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Introduction

Le financement des matières premières : des problématiques multiples

Créé le

06.12.2017

-

Mis à jour le

09.01.2018

Identifier les différents modes de financement des acteurs industriels et commerciaux qui composent les filières de commodités est essentielle pour quiconque souhaite comprendre comment celles-ci fonctionnent et évoluent. C’est ce que propose ce nouveau dossier.

Quel vaste monde que celui des matières premières ! De la vanille de Madagascar aux champs pétroliers du Dakota du Nord, de la petite exploitation agricole française ou marocaine – parmi tant d’autres – aux géants miniers brésilien ou australien, en passant par les maisons de négoce international : il serait probablement difficile de trouver un secteur d’activité offrant une telle hétérogénéité. Tout ceci sans compter les multiples angles d’approche – géologique, économique, juridique, (géo) politique – qu’il convient d’adopter pour appréhender les problématiques des matières premières dans leur globalité. Pourrait-on, à titre d’exemple, traiter de la finitude des ressources non renouvelables sous le seul aspect de leur disponibilité géologique ? Pourrait-on appréhender les tensions commerciales sur l’aluminium primaire et sur l’acier ou le dernier accord de réduction des quotas de production de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) à l’aune d’une seule lecture économique ? Assurément non et les exemples qui attestent de cette complexité de traitement sont légion. Le paradoxe veut que, dans le domaine de l’économie, les matières premières soient (trop) souvent analysées via le prisme des niveaux de prix et ce, en privilégiant une approche normative. Trop hauts, en raison notamment d’une spéculation physique et financière excessive, ou trop bas, et en cela peu rémunérateurs, les cours des produits agricoles, miniers et énergétiques font l’objet de toutes les attentions, médiatiques comme scientifiques.

Les interactions avec le secteur bancaire et les marchés financiers

Actant de cette double réalité, ce dossier cherche à mieux rendre compte des problématiques auquel le monde des matières premières est confronté. Parmi celles-ci, celle du financement des acteurs, de leurs activités industrielles ou commerciales, ou de leurs projets nous est apparue incontournable et ce, à tous les stades de la filière : du producteur à l’utilisateur final en passant par le négociant ou trader physique. Financement, et non finance des matières premières : la nuance est, à nos yeux, de taille. Car l’ambition première de ce dossier n’est pas uniquement de traiter de ce que la littérature scientifique a, en économie, analysé de façon extensive au travers de ce qu’il a parfois été convenu de nommer la « Masters Hypothesis [1] » : l’essor, durant le super-cycle des matières premières (2002-2013), des fonds d’investissement de type « indiciels » sur les marchés de produits dérivés et qui aurait exacerbé la flambée des prix. Le sujet est d’importance, fondamental même, mais il a probablement perdu quelque peu de sa substance avec le repli des cours observé jusqu’en 2016 et laisse de côté une question toute aussi essentielle pour quiconque souhaite comprendre comment les filières de commodités fonctionnent et évoluent : celle des différents modes de financement des acteurs industriels et commerciaux qui les composent.

Il s’agit, en d’autres termes, de s’interroger en premier lieu sur la façon dont les secteurs bancaires et des matières premières interagissent pour que l’ensemble de ces produits primaires qui sont au cœur du système économique mondial puissent être extraits ou cultivés, transportés nationalement et internationalement et transformés, puis consommés. Du financement des groupes industriels au financement de projets en passant par la commodity trade finance, le rôle du secteur bancaire est de toute évidence clé.

Porter la question du financement des matières premières impose néanmoins de s’interroger en second lieu sur les interactions entre les marchés financiers, celui de la dette corporate et des actions cotées ou non cotées (private equity), et ceux des matières premières. La relative résilience dont ont pu faire preuve jusqu’à présent les producteurs nord-américains de pétrole non conventionnel s’explique certes par des innovations technologiques qui leur ont permis d’améliorer leur efficience productive, mais l’abondance, depuis la politique de quantitative easing de la Banque fédérale américaine, de liquidités sur les marchés monétaires et financiers n’a-t-elle pas aussi largement abaissé le coût des financements risqués et ainsi joué un rôle important dans ce domaine ? Parmi les nombreuses questions que cette interaction soulève, figure également l’incidence de la chute des cours des minerais ou du pétrole observée entre 2014 et 2016, sur le positionnement des actionnaires des groupes miniers ou pétroliers et, en retour, sur les stratégies industrielles ou financières adoptées par ces derniers pour y faire face. S’interroger sur le financement des matières premières impose en outre de questionner l’existence et la nature des innovations permettant de satisfaire des besoins nouveaux. Des innovations financières donc, mais pas uniquement : la technologie blockchain ne sera en effet pas sans incidence sur les échanges internationaux de produits de base. Comment, enfin, ne pas porter la réflexion à l’échelle macroéconomique et s’interroger, comme nous le faisons, sur le rôle des codes et des conventions minières dans la capacité d’une nation à attirer les capitaux internationaux nécessaires au déploiement de son industrie extractive ?

Des approches transversales et comparatives

De toute évidence, ce dossier ne prétend pas apporter un traitement exhaustif de l’ensemble des problématiques ayant trait au financement du secteur des matières premières. Porté par des experts des mondes bancaire, industriel, juridique et universitaire, il aspire néanmoins à lever le voile sur ce qui, en amont de l’offre de matières premières, est de nature à conditionner la réalité des filières à moyen ou long terme. Bien que reconnaissant les particularités des produits énergétiques, miniers, ou agricoles, il se veut également un plaidoyer en faveur des approches transversales ou comparatives pour analyser certaines réalités des marchés de produits de base et, en cela, une réaffirmation – si nécessaire – de l’importance de « l’économie des matières premières » [2] .

 

1 Masters M.W. (2008), « Testimony before the Committee on Homeland Security and Governmental, Affairs, United States Senate », 20 mai, disponible à l’adresse suivante : http://hsgac.senate.gov/public/_files/052008Masters.pdf.
2 Pour une vision englobante du monde des matières premières, le lecteur pourra ainsi lire, dans des registres différents : Philippe Chalmin (2007), Le Poivre et l'or noir – L'extraordinaire épopée des matières premières, Bourin éditeur ; Pierre-Noël Giraud et‎ Timothée Ollivier (2015), Économie des matières premières, La Découverte, collection « Repères ».

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº815
Notes :
1 Masters M.W. (2008), « Testimony before the Committee on Homeland Security and Governmental, Affairs, United States Senate », 20 mai, disponible à l’adresse suivante : http://hsgac.senate.gov/public/_files/052008Masters.pdf.
2 Pour une vision englobante du monde des matières premières, le lecteur pourra ainsi lire, dans des registres différents : Philippe Chalmin (2007), Le Poivre et l'or noir – L'extraordinaire épopée des matières premières, Bourin éditeur ; Pierre-Noël Giraud et‎ Timothée Ollivier (2015), Économie des matières premières, La Découverte, collection « Repères ».