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Financement des retraites : « il faut promouvoir une épargne longue investie en actions »

Créé le

17.05.2013

-

Mis à jour le

17.06.2013

Alors que les premières concertations avec les partenaires sociaux ont commencé pour préparer la réforme des retraites, il serait bon d’élargir ​le débat, au-delà des seuls ajustements prévus sur la répartition, sur ​la nécessité d’un complément sous forme d’épargne longue investie en ​actions. Et d’ajuster la fiscalité en conséquence. L’État est en première ligne.

Quel état des lieux faites-vous de la préparation des Français à la retraite ?

Il existe déjà une épargne privée, très importante, en vue de la retraite, autre que la répartition, et qui prend deux formes : la première est l’immobilier avec l’achat de sa résidence principale. Posséder sa maison est une démarche rationnelle qui peut donner une certaine sécurité, mais les besoins au cours de la retraite ne sont pas toujours identiques à ceux de la vie active et la valeur de l’immobilier n’est pas aussi garantie que ce que l’on croit…

La seconde forme d’épargne est l’assurance vie. Mais celle-ci fonctionne surtout comme une épargne de précaution à moyen terme ; ce n’est pas une épargne retraite proprement dite, c’est-à-dire une source de revenus organisée sur le long terme. En outre, l’assurance vie est principalement investie en produits de taux.

En dehors de l’assurance vie, l’épargne financière des Français est principalement placée à court terme. Nous avons donc en France une physionomie complètement déformée par rapport à ce qui serait la logique et l’intérêt tant des épargnants que de l’économie, c’est-à-dire une épargne longue, investie à 20, 30 ou 50 ans et dans une proportion beaucoup plus élevée, en actions. Sur ce plan, comparée à d’autres pays, la France est dans une situation aberrante. Ce n’est pas là la bonne « exception française » !

Comment réorienter les placements des Français vers une épargne longue ?

Ce besoin pourrait être satisfait en agissant à deux niveaux. Le premier niveau, et le plus important, est celui de la fiscalité, décisive en matière de choix d’épargne ; or, à l’heure actuelle, de façon extrêmement irrationnelle, la fiscalité française favorise massivement des produits courts. Parallèlement, il faut aussi faire évoluer notre éducation collective et le rôle de l’État est tout aussi important en la matière. Probablement du fait d’une assez grande inconscience des contraintes qui pèsent sur la répartition et d’un optimisme exagéré sur les montants de leurs futures pensions, les particuliers n’épargnent pas assez et surtout ne pensent pas à la nécessité de constituer un revenu complémentaire. Il faut leur faire comprendre que leur intérêt personnel, mais aussi celui de l’économie, est d’investir sur des produits longs, sans pour autant que cela menace des outils auxquels ils sont attachés comme la retraite par répartition.

Quel peut être le rôle de l’État sur ce deuxième levier lié à l’« éducation » collective des Français ?

Il faut aller au-delà du débat actuel autour de la répartition, qui se limite à des ajustements de curseurs sur le montant et la durée des cotisations, l’âge de la retraite ou le montant des prestations. En effet, ce débat se fonde sur l’idée implicite que moyennant un déplacement de ces curseurs, éventuellement pénibles, le système pourra grosso modo se rééquilibrer. Or, compte tenu de l’ampleur que prend le décalage, il faudrait procéder à des ajustements disproportionnés, avec malgré tout une baisse probable des prestations par rapport à un niveau actuel qui n’est déjà souvent pas très satisfaisant. Il faut mettre l’accent sur le complément à apporter à la répartition et chercher plus systématiquement des solutions dans ce sens.

L’autre idée à soutenir est que, sur le long terme, le meilleur investissement est en actions : il suit le rythme de l’économie, en mieux. Certains craignent les fluctuations des marchés, mais celles-ci sont totalement lissées sur une durée d’investissement de 30, 40 ou 50 ans qui est celle des fonds de pension. Quand on reproche aux marchés leur « court-termisme », c’est de ce point de vue un contresens, le marché étant le seul endroit où l'on trouve de l’argent vraiment long. D’autres estiment que l’investissement sera peu rentable en cas de difficultés économiques : mais si l’économie ne marche pas bien au point que la capitalisation ait des problèmes, la répartition en aura a fortiori également ! La capitalisation aurait alors au moins un avantage, celui de répartir le risque, car elle permet dans une certaine mesure de diversifier ses placements.

Dans votre livre [1] d’entretiens délivrés avec Philippe Tibi en février 2012 , vous évoquiez également l’idée de lancer en France des fonds de pension : sous quelle forme ceux-ci pourraient-ils s’installer dans l’Hexagone ?

Ils peuvent prendre des formes multiples, mais qui relèvent toutes de la rubrique des fonds de pension. L’idée commune est d’épargner idéalement tout au long de sa vie, normalement en franchise d’impôt, avec une sortie sous forme de rentes. Dans les pays qui proposent des fonds de pension (les plus nombreux), ceux-ci investissent tous les ans mais avec un horizon de plusieurs dizaines d’années, car ils savent qu’ils n’auront à rembourser qu’à cette échéance-là. Sinon, il s’agit d’une forme d’épargne plus courte comme l’assurance vie, utile aussi, mais qui ne remplit pas la même fonction de revenu à terme.

Que propose l’Amafi en la matière ?

Nous avons proposé une solution intermédiaire qui était de reprendre l’idée du Fonds de réserve des retraites (FRR) créé par Lionel Jospin, qui dans sa forme initiale ne se substituait pas à de la vraie capitalisation, mais qui pouvait constituer une étape intermédiaire intéressante. Il s’agissait d’augmenter les ressources du régime par répartition, mais par les moyens de la capitalisation. Il aurait donc fallu, non pas supprimer le FRR comme l’a fait le précédent gouvernement, mais au contraire le développer en ouvrant en outre la possibilité de gérer dans ce cadre :

  • d'une part, des fonds de pension privés individuels ou collectifs, de branche ou d’entreprises (voir Encadré) ;
  • d’autre part, un ensemble de dispositifs qui existent aujourd’hui dans des institutions de retraite ou de prévoyance, mais qui ne sont pas investis avec les horizons voulus [2] .
L’avantage du FRR est de fixer un cadre collectif public plus acceptable à une partie de l’opinion.

Notre autre suggestion est de rappeler que plus on investit en actions, plus élevé doit être l’avantage consenti, y compris un avantage fiscal supplémentaire à l’entrée.

Que pensez-vous des conclusions du rapport Berger-Lefebvre sur l’épargne longue ?

Le rapport Berger-Lefebvre est dans l’ensemble affligeant par la pauvreté de ses analyses et de ses ambitions. C’est objectivement très insuffisant, même s’il y a deux propositions qui ont du mérite malgré leur modestie (PEA PME et assurance vie orientée).

Le danger est que les politiques ne commenceront à s’intéresser à l’épargne retraite que lorsque la répartition ne fonctionnera manifestement plus très bien. Mais la capitalisation met du temps à monter en régime… c’est un effort long. Cette problématique rappelle celle du développement durable : celui-ci ne consiste pas uniquement à se préoccuper des palmipèdes, il s’intéresse aussi à tout ce qui se passera à long terme. C’est donc une culture du long terme qu’il faut adopter. Mais dans le domaine de l’écologie, le degré de prise de conscience est bien meilleur qu’en matière de retraite !

 

1 Pascale-Marie Deschamps, Entretiens avec Pierre de Lauzun et Philippe Tibi, Les Marchés font-ils la loi ?, RB Édition et Eyrolles, février 2012. 2 Lire à ce sujet la préface de Philippe Tibi.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº761bis
Notes :
1 Pascale-Marie Deschamps, Entretiens avec Pierre de Lauzun et Philippe Tibi, Les Marchés font-ils la loi ?, RB Édition et Eyrolles, février 2012.
2 Lire à ce sujet la préface de Philippe Tibi.