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Assurance vie

Vers une profonde mutation du paysage de la bancassurance ?

Créé le

06.11.2014

-

Mis à jour le

01.12.2014

Depuis longtemps principal distributeur des contrats d’assurance vie, le secteur de la bancassurance va devoir faire face à une remise en cause de son modèle. Or, entre Solvabilité 2 et les conditions de marché, les injonctions sont contradictoires.

La distribution d’épargne-vie par les réseaux des banques (guichets, CGP bancaires, structures captives de gestion privée) domine le marché de l’assurance vie en France depuis 20 à 30 années. Désormais stable depuis 2007, la part de marché des réseaux des banques est évaluée à 53 % des flux de collecte par Facts & Figures (voir Graphe). Tout va apparemment bien pour les captives de banques :

  • elles bénéficient de la puissance commerciale et de la connaissance des flux financiers des clients par les réseaux de leur groupe bancaire d’appartenance ;
  • elles peuvent se permettre de servir des taux en moyenne inférieurs de 15 à 20 centimes à ceux du marché, en raison du caractère relativement « captif » de leur clientèle retail ;
  • leurs réseaux bancaires de rattachement leur offrent une capacité à réguler leur collecte grâce à l’alternative de l’épargne bancaire et de l’épargne réglementée.

La fin d’une époque

Pour autant, la bancassurance vie arrive à la fin de cette « formidable époque ». De puissants signaux d’alerte sont là. Tout d’abord, les guichets bancaires se révèlent dans l’incapacité d’apporter un conseil à leurs clients en termes d’allocation d’actifs. Par peur d’apporter un mauvais conseil, par manque de formation et en raison d’un trop grand nombre de produits à distribuer (tous univers confondus : banque, assurance vie, assurance dommages…), les conseillers bancaires retail sont dans l’incapacité de vendre des unités de compte (UC). Si le taux d’UC des bancassureurs vie est péniblement remonté à 15 % depuis la crise de 2008, force est de constater qu’entre le tiers et la moitié des flux correspondants sont dus à des opérations « à fenêtre » sur des fonds structurés. On n’est alors pas dans la vente de « vraies » unités de compte.

Déjà fortement consommatrice de fonds propres dans le cadre de Solvabilité 1 (exigence en fonds propres de 4 % sur les encours en euros), l’épargne-vie va le devenir encore plus dans le cadre de Solvabilité 2 (avec un curseur situé entre 4 et 12 % selon la composition de l’actif des fonds en euros, leur volatilité, leur liquidité…). Du coup, les fonds propres mobilisés par l’assurance vie dépassent désormais souvent ceux requis pour l’activité bancaire de base des groupes. Or le retour sur fonds propres correspondant (ROE normé) ne dépasse plus guère 6 à 8 % pour l’activité d’épargne-vie des banques, en dépit de médiocres taux servis.

Afin de minimiser leurs futurs besoins en fonds propres dans le cadre de Solvabilité 2, la plupart des captives bancaires d’assurance vie réduisent les actifs considérés comme étant « à risque » dans leur allocation. Concrètement, cela revient à diminuer la part des actions (pénalisées par Solvabilité 2 en raison de leur trop grande volatilité), celle de l’immobilier (pénalisé en raison du risque de liquidité) et des obligations dont le rating est inférieur à BBB. Dans cette logique, les captives continuent à investir dans des obligations d’Etat considérées « plus solides ». Quel avenir y a-t-il aujourd’hui à rentrer de l’OAT à 10 ans rémunérée 1,20 %, alors même qu’il faut derrière absorber entre 60 et 90 centimes de frais annuels de gestion ? En cas de remontée brutale des taux d’intérêt ou de nouvelle prochaine crise financière – hypothèse réaliste au regard de la situation de la zone euro –, les captives se retrouveront coincées avec des actifs totalement inadaptés à l’évolution de l’environnement financier.

Les marges de manœuvre stratégiques

Quelles décisions stratégiques les groupes bancaires peuvent-ils prendre dans ce contexte afin d’éviter un effet « domino » lié à des fonds propres alloués à leur activité d’épargne-vie désormais très (trop ?) importants et une possible explosion de leurs fonds en euros liée à une allocation d’actifs cohérente avec l’arrivée Solvabilité 2, mais objectivement dangereuse au regard des menaces de l’environnement financier ?

Si la réponse à apporter dépend de l’environnement propre de chaque groupe bancaire et de son réel niveau d’exposition, nous pouvons toutefois formuler ici quelques pistes. Elles portent tout d’abord sur l’activité opérationnelle :

  • limitation des flux de collecte sur les fonds en euros tant qu’un certain niveau de taux d’UC n’est pas atteint ;
  • mise en place de spécialistes financiers au sein d’agences / de groupes d’agences afin d’appuyer les conseillers bancaires dans la promotion des UC ;
  • accroissement des systèmes de bonus dans la fixation des taux servis afin d’inciter beaucoup plus les épargnants à aller sur les UC ;
  • développement des services (à distance) de suivi et de conseil des clients dans la gestion de leurs contrats multisupports et dans l’évolution de leur allocation d’actifs ;
  • poursuite des campagnes (« fenêtres ») sur des fonds structurés, mais en sachant que les conditions actuelles de marché rendent beaucoup moins facile le montage de fonds structurés attractifs pour les clients ;
  • promotion accrue des contrats de retraite (susceptibles de comporter entre 60 et 80 % d’UC en raison de la durée prévue de l’investissement), sans passer nécessairement par le cadre contraignant (et mal accepté par les Français) du PERP ;
  • accélération du développement de la prévoyance individuelle et des assurances collectives, ces activités étant génératrices de marges techniques et permettant de mieux rémunérer le besoin correspondant en marge de solvabilité.
Des ajustements peuvent aussi être menés sur le plan bilanciel et capitalistique :

  • fusion des différentes sociétés d’assurance vie existantes au sein d’un même groupe bancaire ;
  • levées importantes de passifs subordonnés afin de faire face aux exigences accrues en besoin en marge de solvabilité ;
  • ouverture du capital des captives, soit à des groupes traditionnels d’assurance, soit à des fonds d’investissement, soit via une mise en Bourse partielle.

Euro-croissance : la réforme salutaire ?

Dans ce contexte, on peut se demander si les fonds euro-croissance qui commencent à arriver sur le marché sont une réponse adéquate vis-à-vis de l’environnement actuel et des enjeux énoncés. Les fonds euro-croissance présentent a priori un certain nombre d’atouts indéniables :

  • suppression de la garantie en capital au jour le jour ;
  • moindre exigence en fonds propres au regard de Solvabilité 2 ;
  • possibilité de diversifier théoriquement les actifs dans un contexte de taux obligataires anormalement bas.
Mais le contexte actuel des marchés financiers avec une OAT à 10 ans située autour de 1,20 % rend quasiment impossible le montage de fonds euro-croissance attractifs. Même en reportant la garantie en capital à une échéance de 10 ou 12 ans, il n’y a plus suffisamment de rendement à attendre de la part de la poche obligataire pour alimenter suffisamment la poche à risque (actions, immobilier, infrastructures, non coté…). Si les fonds euro-croissance reposent a priori sur des principes intelligents, ceux-ci nous semblent inopérants pour les bancassureurs vie. Enfin, nul besoin de souligner la complexité pour les clients auxquels il faudra expliquer le fonctionnement de la provision technique de diversification (PTD).

Les prochaines années seront résolument celles d’une profonde transformation de la bancassurance vie en France. Une page de 30 années d’histoire devrait s’achever. Nous avons ici essayé d’apporter quelques éléments d’éclairage et de vision sur ce qui devrait « driver » cette transformation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº778