différenciées. Du côté des investisseurs institutionnels, l’élément principal reste le rendement supérieur que les actifs illiquides peuvent procurer mais la diversification est également un autre de leurs atouts. En effet, la volatilité (intensité de la variation du prix), la corrélation (lien avec les autres actifs du portefeuille) et la protection, par rapport à des événements de marchés futurs, de ces types d’actifs sont très différentes des principales classes d’actifs traditionnelles (actions, obligations). Ce sont des actifs alternatifs au sens anglo-saxons du terme. C’est l’une des raisons de l’attrait grandissant par exemple pour le private equity qui est vu comme un véritable outil de diversification. Pour Matthieu Baret, cet intérêt croissant est certes lié à la plus grande maturité des acteurs du marché et à un accroissement de la confiance dans ces actifs, mais surtout au TRI (Taux de Rendement Interne) qui peut atteindre jusqu’à 25 %. Du côté des assureurs, le rendement prévaut également. Les actifs illiquides permettent ainsi aux assureurs qui doivent veiller à l’adossement de l’actif et du passif, de compenser l’environnement de taux bas par la prime d’illiquidité, tout en ayant des actifs peu sensibles aux fluctuations des marchés cotés et pouvant offrir des revenus réguliers. Ces actifs peuvent également être de meilleurs instruments de couverture contre l’inflation future. Il est cependant difficile de parler d’engouement fort dans la mesure où ces investissements restent aujourd’hui encore très minoritaires dans les portefeuilles des différents acteurs.

Conditions d’investissement et prime d’illiquidité

Ces classes d’actifs étant « non classiques », illiquides et offrant de facto moins de données statistiques, leur plus grand défi est leur intégration dans des portefeuilles plus classiques disposant davantage de données statistiques. La littérature sur le sujet est peu abondante, car il existe peu de séries longues, hormis pour l’immobilier, et l’accès à ces données, quand elles existent, est difficile. Pedro Arias souligne qu’il n’y a pas non plus une méthode unanimement reconnue mais l’une des solutions est d’avoir une démarche empirique par intégration testée et choisie d’éléments d’illiquidité. Ainsi, en partant d’une allocation classique dans des produits obligataires et actions (liquides), l’objectif peut être d’optimiser la part allouée aux actifs illiquides de façon à maintenir un objectif de volatilité par exemple. Cela permet d’atteindre un niveau de rendement supérieur avec un même niveau de risque, que l’on peut ensuite analyser par exemple en termes de perte maximale et de temps de récupération de la perte.
D’un point de vue global, ces investissements continuent-ils d’offrir une prime d’illiquidité et ainsi permettent-ils d’améliorer les rendements de portefeuilles ? Cela semble être encore le cas, même si leur succès a pour certains compartiments en partie fait disparaître cette prime sous l’effet de l’offre et la demande. Si elle demeure intéressante en private equity, elle semble avoir disparu pour certains actifs, comme par exemple pour la dette d’infrastructure. Pour Antoine Maspétiol, les gérants doivent par ailleurs toujours aller dans le détail de chaque actif afin de bien comprendre son exposition en termes de risque et de création de valeur potentielle pour les investisseurs. Des stratégies attractives en apparence (à haut rendement potentiel) peuvent s’avérer l’être beaucoup moins lorsqu’elles sont analysées dans le détail. C’est particulièrement le cas en private equity, lors d’investissements dans des actifs risqués tels que le capital développement ou le capital-risque, où l’on observe une très forte dispersion des TRI. Ces actifs permettent donc globalement de dégager des rendements plus importants mais qu’il faut corriger du risque réel attaché à chacun de ces actifs.

Les risques inhérents aux actifs illiquides

La sur-rémunération qui rend ces actifs attractifs s’accompagne de risques plus importants que l’on peut, et que l’on doit, analyser et essayer de contrôler en s’interrogeant, au-delà de ratios financiers, sur la qualité des projets comme de la gouvernance. Un autre élément important est la robustesse de l’entreprise. Le cycle de vie d’une entreprise n’est pas linéaire, mais des événements tels que la crise de 2008, permettent d’étudier sa résistance à une période de stress. S’il y a peu de défauts actuellement dans le marché de la dette privée par exemple, les défauts ont été très nombreux dans le marché du transport maritime (shipping) et d’une manière générale, d’autres défauts vont sans doute se produire, probablement lorsque la Banque Centrale Européenne réduira ses mesures non conventionnelles. Cependant ces marchés étant des marchés de gré à gré, il est possible de négocier avec l’émetteur (directement ou par l’intermédiaire d’une banque) des conditions plus favorables de couverture en cas de défaut. Au-delà de ces risques micro, l’environnement macroéconomique est également à prendre en compte. Ainsi, la baisse des taux que l’on a pu observer au cours des trente dernières années a été plutôt favorable aux actifs illiquides, attirant de nombreux investisseurs en recherche de rendement, amenuisant d’autant les primes d’illiquidité. Pour Olivier Renault, une remontée des taux peut évidemment inverser les mouvements de capitaux, qui pourraient quitter ces marchés pour se tourner vers des actifs plus simples et moins risqués. Et si la création de valeur liée à la baisse des taux a masqué les imperfections et sans doute aussi empêché les innovations, une remontée des taux peut fragiliser certains acteurs mais pas spécifiquement ceux liés aux actifs illiquides.

Un futur entre demande croissante et démocratisation

Les actifs illiquides resteront attractifs car ils offrent, comme nous l’avons vu, rendement et diversification. Ils nécessitent toutefois une réelle expertise et d’autant plus qu’ils ne forment pas une classe homogène d’actifs. Ainsi, par exemple, l’industrie de transport maritime a connu de nombreux défauts qui ont pu décourager le secteur bancaire en matière de financements. Après une restructuration importante, ce marché est à nouveau en plein essor et propose des investissements potentiellement attractifs d’autant plus que la concurrence est peu importante. Plus généralement, ces marchés continuent de se développer et de se démocratiser en s’ouvrant à d’autres investisseurs. Ainsi, la volonté des pouvoirs publics de faciliter le financement de l’économie pourrait amener assureurs et banquiers à offrir davantage de supports, notamment dans le cadre de l’assurance vie, investis en actifs réels ou illiquides. Du fonds de capital-risque à ceux de dettes, des solutions d’investissement ont déjà été mises en place par le biais de fonds de co-investissement pour certains types de particuliers mais restent limitées, comme le précise Matthieu Baret. Dans un avenir proche, nous devrions assister simultanément à une plus grande structuration de ces moyens d’investissement et au développement d’une véritable expertise aussi bien du côté des gérants que des investisseurs et des institutionnels. Pour finir, la garantie actuelle de rendement offerte par le secteur des assurances vie poussera intrinsèquement vers ce type d’actifs potentiellement plus rémunérateurs, mettant néanmoins toujours en avant les limites du modèle actuel qui garantit des rendements sans prise de risque.

À retrouver dans la revue
Revue Banque NºHOF2018