Square

Brexit

Directive Mifid : un atout pour la City ?

Créé le

15.04.2020

La directive Mifid votée alors que le Royaume-Uni était encore dans l’Union européenne comporte des clauses poussées par les Anglais et favorisant la City of London. La revue de cette directive dans l’Union européenne à 27 pourra-t-elle changer la donne ?

 

Les règles régissant la seconde version de MIFID, la Directive sur l’organisation des marchés financiers en vigueur depuis maintenant deux ans, ont été communiquées par la Commission européenne en juin 2014, deux ans avant le référendum sur le Brexit tenu le 23 juin 2016. L’ordre de ces dates est important, car les recommandations issues du lobbying de la City ont donc été prises en compte en amont de la mise en place de cette seconde version d’une des réglementations les plus importantes pour le fonctionnement des marchés en Europe. Avec à la clé une confirmation et un renforcement du poids de la City en Europe, malgré le choix opéré entre-temps par les électeurs britanniques.

La domination de la City

Aujourd’hui, après que le Brexit est devenu une réalité depuis le 31 janvier à minuit, qu’en est-il ? La City a maintenant perdu la plupart de ses pouvoirs de lobbying et risque de perdre ses avantages suite à la revue de MIFID en cours de préparation. L’Allemagne et la France, qui représentent les deux plus grandes places financières sur le continent européen, militent en particulier pour une revue des clauses traitant de « l’accès libre » et de « la recherche ». Ces deux textes ont été prioritaires pour la City et ont renforcé sa domination à la tête des classements des places financières.

Quelques jours après le Brexit l’Union Européenne s’est rapprochée des banques et des acteurs financiers afin de recueillir leurs retours et opinions. De hauts fonctionnaires publics, comme l’Allemand Markus Ferber, membre du Parlement européen, se sont prononcés pour revoir les règles de MIFID et en particulier ces deux clauses pour soutenir les deux grandes places financières, mais à ce stade rien n’est officiel. Des amendements officiels sont attendus pour le troisième trimestre de cette année.

L’accès libre supprime l’obligation d’effectuer et de compenser une transaction sur une même plateforme. La clause qui a été poussée par la City renforce la domination du London Stock Exchange sur Deutsche Börse pour l’exécution des futurs et autres dérivés listés.

Les clauses portant sur la recherche obligent la distinction du prix de la recherche de celui des frais d’exécution. Suite à cette clause, deux effets négatifs ont pu être constatés : d’une part l’AMF a observé une réduction d’activité de recherche sur les valeurs de petite et moyenne taille, d’autre part cela a renforcé la position des établissements financiers américains, qui utilisent des prix d’éviction pour renforcer leur positionnement en Europe.

Le régime d’équivalence en question

Post Brexit, les établissements financiers britanniques, y compris les filiales au Royaume-Uni d’établissements non européens, accéderont au continent sous le régime de l’équivalence. Si la théorie du régime d’équivalence pourrait nous porter à naïvement penser que la City sera soumise aux règles MIFID 2 de l’UE, il est sans doute plus vraisemblable d’imaginer que, comme en toute chose, la vérité puisse se situer ailleurs… le drapeau du « level playing field » plébiscité par les perdants de la négociation réglementaire n’a pas fini d’être brandi. Ainsi le fameux régime d’équivalence peut être contourné de bien des façons.

Pour rappel, avant toute décision d’équivalence, l’UE examine le contexte global et la mesure dans laquelle la réglementation du pays tiers concerné produit les mêmes effets que sa propre réglementation. Puis la Commission et les autorités européennes de surveillance (AES) suivent la situation dans le pays tiers après l'adoption de la décision d'équivalence, afin de s'assurer que celui-ci continue de respecter les objectifs de l'UE et de préserver la stabilité financière, la protection des investisseurs, l'intégrité du marché et des conditions de concurrence équitables dans l'UE.

Toutefois aucun point d’une réglementation n’est défini comme bloquant pour décider de son statut, puisque l’équivalence est réévaluée en fonction de ses impacts plus que de sa stricte application réglementaire.

Il est passablement complexe d’avoir une appréciation objective de la réelle équivalence entre deux pays, car certains points de réglementations, mineurs ou majeurs, peuvent ne pas être appliqués… et passer sous les radars. Ainsi, les clauses évoquées plus haut sur l’accès libre et la recherche pourraient faire l’objet d’un consensus non appliqué, et n’ayant pas pour résultat l’abandon d’un potentiel régime d’équivalence, favorisant par-là les marchés anglo-saxons à fort potentiel de transactions, notamment dérivés.

Il n’existe quasiment pas de règle claire permettant de retirer une équivalence : que ce soit dans le cas d’un changement de droit européen, de celui de la législation d’un pays tiers ou de l’hétérogénéité de la supervision. Une fois celle-ci acquise, la retirer ne va pas de soi. Seuls les cas de l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada et Singapour ont fait l’objet de retrait de l’équivalence financière concernant les agences de notations (suite à la modification réglementaire de 2013), sur 280 octrois d’équivalences à date. La gestion d’actifs française s’en était déjà émue il y a deux ans, alors que le Brexit était encore une nébuleuse aux yeux de tous.

Des négociations bilatérales

Bien que Mifid 2 se doive d’être appliqué puisqu’adopté par le Royaume-Uni avant le Brexit, on peut donc s’attendre à ce que, ses évolutions et la manière dont sa supervision va être exercée par la Financial Conduct Autority constituent autant de marges de manœuvre à la disposition des autorités anglaises pour conserver ou gagner des avantages concurrentiels face à l’Union européenne. Ce à quoi l’Europe pourrait opposer l’accès au passeport européen. On voit que la bonne application des réglementations négociées lors de la présence de l’Angleterre parmi les 28, mais non encore applicables lors sa sortie de l’Union vont devenir en tant que telles des leviers de négociation bilatérales.

Le report de l’application de Mifid 2 aura été, dans le cadre du Brexit, plus probablement un remarquable atout à terme pour la City qu’un avantage pour l’UE : puisque le lobbying parlementaire n’est plus possible, s’ouvre celui de l’OMC et des accords bilatéraux : messieurs les Anglais, tirez les derniers.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº844