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Gestion des risques et des organisations

Agences : le grand saut vers l'inconnu

Créé le

19.11.2013

-

Mis à jour le

27.11.2013

Devant la chute régulière de leur fréquentation et face à une remise en cause de leur rôle central dans la relation client-banque, les agences se voient contraintes d’évoluer, afin de s’adapter à une clientèle, plurielle et changeante. La situation française, marquée à la fois par une forte densité d’agences par habitant et par un degré de digitalisation de la relation en retrait par rapport aux pays scandinaves, est atypique.

Deux initiatives concomitantes illustrent de façon significative la question du rôle des agences bancaires en matière de relation clients-banque, dans un marché particulièrement dense comme l’est le marché français.

Les « Café 2.0 » de la Société Générale, ateliers de sensibilisation aux enjeux du numérique ouverts sur inscription dans une vingtaine d’agences, et les ateliers « Parlons vrai » de BNP Paribas, sessions pédagogiques autour de thématiques financières, traduisent l’ambition de démontrer et de renforcer la valeur ajoutée associée aux échanges entre les banques et leurs clients. En combinant sensibilisation aux enjeux numériques, éducation financière et proximité, ces initiatives tests matérialisent ce que peuvent être des réponses concrètes à la désaffection significative que connaissent les agences.

Un modèle en crise

Bouleversés par la double révolution sociétale et technologique que portent les comportements clients et technologies mobiles à l’ère digitale, les réseaux bancaires ne peuvent que constater la fin de leur âge d’or.

Les États-Unis, après un pic à 99 950 agences en 2009, voient leur parc diminuer régulièrement (97 337 en  2012) [1] . Au Royaume-Uni, la baisse est beaucoup plus significative et ancienne, 50 % du parc ayant fermé depuis 1990 (soit une diminution de 7 000 agences) [2] .

En zone euro, ce sont près de 15 000 agences qui ont fermé leur porte entre 2008 et 2012 (-8 %) [3] .

La France, 2e pays d’Europe en termes de densité (38 000 unités, 600 agences par million d’habitants, contre 450 dans l’UE), a connu une baisse plus mesurée (-2,8 % sur la période), traduisant la fin du « tabou » de la fermeture des agences. Cette tendance est plus manifeste en ce qui concerne les réseaux « atypiques » : Boursorama Banque a fermé son réseau physique, Franfinance également. Les agences BNPP PF dédiées au crédit immobilier fermeront quant à elles d’ici janvier 2014.

Le consensus ayant prévalu dans les années 2000, à savoir que l’ouverture d’agences est vectrice de conquête clients, n’est plus.

Une baisse sensible de la fréquentation

Ces fermetures ne sont que la conséquence logique d’une diminution régulière et conséquente de la fréquentation (divisée par 3 entre 2007 et  2012) [4] , fait plonger la rentabilité des agences et menace jusqu’à 15 % du parc installé en France.

Contrairement à une idée reçue, cette évolution n’est pas directement imputable à une migration de la clientèle des banques traditionnelles vers les banques en ligne. Celles-ci ne servent de banque principale qu’à 2 % de la population. Les grands réseaux ont pu contrer leur développement dans les années 2000 en densifiant leur présence physique et en développant des solutions de banque à distance, profitant de surcroît du positionnement ambigu des banques en ligne, à la fois discount et orienté CSP+.

Une partie de la baisse de fréquentation est directement liée à une volonté stratégique de repositionner le rôle de l’agence et des conseillers. La dématérialisation des moyens de paiement et le transfert au client d’actes de gestion simples, via des automates (progression de +194 % du parc de DAB-GAB de 1994 à fin 2011, pour un parc total de 58 170  unités) [5] ou via les canaux de banque à distance, ont été favorisés, dans le but de diminuer la part du transactionnel, au profit de tâches à plus forte valeur ajoutée (notamment de conseil et de vente). Ce repositionnement du rôle de l’agence rencontre désormais des difficultés d’ordre structurel :

  • la localisation d’une partie du parc est obsolète, en regard des évolutions démographiques et sociétales, tandis que les horaires s’accommodent généralement peu des contraintes et des nouvelles attentes des clients ;
  • le développement des sources d’information, des outils de simulation et de souscription en ligne contribuent, sinon à cannibaliser complètement la vente en agence, du moins, à rendre plus hétérogènes les parcours-clients et plus difficile la mesure de la valeur ajoutée conseil produite en agence.
La baisse de la fréquentation moyenne naît donc de la conjonction de deux facteurs : la diminution du nombre d’opérations pour lesquelles l’agence est indispensable et le maintien de conditions d’accès non optimales pour la clientèle.

La fin du « one size fits them all »

Confrontée à cette problématique, la réponse des grands réseaux passe par la mise en place de nouveaux formats. Protéiformes, ces agences d’un type nouveau s’inscrivent dans une démarche louable d’innovation, explorant des pistes diverses, qui laissent entrevoir la fin du « one size fits them all » :

  • agences de prestige, répliquant les standards de référence en matière de distribution (Apple stores) ;
  • agences spécialisées, en fonction des typologies de clientèle (étudiants), voire de leur nature d’activité (professionnels) ;
  • agences dédiées aux projets de vie, focalisées sur la notion de conseil.
À ces typologies nouvelles se greffent d’autres initiatives toutes aussi structurantes :

  • redimensionnement à la fois spatial (localisation et superficie) et temporel (horaires élargis, voire agences temporaires) ;
  • intégration des nouvelles technologies dans une logique d’imbrication on line/in store ;
  • diversification des produits et services proposés en agence (par capillarité : mobile, services à la maison…) ;
  • transformation fondamentale de l’expérience vécue, non plus en agence, mais dans un lieu de vie
Diverses, ces initiatives traduisent à la fois une forme de créativité, mais aussi la difficulté à penser le statut des agences : devenues de simples maillons de la relation clients-banque omnicanale, elles demeurent cependant la seule manifestation tangible de cette relation.

La clientèle au centre du jeu

Le délicat sujet de la densité des réseaux et du format des agences conduit évidemment à remettre en exergue la question de la clientèle. Les dernières études tendent à montrer qu’une majorité de la clientèle particulière reste plutôt conservatrice, très attachée à la notion de « footprint » bancaire et à une relation suivie client-conseiller, à forte valeur ajoutée. Elle apparaît majoritairement opposée à une digitalisation complète de la relation bancaire.

Dans cette optique, des initiatives telles que les « Cafés 2.0 » et les ateliers « Parlons vrai » représentent des pistes intéressantes, combinant proximité et valeur ajoutée. Ce type d’échanges in situ, dans un cadre non habituel, pourrait en outre libérer la part non exprimée, voire inconsciente, des attentes et des besoins clients, difficilement mesurable dans le cadre d’enquêtes.

La généralisation et la pérennisation de services de conseil nécessitent de repenser l’agencement des agences (combinant espace self-service, accompagnement et confidentialité), ainsi que le nombre, le profil et la disponibilité des conseillers. Cette démarche de transformation doit nécessairement s’inscrire dans le cadre d’une stratégie claire en matière de clientèle cible et de maillage associé.

Pour certaines zones géographiques, une désaffection des réseaux pourrait favoriser l’émergence d’acteurs locaux positionnant l’agence comme lieu de vie et d’échange, ancré dans le local, sur le modèle de certaines credit unions américaines ou canadiennes, mettant conseils et moyens (salles, matériel) à disposition des différentes composantes de la « communauté » (particuliers, entreprises, associations).

Un équilibre délicat

Atteindre l’équilibre entre rentabilité et proximité reste un exercice délicat, qui ne peut réussir que par l’adéquation entre la stratégie clients (segments cibles) et les moyens associés (métriques adaptées, processus souples et centrés autour du client, ressources humaines adaptées).



1 Évolution du nombre d’agences aux États-Unis : compilation réalisée par SNL Financial (http://www.snl.com) sur la base des données publiées par la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation). 2 Évolution du nombre d’agences au Royaume-Uni : données compilées par le site Community Banking Services (http://www.communitybanking.org.uk/report_reduction_2013.htm. Sources : BBA Annual Abstract 2013, European Union 2013. 3 Évolution du nombre d’agences dans l’Union européenne (2008-2012) : données BCE (http://www.ecb.europa.eu). 4 Source : Étude IFOP-FBF. Il s'agit de la baisse du nombre de personnes déclarant se rendre en agence plus d’une fois par mois (de 62 % à 17 %) : http://www.fbf.fr, onglet « mieux-connaitre-la-banque ». 5 Source : FBF (http://www.fbf.fr). Évolution du parc 1994-2013 : http://www.culturebanque.com/, sur base données historiques Banque de France.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº766
Notes :
1 Évolution du nombre d’agences aux États-Unis : compilation réalisée par SNL Financial (http://www.snl.com) sur la base des données publiées par la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation).
2 Évolution du nombre d’agences au Royaume-Uni : données compilées par le site Community Banking Services (http://www.communitybanking.org.uk/report_reduction_2013.htm. Sources : BBA Annual Abstract 2013, European Union 2013.
3 Évolution du nombre d’agences dans l’Union européenne (2008-2012) : données BCE (http://www.ecb.europa.eu).
4 Source : Étude IFOP-FBF. Il s'agit de la baisse du nombre de personnes déclarant se rendre en agence plus d’une fois par mois (de 62 % à 17 %) : http://www.fbf.fr, onglet « mieux-connaitre-la-banque ».
5 Source : FBF (http://www.fbf.fr). Évolution du parc 1994-2013 : http://www.culturebanque.com/, sur base données historiques Banque de France.