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Union des marchés de capitaux

« Ce plan est bienvenu mais manque d’ambition »

Créé le

12.11.2015

-

Mis à jour le

01.12.2015

Si l'Union des marchés de capitaux (UMC) est une initiative bien accueillie, le plan d'action manque toutefois, selon Pierre de Lauzun, de projets concrets et de mesures ambitieuses, y compris dans ses objectifs majeurs comme le financement des ETI et PME.

Que pensez-vous du plan d'action de l'UMC tel que publié par la Commission européenne le 30 septembre dernier ?

Au moment où le rôle des marchés dans le financement de l’économie s'est nettement développé et continuera à s’accroître à l’avenir, il est bienvenu de vouloir renforcer le bon fonctionnement de ces marchés en Europe et de les développer intelligemment. Le plan d’action annoncé par la Commission va dans la bonne direction de ce point de vue. Pour le moment néanmoins, dans la grande majorité des sujets, ce qui est annoncé reste préliminaire : nous ne pourrons vraiment juger que lorsque les résultats des études annoncées seront connus et des projets concrets lancés. Il n'y en a pas beaucoup pour le moment, en dehors des travaux mis en œuvre sur la titrisation ou la révision de la directive Prospectus. Ce dernier point est une vraie question mais cela ne consiste jamais qu'à corriger la directive dont l'encre est à peine sèche ! C'est certainement utile, mais ce n'est pas un projet de grande envergure. La titrisation est un projet plus ambitieux en théorie, mais malheureusement beaucoup moins dans les travaux proposés. Certes, nous sommes encore au début du processus, mais nous n'avons pas la conviction que ce qui est train d'être élaboré permettra véritablement à ce marché de rebondir en Europe.

La titrisation peut-elle aussi se développer en France où pourtant elle n'a jamais véritablement démarré ?

Les objectifs de l'UMC s'entendent bien sûr au niveau européen, où certains pays ont connu un développement significatif de la titrisation. En France, ce marché a été bloqué principalement parce que les marges sur les prêts titrisés ne permettaient pas d’offrir une rentabilité suffisante pour attirer les investisseurs. Elles le sont probablement encore aujourd'hui, même si elles se sont améliorées C'est un obstacle majeur. Mais il y en a un deuxième : compte tenu de la très faible sinistralité en France, la pondération du capital associé à ces crédits, qui est directement proportionnelle aux sinistres passés, est très basse et donc l'économie de capital obtenue en titrisant est réduite. Et comme la titrisation est de surcroît coûteuse en termes de fonds propres depuis les nouvelles règles, la France n'est sans doute pas le premier pays européen où l'on s'attend à voir se développer ce mode de financement. Mais celui-ci peut se déployer dans d'autres pays. Ce n’est souhaitable que si cela se fait dans des conditions sûres, et uniquement dans ce cas ; or les exigences annoncées dans ce sens ne semblent pas assez ambitieuses. Il ne suffit pas d'améliorer l'information sur les actifs titrisés, même si c'est nécessaire, ni de modifier le cadre prudentiel – trop défavorable –, il faut aussi définir beaucoup plus clairement les crédits qui font l'objet d'une titrisation dite sûre.

Quels autres points vous semblent décevants ?

Principalement des points déjà soulignés par l'Amafi, dans une optique d'intérêt général, qui sont notamment la priorité à l'achat des actions par les particuliers et les fonds de pension. Ces derniers sont les grands absents : ils sont à peine évoqués dans le plan d'action. En outre celui-ci ne dit rien sur l'achat d'actions par les particuliers.

Globalement, l'UMC souffre en outre de l'absence d'analyse d'ensemble et d'une réflexion en profondeur sur les fondamentaux qui définissent un marché financier. La question stratégique du rapport de la dette et des fonds propres n'est pas abordée de façon consistante. Or l'excès de dettes et de levier est une des causes profondes de la crise de 2008. Depuis, la dette, surtout publique, a encore augmenté, et reste un problème non résolu. De même, la question de la liquidité qui préoccupe pourtant beaucoup les régulateurs au niveau international est à peine évoquée dans l'UMC. Ce plan n'a de façon générale pas une vocation très ambitieuse, une vision forte sur le devenir des marchés.

Même en ce qui concerne un des objectifs principaux de l'UMC, le financement des entreprises, PME et ETI en particulier ?

Cet objectif PME/ETI est trop faiblement traité, alors qu'il est pour nous une priorité essentielle, parce qu’il s’agit des marchés de demain et que ce sont les PME et ETI qui créent des emplois aujourd’hui. Tout le monde est d'accord sur cet enjeu au niveau politique, mais il n'est pas suffisamment pensé comme une problématique en soi, demandant des solutions fortes et originales. La cotation des actions ou des instruments de dette d'une ETI, sans même parler d'une PME, est en effet notablement différente dans ses conditions de liquidité et de rentabilité, de la cotation d'une grande entreprise multinationale. De même, la prise en compte de l'EuroPP, dont nous avons été un pionnier en France et en Europe, se limite à une étude assez vague.

N'est-ce pas dû au fait, comme le soulignent certains opposants à ce plan d'action, que les marchés de capitaux ne sont pas la solution la plus adaptée au financement des ETI et PME ?

Ce n'est pas tout à fait exact, car les fonds propres des entreprises ne peuvent pas être financés sur les bilans bancaires, mais par les marchés actions, qui ne se limitent d'ailleurs pas au marché boursier organisé : il faut développer les placements privés ou le financement par la foule (crowdfunding). Pour la dette des PME en revanche, c'est la banque qui est le bon moyen. Et nous pensons que la titrisation des créances de PME ne fonctionne pas. Mais plus l'entreprise croît et devient une ETI, plus l'alternative du marché devient pertinente, par des placements privés, puis via le marché organisé.

Comment jugez-vous les ambitions du plan d'action en matière de droit des faillites et de fiscalité ?

Nous en comprenons très bien l'intérêt en théorie mais nous restons sceptiques quant à la réalisation. En matière de droit des faillites, il est évident qu’il serait plus simple et plus pratique que les procédures collectives soient lisibles de manière paneuropéenne et qu'un investisseur qui achète un papier, y compris de dettes, dans n'importe quel pays ait une idée homogène de ce qui se passerait en cas de faillite. Mais en pratique, espérer parvenir en un an à des conclusions communes sérieuses au niveau de 28 pays nous apparaît illusoire.

Le problème est un peu différent concernant la fiscalité : elle constitue un enjeu majeur, mais encore plus difficile à faire aboutir, car toute décision commune dans ce domaine doit se faire à l'unanimité. C'est pour cela qu'il vaudrait mieux l'aborder en fonction d’objectifs précis, par exemple le financement en actions. Il semble néanmoins qu'un aspect très important de fiscalité des entreprises sera examiné qui est celui du traitement différencié de la dette et des dividendes pour les entreprises : dans presque tous les pays européens, les charges d'intérêt sur la dette sont déductibles, alors que ce n'est pas le cas des dividendes. Supprimer cette inégalité serait un excellent progrès.

Comment mener à bien le projet d'UMC sous la menace d'une sortie de la Grande Bretagne de l'Union européenne ?

Le commissaire Jonathan Hill, dans le plan d'action qu'il a présenté, a manifestement veillé à ce que l'UMC n'ait pas une influence négative sur le vote britannique ; ce n'est pas le seul dossier en jeu dans cette échéance, mais il a tout de même un certain poids compte tenu de la City. La principale objection des Britanniques est l'emprise croissante des continentaux et des institutions de l'eurozone, ce qui rend sans doute le commissaire britannique prudent dans ses mesures d'intégration. Par exemple, il n'y a, dans le plan d'action, aucune mesure concernant le régulateur et une éventuelle unification de ses pouvoirs, comme cela s'est fait dans l'Union bancaire, hormis une proposition sur les ressources allouées.

Qu'attendiez-vous concernant le rôle de l’autorité de surveillance des marchés ?

Il aurait fallu une révision plus en profondeur de la manière dont le travail collectif de mise en œuvre des directives est conduit. Il y a bien sûr des consultations nombreuses mais le dialogue avec les professionnels reste insuffisant notamment du fait de la manière dont la procédure est largement préemptée par les discussions entre les membres de l'AEMF (Esma) et entre elle et la Commission.

Que faire pour le rendre plus efficace ?

Il faudrait probablement être plus proche du système américain, qui donne une plus grande autonomie aux autorités sectorielles. Ainsi la loi Dodd Frank Act est certes très longue, mais quand même moins détaillée que les textes européens. Les agences comme la FED, la SEC ou la CFTC ont plus d'autonomie que les autorités européennes pour déterminer des règles et les adapter.

La TTFE est toujours en discussion à ce jour : craignez-vous que ce projet se concrétise ?

Jusqu'à présent, les travaux n'ont pas abouti ; en un sens c’est rassurant car il n'y a aucune réponse rationnelle à la question, non destructrice d’activités et d’emplois - en dehors d’une taxe simple sur les actions sur le modèle français ou britannique. Il est en outre clair qu'il est totalement contradictoire de s’engager dans une opération à 11, négative pour les marchés, au moment où on lance un projet comme l’UMC à 28 visant à unifier un peu plus ces marchés et à les développer. Ce projet de TTFE est symptomatique de l'absence de cohérence et d'ambition collective : si la priorité était de créer un vrai grand marché, cette taxe ne serait évidemment pas à l'ordre du jour.


Achevé de rédiger le 19 novembre 2015.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº790bis