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Placements de long terme

AMF: « Il est indispensable de prendre un peu de risque »

Créé le

19.11.2018

-

Mis à jour le

29.11.2018

Face aux réticences des conseillers bancaires à proposer des actions aux épargnants, Claire Castanet (AMF) rappelle que cette classe d’actifs ne doit pas être écartée. Elle est adaptée aux placements de long terme visant à préparer la retraite.

Pourquoi l’AMF cherche-t-elle à stimuler l’investissement de long terme en actions ?

Selon une récente étude de l’INSEE, 78 % des épargnants souhaitent constituer une épargne de précaution et préparer leurs vieux jours (retraite, dépendance), mais 75 % de leur épargne financière est placée sur des actifs liquides sans risque délivrant une performance très faible, voire négative. Il faut éviter cette érosion de l’épargne. Face aux besoins de long terme, les placements sont de trop court terme et cette incohérence est problématique.

Effectuer des placements prudents est justifié pour constituer une épargne de précaution, mais la question est le dimensionnement de cette épargne de précaution. Si elle est surdimensionnée, les objectifs de long terme ne seront pas atteints. L’AMF souhaite que l’investissement de long terme en actions soit véritablement proposé aux épargnants ; en effet, dans le contexte de taux actuel, il est indispensable de prendre un peu de risque afin d’obtenir une épargne performante et répondre aux besoins de long terme.

Les réseaux bancaires semblent peu enclins à vendre aux épargnants des actions, notamment en direct. Avez-vous observé ces réticences ?

Lors de l’une de nos visites mystère[1], le visiteur était un jeune actif, aisé, déjà doté d’une épargne de précaution et souhaitant investir en actions. 100 % des conseillers bancaires auraient dû lui proposer un PEA et un investissement en actions en direct ou via des fonds. Dans les faits, seulement la moitié des établissements lui ont proposé ce type de placement ! Lorsque nous avons parlé de cette expérience avec les établissements, nous avons découvert l’existence d’un frein culturel chez les conseillers, plus ou moins marqué selon les réseaux.

Nous avons également détecté un raisonnement biaisé qui consiste à penser que protéger, c’est uniquement placer à très court terme. En réalité, proposer seulement des produits prudents à une personne dont le profil est globalement prudent pourrait revenir à commettre une erreur. En matière de placements, la diversification est la meilleure méthode, ce qui laisse une possible place à une petite dose d’actifs considérés comme risqués.

La directive MIF2 est-elle correctement appliquée du point de vue des horizons de placements ?

MIF 2 repose sur deux piliers : la gouvernance des produits et la découverte du profil du client (ses besoins ou objectifs, sa situation, sa capacité à supporter les pertes, son aversion au risque, ses connaissances et son expérience financières). Il faut que les banques explorent tous les besoins, notamment de long terme. Or nous avons observé des conseillers bancaires qui explorent seulement deux types d’horizons : avant 5 ans et après 5 ans, comme si tous les horizons de plus de 5 ans formaient un bloc homogène, ce qui est faux. Investir avec un objectif à 20 ans est très différent d’un horizon de 6 ans. Il est important d’explorer les différents horizons, car ils orientent vers différentes classes d’actifs.

Une mauvaise lecture de MIF2 expliquerait-elle le comportement trop timoré que vous avez observé chez de nombreux conseillers bancaires vis-à-vis des actions ?

Je pense que MIF 2 a donné lieu à la mise en place de systèmes d’information plus précis, fournissant une aide aux conseillers en leur permettant de faire des matching, des appariements, entre un besoin et un produit ; si le présupposé est que, face à un profil prudent, il faut conseiller uniquement des produits prudents, même si la surface financière du client est importante, alors c’est une mauvaise lecture de MIF 2. MIF 2 permet la diversification et les conseillers doivent explorer tous les besoins, y compris les besoins de long terme.

Un horizon très long permet de réduire fortement le risque lié à la détention d’un portefeuille diversifié en actions.

En quoi l’éducation financière peut-elle faire évoluer la situation ?

L’éducation économique, budgétaire et financière vise à donner aux Français les clés de compréhension de notre monde d’aujourd’hui, elle recherche l’inclusion de tous et la préservation d’un avenir financier adéquat. Sur nos sujets, elle doit permettre de parler le même langage que son conseiller, d’être en mesure de lui poser des questions, de comprendre les éléments de risque et de performance, de diversification, pour bénéficier d’un côté d’un conseil de qualité et de l’autre d’un consentement éclairé du client.

L’AMF est très impliquée dans la stratégie nationale d’éducation financière lancée en décembre 2016 par le gouvernement et dont la Banque de France est l’opérateur. Cinq piliers ont été définis :

– la formation des relais pour accompagner les personnes en difficulté financière ;

– la formation des jeunes avec l’Éducation nationale ;

– le soutien des compétences budgétaires et financières des Français tout au long de leur vie. C’est sur ce point essentiellement que l’AMF intervient en matière de compétences financières ;

– plus généralement, la culture économique doit être renforcée ;

– les dirigeants de petites entreprises qui peuvent avoir, à titre personnel ou professionnel, besoin d’une information économique et financière plus précise.

Accordez-vous un traitement particulier au risque que présentent les titres émis par les établissements bancaires qui sont susceptibles de les proposer à leurs clients particuliers ? Il peut s’agir d’actions mais aussi d’obligations bancaires qui présentent de nouveaux risques, depuis l’entrée en vigueur de la directive BRRD…

Les obligations émises par un établissement peuvent en effet être commercialisées par cette même banque auprès de particuliers mais cela génère un conflit d’intérêts pour l’établissement qui vend ses propres titres. Donc cette vente doit se dérouler en toute transparence, en prenant en compte le profil du client et les questions de liquidité, car ces titres sont souvent peu liquides. D’autre part la notion de risque sur l’établissement doit être connue, notamment les mécanismes de résolution, car les personnes qui détiennent cette dette, par exemple des obligations senior non préférées, pourraient, en cas de résolution bancaire, être appelées : tout ou partie du capital investi dans ces titres pourrait servir au renflouement de l’établissement. Ces produits doivent rester limités en montant et volume dans le portefeuille du particulier.

Quelles autres améliorations peuvent être apportées en matière de protection de l’épargnant ?

Je citerais quatre points à améliorer :

– lors des visites mystère, de nombreux établissements n’étaient pas suffisamment précis sur le thème des charges qui pèsent sur le budget du client ce qui est un souci car si les charges sont importantes, la capacité d’épargne est faible, même si les revenus sont importants ;

– pour savoir quelles connaissances et expériences du monde financier ont les épargnants, l’auto-évaluation n’est pas acceptable ; cette pratique a reculé mais elle est toujours présente (dans 8 établissements sur 18 visités) ;

– la transparence sur les frais s’est beaucoup améliorée grâce à la réglementation, mais ce sujet doit maintenant faire davantage partie du dialogue avec le client ;

– s’il est bien remis au client, je ne pense pas que le DICI[2] serve systématiquement de base d’échange entre le conseiller et le client. Cela devrait être le cas.

Le DIC[3] inspire de nombreuses insatisfactions. Ce document va-t-il évoluer ?

Le DIC nous concerne pour les produits structurés et pour les SCPI. Le document est perfectible ; j’espère que les échanges à ce sujet au niveau européen transsectoriel aboutiront à des améliorations.

Propos recueillis par Sophie Gauvent.

 

[1] Parmi ses outils de contrôle, l’AMF dispose des visites mystère : un salarié de l’AMF se présente comme un client ordinaire dans une agence pour observer de quelle façon les produits financiers y sont commercialisés.

[2] Document d’information clé pour l’investisseur.

[3] Document d’Information Clé (voir également l’interview de Guillaume Prache).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº826