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Assainissement des finances du 93 : la voie est encore longue

Créé le

05.07.2010

-

Mis à jour le

07.07.2011

Confronté à un stock de produits structurés représentant 84 % de sa dette, Claude Bartolone, le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, a engagé depuis son élection, en 2008, un bras de fer extrêmement médiatisé avec les banques el’État.

Dans quelles circonstances ces produits « toxiques » ont-ils été souscrits ?

Lorsque je suis devenu président du département [1] en 2008, j’ai découvert que ces produits toxiques (prêts et swaps) avaient été souscrits entre 1995 et 2007. À cette époque, les établissements bancaires prospectaient en direction des collectivités territoriales, qui étaient des cibles commerciales intéressantes parce que solvables sur la durée. J’ai moi-même été démarché alors que j’étais maire du Pré-Saint-Gervais, mais j’avais naturellement refusé.

Une certitude : les collectivités n’étaient pas armées pour expertiser les produits en question. Il aurait fallu une véritable salle de marché pour le faire ! Par ailleurs, à ce moment, l’État n’a pas joué son rôle dans le cadre du contrôle de légalité : il aurait dû soit alerter, soit conseiller les collectivités. Lorsque Philippe Séguin a formulé des avertissements en février 2009, l’État aurait pu interdire les emprunts structurés des collectivités. Il ne l’a pas fait.

D’autre part, j’en veux beaucoup à Dexia qui est née de la privatisation du Crédit Local de France et qui a donc développé des relations privilégiées avec les collectivités locales au nom de sa longue tradition de financement de celles-ci. Ces collectivités ont donc suivi ses conseils sans la vigilance nécessaire.

Auprès de quelles banques ces produits ont-ils été souscrits ? De quelle nature sont-ils ?

Au total, mes prédécesseurs au Conseil général de la Seine-Saint-Denis ont souscrit ces emprunts toxiques auprès de cinq banques : Dexia, Caisse d’Épargne, Crédit Agricole, Depfa Bank et Société Générale.

Ces prêts étaient d’une nature étrangère à l’activité d’une collectivité locale : ils prévoyaient une période de quelques années à taux stable, relativement faible, puis une période de taux variable au cours de laquelle le taux d’intérêt serait indexé sur des valeurs externes, pour ne pas dire exotiques…

C’est comme cela qu’aujourd’hui, je me retrouve à devoir rembourser la dette du Conseil général en gardant les yeux rivés sur le taux de change euro/dollar, euro/yen ou sur l’Euribor !

Des négociations ont été engagées auprès des banques ? Pour quel résultat ?

Des négociations bilatérales ont été engagées avec les banques afin de repositionner la dette du département sur des produits traditionnels. C’est ainsi que, depuis mon élection, j’ai fait en sorte que le pourcentage d’emprunts structurés (swaps compris) diminue : il est passé ainsi de 92 % à 84 % de la dette.

Mieux, le 1er janvier [2] 2011, les emprunts toxiques ne représenteront « plus que » 76 % de l’ensemble du stock contre 92 % avant mon élection, soit une baisse de près 20 points d’exposition aux risques. Cependant, les négociations restent difficiles : les banques refusent de revoir leurs contrats. Elles me proposent de racheter la dette du département en payant 200 millions supplémentaires, c’est aberrant ! 200 millions, c’est l’équivalent de 10 collèges…

Avez-vous eu recours au médiateur des collectivités, Éric Gissler ?

Bien sûr. Lorsqu’il a été nommé, j’ai salué la création de son poste car j’ai considéré que c’était une victoire pour le combat que j’avais mené : enfin, l’État reconnaissait le problème.

Depuis j’ai eu l’occasion de rencontrer Éric Gissler et il poursuit actuellement son travail de médiation auprès des banques. Il est trop tôt pour juger de son action. J’attends pour cela qu’il rende les conclusions de sa médiation.

Des procédures judiciaires ont-elles été déjà engagées auprès de certains établissements ?

J’avais mis les banques en demeure de me faire des propositions au mois de novembre 2009. Elles ont pour la plupart accepté d’engager le dialogue, sauf Natixis.

À la demande d’Éric Gissler, j’ai suspendu mes procédures le temps de lui laisser faire son travail. Si rien ne bouge, je n’hésiterai pas à engager des procédures judiciaires.

Avez-vous changé vos pratiques vis-à-vis des banques ?

Je garde ma ligne de conduite : une collectivité locale, ce n’est pas une agence de traders et quand on ne comprend pas un montage financier, on ne signe pas le contrat.

Ont-elles modifié les leurs ?

Le chemin est encore long. Concernant les emprunts souscrits avant 2009, la plupart d’entre elles continuent pour le moment de nous proposer des sorties ou des renégociations de contrats extrêmement coûteuses. Il faut donc que l’effort de renégociation se poursuive.

Quant aux contrats à venir, je pense que leurs pratiques devront évoluer : mes alertes répétées ont attiré l’attention des collectivités qui ne sont plus enclines à souscrire ce type de produits. Le gouvernement a dû enfin sortir de sa léthargie pour proposer une charte de bonne conduite. Je pense que les banques ont suscité suffisamment de méfiance sur leurs pratiques pour devoir les changer.

Cette charte de bonne conduite a-t-elle, à cet égard, eu un effet positif ?

Dans la pratique, pas encore. Bien qu’elle ait le mérite de reconnaître les dérives du passé, les assemblées d’élus n’ont pas souhaité la signer car elle ne semblait pas suffisamment contraignante. Elle est surtout un catalogue de bonnes intentions qui ne vaut, qui plus est, que pour l’avenir. D’autre part, la charte n’encadre pas le niveau de risque des produits proposés aux collectivités locales, comme le préconisait la Cour des Comptes dans son rapport de 2009. Pour cette raison, j’attends vraiment plus : l’État a un vrai rôle à jouer. Il doit légiférer pour encadrer ces pratiques de façon plus contraignante.

Quelle part les produits toxiques représentent-ils de vos concours bancaires ?

Comme je l’ai évoqué, en 2010, ils représentent 84 % de notre encours contre 92 % en 2009. En 2011, 76 %.. Tout cela résulte d’un effort réel pour réduire le risque pesant sur la collectivité : depuis mon élection, aucun emprunt toxique n’a été souscrit et tous les emprunts souscrits sont des emprunts classiques.

Au total, les emprunts toxiques représentent 44 contrats de prêts et 22 contrats de swaps.

Quelle est la proportion de charges d’intérêt générales (tous produits confondus, vanilla et structurés) dans vos dépenses ?

Au 1er janvier 2010, le stock de la dette s’élèvera à 886 M€ ; là-dessus, nous payons 30 millions d’euros de charges d’intérêts sur les contrats. C’est considérable : l’équivalent de 15 crèches !

Que représentent les charges d’intérêt des produits toxiques dans cet ensemble ?

La plus grande part, en raison de la structure de notre dette.

Quelle a été l’évolution de ces charges depuis 2008 ? Est-ce que cela pèse toujours sur votre budget en 2010 ?

Ces charges s’accroissent depuis 2008. À partir de juin 2010, nous entrons dans la phase à taux variable pour les deux tiers de nos produits toxiques ; cela signifie que nous serons exposés à un risque permanent, d’autant plus fort que l’activité financière est très incertaine en cette période de crise. Nous devons donc anticiper un accroissement de nos charges financières pour le budget 2011.

Comment évolue la courbe des taux désormais ?

Les taux ont suivi la même évolution que pour les autres collectivités, tant que nous restions dans la période capée. Mais, maintenant que nous allons basculer en taux variable, on peut craindre des tendances hyperinflationnistes sur certains contrats, avec des taux allant jusqu’à 10-15 %.

1 Le département de la Seine Saint Denis se situe au nord de Paris, c'est à dire la capitale de notre beau pays, la France. 2 Le 1er janvier est le premier jour de la nouvelle année. On est généralement fatigué de son réveillon.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº725
Notes :
1 Le département de la Seine Saint Denis se situe au nord de Paris, c'est à dire la capitale de notre beau pays, la France.
2 Le 1er janvier est le premier jour de la nouvelle année. On est généralement fatigué de son réveillon.