Le système d'assurance des entreprises agricoles face aux chocs climatiques

Quels sont exactement les nouveaux risques dans le secteur agricole ? Le risque climatique n'est pas vraiment nouveau : la gr&ecirc;le ou la s&eacute;cheresse sont des al&eacute;as connus depuis longtemps dans le monde agricole. Ce qui change, c&rsquo;est leur fr&eacute;quence et surtout leur impact. Au fil des ann&eacute;es, les exploitations se sont fortement sp&eacute;cialis&eacute;es et sont devenues plus sensibles aux impacts climatiques susceptibles d'affecter la production constituant la part la plus importante de leurs revenus. Les agriculteurs ont aussi conscience que d&rsquo;autres risques se d&eacute;veloppent, sans forc&eacute;ment avoir les moyens d&rsquo;agir directement sur eux. Il ne faut d'ailleurs pas isoler le risque climatique des autres risques auxquels l&rsquo;agriculteur est confront&eacute;. Il est le plus facilement transf&eacute;rable dans un march&eacute; d&rsquo;assurance priv&eacute;e parce qu&rsquo;il est bien ma&icirc;tris&eacute;, mais il faut pouvoir traiter les autres facteurs qui influencent le revenu de l&rsquo;agriculteur, tels que le march&eacute; ou le risque sanitaire pour les productions animales. Finalement, pour l&rsquo;agriculteur, le risque est celui de la variation de son revenu ; le risque climatique est l'un des facteurs qui peuvent le faire fluctuer et peser sur la viabilit&eacute; de l&rsquo;entreprise agricole. L&rsquo;assureur a-t-il la m&ecirc;me perception que l'exploitant de l&rsquo;importance des diff&eacute;rents risques agricoles ? Oui. Le risque climatique est l&rsquo;un de ceux qu&rsquo;il ma&icirc;trise bien, car c&rsquo;est l'un des mieux suivis. Les assureurs disposent de bases de donn&eacute;es historiques tr&egrave;s riches sur les al&eacute;as climatiques. Tous travaillent &agrave; la mod&eacute;lisation du potentiel de rendement, par r&eacute;gion et par production. Ces bases constituent la mati&egrave;re premi&egrave;re des assureurs pour &eacute;valuer un risque et lui attribuer un prix. Les autres risques sont des mati&egrave;res plus nouvelles, sur lesquelles ils se penchent aussi. Encore faut-il qu'ils disposent d&rsquo;&eacute;l&eacute;ments suffisamment nombreux pour pouvoir caract&eacute;riser ces risques et les &eacute;valuer&hellip; Comment aborde-t-on le risque climatique en agriculture aujourd'hui ? Tout d'abord, l'assurance n'est pas le seul outil qui permette d&rsquo;amortir le risque climatique. Notre premier r&ocirc;le, en tant que conseil en assurances, est d&rsquo;identifier avec nos clients &ndash; coop&eacute;ratives ou agriculteurs &ndash; leur exposition aux diff&eacute;rents risques. Il faut ensuite d&eacute;terminer les moyens qu&rsquo;ils ont &agrave; leur disposition pour amortir eux-m&ecirc;mes certains risques, avant d&rsquo;avoir recours &agrave; un produit d&rsquo;assurance. Nous essayons d'&eacute;valuer la part de risque qu&rsquo;ils peuvent appr&eacute;hender eux-m&ecirc;mes, gr&acirc;ce &agrave; certains investissements, tels que des filets antigr&ecirc;le pour l'arboriculture, des syst&egrave;mes d&rsquo;irrigation contre la s&eacute;cheresse, ou des tours antigel pour les vignes. Une fois faite cette premi&egrave;re &eacute;valuation, l'exploitant peut se tourner vers des programmes d&rsquo;assurances. Il doit alors observer la fa&ccedil;on dont, historiquement, sa production a &eacute;volu&eacute; en fonction du climat. Il &eacute;tablit les niveaux de perte &agrave; partir desquels il veut transf&eacute;rer les risques &agrave; l&rsquo;assureur. En g&eacute;n&eacute;ral, un agriculteur est capable d'assumer 5 &agrave; 10 % de pertes, d&rsquo;une ann&eacute;e sur l&rsquo;autre. Au-del&agrave;, la situation varie selon la structure financi&egrave;re de l'exploitation. Au-del&agrave; de 20 &agrave; 25 % de pertes de production, il faut des solutions pour transf&eacute;rer le risque &agrave; l'assureur. Diff&eacute;rentes solutions assurantielles lui sont propos&eacute;es, individuelles, pour les risques de rendement personnels, ou collectives. Un groupement de producteurs, par exemple, peut d&eacute;finir un programme d&rsquo;assurances pour l&rsquo;ensemble de ses membres. Ce type de solutions permet de mutualiser les risques, au sein d&rsquo;une zone, et de limiter les co&ucirc;ts. Il existe des formes de mutualisation, en partie subventionn&eacute;es par des fonds europ&eacute;ens, qui permettent une couverture &agrave; l'&eacute;chelle de la fili&egrave;re. Il faut ainsi &eacute;tablir un panorama complet des outils &agrave; disposition pour construire une couverture coh&eacute;rente. Ces arbitrages, seuls l&rsquo;agriculteur, le groupement d&rsquo;agriculteurs ou la f&eacute;d&eacute;ration peuvent les faire. Ces derni&egrave;res ann&eacute;es, tr&egrave;s peu d&rsquo;agriculteurs &eacute;taient assur&eacute;s contre le risque climatique. Pourquoi ? Les raisons en sont assez diverses, selon les productions concern&eacute;es. Dans les grandes cultures, 30 % environ des exploitants sont assur&eacute;s : c'est l'un des taux les plus &eacute;lev&eacute;s. Ceux qui ne s'assurent pas consid&egrave;rent que les assurances subventionn&eacute;es propos&eacute;es pour le risque rendement sont d&eacute;clench&eacute;es &agrave; des seuils trop bas. Il faut en effet plus de 30 % de pertes pour commencer &agrave; &ecirc;tre indemnis&eacute;. Ces situations sont encore trop peu fr&eacute;quentes, selon eux, pour s&rsquo;assurer. S'ils font ce choix en conscience, c&rsquo;est bien : ils ont vraiment analys&eacute; leur risque et consid&egrave;rent qu&rsquo;ils sont capables de l&rsquo;assumer. Mais tous les agriculteurs n'ont pas conscience des risques qu'ils prennent&hellip; Une autre explication de la non-assurance est le manque d&rsquo;&eacute;ducation et de formation autour des outils de gestion de risques et assurantiels, qui peuvent appara&icirc;tre assez complexes. Enfin, dans certaines branches telles que la viticulture ou l&rsquo;arboriculture, le prix de l'assurance peut &ecirc;tre dissuasif. D&egrave;s lors qu&rsquo;il y a d&eacute;clenchement de l&rsquo;assurance, les montants des capitaux &agrave; l&rsquo;hectare sont tr&egrave;s &eacute;lev&eacute;s, et les indemnit&eacute;s peuvent &ecirc;tre tr&egrave;s lourdes. Les primes d&rsquo;assurance sont en cons&eacute;quence tr&egrave;s &eacute;lev&eacute;es, pour des producteurs qui peinent &agrave; d&eacute;gager une marge d&rsquo;hectare r&eacute;guli&egrave;re et suffisante. Pour ceux-l&agrave;, il faudra peut-&ecirc;tre d&eacute;sormais &eacute;tudier d&rsquo;autres formes d&rsquo;assurances collectives, o&ugrave; ne sera plus assur&eacute; le rendement individuel de l&rsquo;agriculteur mais le rendement moyen d&rsquo;un bassin de production, ce qui permettrait de verser une indemnit&eacute; forfaitaire &agrave; chacun des producteurs de la r&eacute;gion. Cela ne couvrirait pas 100 % de la perte d&rsquo;un agriculteur, mais aiderait &agrave; l'assumer lors des ann&eacute;es particuli&egrave;rement difficiles. L'assurance collective est d&eacute;j&agrave; d&eacute;velopp&eacute;e dans le secteur des semences, par exemple, o&ugrave; les valeurs &agrave; l&rsquo;hectare sont tr&egrave;s importantes. Les producteurs disposent alors d'une couverture individuelle qui va leur permettre d'assumer les risques de pertes importantes de rendements &ndash; au-del&agrave; de 30 % &ndash;, et de b&eacute;n&eacute;ficier du contrat socle subventionn&eacute; qui rend le co&ucirc;t de l&rsquo;assurance relativement faible ; ils disposent par ailleurs d'une assurance collective ou d'un contrat groupe qui va assumer des pertes comprises, en g&eacute;n&eacute;ral, entre -30 et -15 %. Enfin, l&rsquo;agriculteur assume lui-m&ecirc;me une perte de 0 &agrave; 15 %, qu&rsquo;il consid&egrave;re &ecirc;tre l&rsquo;al&eacute;a normal, d&rsquo;une ann&eacute;e &agrave; l&rsquo;autre, dans la vie de son exploitation. Ce syst&egrave;me pourrait &ecirc;tre &eacute;tendu &agrave; toutes les productions organis&eacute;es par fili&egrave;re, disposant d'un syndicat de producteurs ou de repr&eacute;sentants, &agrave; l&rsquo;&eacute;chelle d&rsquo;une appellation, d&rsquo;une r&eacute;gion, ou d&rsquo;une f&eacute;d&eacute;ration. Les fili&egrave;res structur&eacute;es fournissent des interlocuteurs &agrave; m&ecirc;me de concevoir des assurances collectives. Le ministre de l&rsquo;Agriculture a souhait&eacute; rendre obligatoire l&rsquo;assurance r&eacute;colte. Est-ce pertinent selon vous ? Tout ce qui permet de mutualiser un risque de fa&ccedil;on tr&egrave;s large est une bonne chose. La r&eacute;partition du risque permet vraiment d&rsquo;amortir les al&eacute;as, et donc le co&ucirc;t. Du point de vue de l'assureur qui doit &eacute;valuer le risque, plus la mutualisation est importante, meilleure sera la performance. Malgr&eacute; tout, ce principe a des limites. Aujourd&rsquo;hui, environ 30 % des producteurs de grandes cultures sont assur&eacute;s : cela repr&eacute;sente d&eacute;j&agrave; des capacit&eacute;s d&rsquo;assurance tr&egrave;s importantes. En rendant l'assurance obligatoire, pour assumer un tel volume, il faudrait mobiliser &eacute;norm&eacute;ment de capacit&eacute;s d&rsquo;assurance. Cela n&eacute;cessiterait aussi, pour &ecirc;tre viable, de pouvoir compter sur une r&eacute;assurance publique, au moins au-del&agrave; d&rsquo;un certain seuil de risques. Ensuite, il faudrait sonder l&rsquo;&eacute;tat d&rsquo;esprit des agriculteurs. Si l'assurance r&eacute;colte doit &ecirc;tre obligatoire, il faudrait vraiment qu'elle le soit pour tous. Or les producteurs de grandes cultures seraient-ils pr&ecirc;ts &agrave; se rendre solidaires des &eacute;leveurs ou des arboriculteurs, ceux du Nord-Pas-de-Calais avec ceux de Provence ? L&rsquo;agriculture conventionnelle serait-elle pr&ecirc;te &agrave; prendre sa part du risque pour l'agriculture bio ? Faut-il modifier les modalit&eacute;s de calcul de la garantie du contrat socle subventionn&eacute; ? [1] Le contrat socle, qui monopolise l&rsquo;ensemble des aides, est d&eacute;fini par un cahier des charges assez strict. Or, aujourd&rsquo;hui, il est possible de r&eacute;pondre &agrave; une grande diversit&eacute; de besoins en assurances sans se baser sur ce contrat socle tr&egrave;s rigide. D&egrave;s qu'il faut introduire une part de chiffre d&rsquo;affaires, le risque prix ou le risque qualit&eacute;, il faut recourir &agrave; d&rsquo;autres types de contrats d&rsquo;assurance qui ne vont pas forc&eacute;ment r&eacute;pondre au cahier des charges d&eacute;fini pour le risque climatique. Ces contrats innovants ne b&eacute;n&eacute;ficient pas de la subvention europ&eacute;enne, alors m&ecirc;me qu&rsquo;ils r&eacute;pondent en partie &agrave; l&rsquo;objet de cette subvention. Il faudrait une enveloppe d&rsquo;aides d&eacute;di&eacute;e &agrave; l&rsquo;innovation, qui ne soit pas un frein d&rsquo;embl&eacute;e &agrave; de nouveaux types d&rsquo;assurances. Quelles pourraient &ecirc;tre les innovations en mati&egrave;re d&rsquo;assurance agricole ? L&rsquo;innovation la plus r&eacute;cente et effective sur le march&eacute; est l&rsquo;assurance chiffre d&rsquo;affaires pour les grandes cultures. Il serait possible de la transf&eacute;rer &agrave; d&rsquo;autres cultures, d&egrave;s lors que le risque de volatilit&eacute; des prix est transf&eacute;rable sur des march&eacute;s &agrave; terme. L'assurance agricole est une mati&egrave;re d'une telle diversit&eacute;, de types et de structures d&rsquo;exploitations, qu'il y a vraiment mati&egrave;re &agrave; innover. Les assureurs d&eacute;veloppent depuis quelques ann&eacute;es des assurances indicielles, dites &laquo; param&eacute;triques &raquo;, dont le calcul d&rsquo;indemnit&eacute;s est g&eacute;n&eacute;r&eacute; d&egrave;s lors qu&rsquo;un ou plusieurs crit&egrave;res de d&eacute;clenchement sont remplis &ndash; par exemple, un cumul de pluie sur une zone g&eacute;ographique et une p&eacute;riode d&eacute;termin&eacute;es, un &eacute;pisode de gel persistant &agrave; un stade critique de d&eacute;veloppement de la plante, ou plusieurs jours cons&eacute;cutifs sans pluie au moment de la lev&eacute;e des semis &ndash; et ce quel que soit l&rsquo;impact r&eacute;el observ&eacute; chez l&rsquo;agriculteur. Ce type d&rsquo;assurance permet d&rsquo;automatiser le versement des indemnit&eacute;s sans d&eacute;placement d'expert. Les co&ucirc;ts de gestion s'en trouvent plus faibles. En revanche, l&rsquo;indemnit&eacute; vers&eacute;e n&rsquo;est pas forc&eacute;ment le reflet exact de la perte, l&rsquo;objectif &eacute;tant de contribuer &agrave; couvrir la perte de l&rsquo;assur&eacute;. Les assurances indicielles sont efficaces si les crit&egrave;res utilis&eacute;s pour le d&eacute;clenchement sont suffisamment repr&eacute;sentatifs du risque r&eacute;el de l&rsquo;assur&eacute;. La r&eacute;flexion sur l'innovation n'est pas vraiment men&eacute;e par les agriculteurs et les assureurs, car ces derniers ont besoin de voir le potentiel de mutualisation. Elle se d&eacute;veloppe au niveau de groupements, de coop&eacute;ratives, d&rsquo;interlocuteurs capables d'avoir une vision d'ensemble et de structurer suffisamment d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;ts communs &agrave; l'int&eacute;rieur d'une fili&egrave;re, d'une r&eacute;gion ou d'un profil d&rsquo;agriculteurs. C'est une condition au d&eacute;veloppement d&rsquo;une assurance p&eacute;renne. 1 Le premier niveau du contrat multirisques climatique r&eacute;coltes b&eacute;n&eacute;ficie d&rsquo;une subvention publique au taux maximum de 65 %.

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Le système d'assurance des entreprises agricoles face aux chocs climatiques

En matière d'assurance agricole, l'innovation naît et se développe dans les groupements, les coopératives, et les filières les plus structurées, analyse Fabienne Chapelain, responsable des risques amont agricoles de la société de conseils en assurances Bessé Agro.

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