Pour un devoir de « loyauté » des banques envers leurs clients

Remis &agrave; Christine Lagarde d&eacute;but novembre, le rapport dit &laquo; Deletr&eacute; 2 &raquo; introduit une obligation de &laquo; loyaut&eacute; &raquo; des banques, et plus largement des &eacute;tablissements financiers, &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de leurs clients. Les professionnels se sont montr&eacute;s tr&egrave;s r&eacute;serv&eacute;s sur ces propositions qui pourraient &ecirc;tre reprises dans le projet de loi sur le cr&eacute;dit &agrave; la consommation soumis au Parlement d&rsquo;ici la fin du premier trimestre. Comment jugez-vous la qualit&eacute; de la relation entre les institutions financi&egrave;res et leurs clients en France ? C&rsquo;est une donn&eacute;e qui varie dans le temps, mais je ne pense pas du tout que la France soit dans une situation plus d&eacute;licate que les autres pays europ&eacute;ens. Elle est m&ecirc;me sur certains points dans une meilleure position. N&eacute;anmoins, ceci ne veut pas dire qu&rsquo;il n&rsquo;y a pas de probl&egrave;mes chez nous, comme je l&rsquo;ai parfois entendu lors de l&rsquo;audition de certains professionnels pour mon deuxi&egrave;me rapport. J&rsquo;ai &eacute;galement constat&eacute; que les pays qui ont le plus r&eacute;fl&eacute;chi &agrave; cette question de la conduite des affaires et qui ont mis en place la supervision la plus fine sont les pays dans lesquels il y a eu, &agrave; ce jour, les abus les plus manifestes. C&rsquo;est le cas du Royaume-Uni et des Pays-Bas, par exemple. Je crois que la crise a fortement affect&eacute; la relation entre les banques et leurs clients. Il convenait de s&rsquo;attaquer au sujet d&rsquo;un point de vue commercial &ndash; les acteurs financiers ont int&eacute;r&ecirc;t &agrave; r&eacute;pondre &agrave; cette insatisfaction de leurs clients &ndash;, mais aussi d&rsquo;un point de vue politique. Il s&rsquo;agit ainsi de montrer qu&rsquo;on tire les le&ccedil;ons de la crise en termes de comportement des acteurs financiers vis-&agrave;-vis du public, les particuliers mais aussi les clients professionnels. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs une des raisons pour lesquelles Christine Lagarde a &eacute;t&eacute; tr&egrave;s active dans tous ces domaines et qu&rsquo;elle a bien voulu me confier la r&eacute;daction des deux rapports que je lui ai remis en 2009 [1] [1] . Les banques ont-elles besoin d&rsquo;une impulsion ext&eacute;rieure, voire d&rsquo;une r&eacute;glementation, pour tirer les le&ccedil;ons de cette crise ? La crise a amen&eacute; des acteurs financiers &agrave; se poser spontan&eacute;ment ces questions. On l&rsquo;a constat&eacute; &agrave; travers nos auditions, notamment en province o&ugrave; le personnel des agences nous rapportait les insultes dont il &eacute;tait parfois victime. Montrer aux clients que les choses ont chang&eacute; est une n&eacute;cessit&eacute; commerciale. Mais selon la culture de l&rsquo;entreprise, on en est plus ou moins conscient et, le temps passant, on peut finir par perdre de vue ces imp&eacute;ratifs. Donc oui, il y a eu prise de conscience, mais elle doit &ecirc;tre accompagn&eacute;e, &agrave; mon sens, d&rsquo;une meilleure supervision. Quel impact le d&eacute;veloppement de la banque &agrave; distance a-t-il sur la qualit&eacute; de relation client ? Pour tout nouveau mode de commercialisation, les risques s&rsquo;expriment de fa&ccedil;on diff&eacute;rente et il faut mettre en place des actions particuli&egrave;res pour les pr&eacute;venir. Mais la nature du risque, elle, demeure globalement la m&ecirc;me. Le risque fondamental est de vendre &agrave; un client un produit dont il n&rsquo;a pas besoin ou qui est manifestement inadapt&eacute; &agrave; sa situation. Ce risque-l&agrave; existe que l&rsquo;on soit en face-&agrave;-face ou par Internet. Le deuxi&egrave;me risque fondamental est que le client n&rsquo;ait pas compris le produit qu&rsquo;il a achet&eacute;. C&rsquo;est pourquoi, dans le rapport, l&rsquo;approche que nous proposons est extr&ecirc;mement g&eacute;n&eacute;rale et transversale : je ne pense pas que la r&eacute;glementation puisse descendre dans le d&eacute;tail de savoir quelle proc&eacute;dure privil&eacute;gier pour quel canal, produit par produit. Plus les r&egrave;gles seront pr&eacute;cises, plus elles risquent d&rsquo;&ecirc;tre contourn&eacute;es et d&rsquo;appara&icirc;tre, dans la plupart des cas, inadapt&eacute;es. D&rsquo;o&ugrave; l&rsquo;id&eacute;e pr&eacute;sent&eacute;e dans le rapport d&rsquo;inverser la charge de la preuve : ce serait &agrave; l&rsquo;acteur financier de d&eacute;montrer au superviseur qu&rsquo;il a mis en place des garde-fous pour pr&eacute;venir ces risques de conduite des affaires. Parmi les banques que vous avez rencontr&eacute;es, avez-vous constat&eacute; de bonnes pratiques en la mati&egrave;re ? Beaucoup d&rsquo;acteurs ont mis en place des proc&eacute;dures d&rsquo;analyse interne de pr&eacute;-commercialisation d&rsquo;un nouveau produit, ajoutant la dimension conduite des affaires aux obligations instaur&eacute;es par le r&egrave;glement 97.02. Il s&rsquo;agit de r&eacute;pondre &agrave; des questions du type : le produit que je vends est-il vraiment adapt&eacute; au besoin du client ? Dois-je interdire sa vente &agrave; certaines cat&eacute;gories de clients ? Quelles pr&eacute;cautions vais-je demander pour vendre ce produit ? Certains &eacute;tablissements sont all&eacute;s assez loin sur toutes ces questions. Apr&egrave;s la notion de conseil pr&eacute;sent dans la MIF, vous introduisez celle de &laquo; loyaut&eacute; &raquo;. Dans quelle mesure souhaitez-vous en faire un principe contraignant ? Une premi&egrave;re option se pr&eacute;sentait &agrave; nous : celle de proposer des r&egrave;gles strictes sur ce que l&rsquo;on a le droit ou pas de faire en mati&egrave;re de conduite des affaires. Cette r&eacute;glementation &laquo; en dur &raquo; serait revenue &agrave; &eacute;tendre la MIF &agrave; tout le secteur financier : le cr&eacute;dit, l&rsquo;assurance et pas seulement l&rsquo;&eacute;pargne. Nous avons estim&eacute; que ce n&rsquo;&eacute;tait pas la bonne piste. Elle aurait donn&eacute; lieu &agrave; un tombereau de r&egrave;gles, mais, surtout, elle serait pass&eacute;e &agrave; c&ocirc;t&eacute; du sujet : nous n&rsquo;aurions encadr&eacute; que les pratiques d&eacute;viantes que nous aurions pu constater. Ce n&rsquo;aurait &eacute;t&eacute; que du curatif et non du pr&eacute;ventif. L&rsquo;autre voie &eacute;tait de cr&eacute;er une obligation de port&eacute;e tr&egrave;s g&eacute;n&eacute;rale, volontairement impr&eacute;cise, qui serait soumise &agrave; supervision. Ce serait ainsi &agrave; chaque &eacute;tablissement de d&eacute;finir comment il s&rsquo;y prendrait, compte tenu des produits qu&rsquo;il vend, des services qu&rsquo;il rend et des clients qu&rsquo;il sert, pour respecter ce principe g&eacute;n&eacute;ral de loyaut&eacute;. En revanche, ce ne serait pas a priori une obligation qui pourrait &ecirc;tre sanctionn&eacute;e par les tribunaux. Elle ne cr&eacute;erait pas une voie de recours suppl&eacute;mentaire pour les clients. Elle constituerait en revanche une disposition soumise au contr&ocirc;le des superviseurs. Le superviseur devrait donc traiter autant de proc&eacute;dures qu&rsquo;il y a d&rsquo;acteurs&hellip; En effet. Nous avons envisag&eacute; cette question dans le rapport et sugg&eacute;r&eacute; le principe des recommandations concert&eacute;es. Dans la pratique, un probl&egrave;me potentiel serait identifi&eacute; par le superviseur qui irait v&eacute;rifier si les entreprises se conforment au principe g&eacute;n&eacute;ral qui est &eacute;nonc&eacute; dans la loi. Mais, au pr&eacute;alable, il se r&eacute;unirait avec des repr&eacute;sentants des professionnels et des consommateurs pour d&eacute;finir les bonnes et les mauvaises pratiques qui serviraient de base &agrave; ce contr&ocirc;le. Les recommandations ainsi obtenues n&rsquo;auraient pas un caract&egrave;re r&eacute;glementaire : un acteur qui respecterait ces recommandations concert&eacute;es serait pr&eacute;sum&eacute; comme se conformant au principe de loyaut&eacute;, mais le superviseur pourrait lui en demander plus si son cas particulier le n&eacute;cessite. &Agrave; l&rsquo;inverse, un acteur financier pourrait tr&egrave;s bien ne pas suivre ces recommandations tant qu&rsquo;il explique au superviseur en quoi ses propres mesures sont plus adapt&eacute;es &agrave; sa situation particuli&egrave;re. Donc oui, il faudrait que le superviseur soit pr&ecirc;t &agrave; regarder toutes les mesures particuli&egrave;res. Dans la r&eacute;alit&eacute;, les bonnes pratiques de march&eacute; se g&eacute;n&eacute;raliseraient assez naturellement. On trouve d&eacute;j&agrave; le m&ecirc;me type de dispositif de supervision sur les questions de lutte antiblanchiment, par exemple. Comment ces recommandations concert&eacute;es s&rsquo;articuleraient-elles avec le travail du CCSF [2] [2] ? Le travail fait au sein du CCSF est tr&egrave;s utile et l&rsquo;id&eacute;e de mettre autour de la table acteurs financiers, utilisateurs et superviseur est d&rsquo;ailleurs calqu&eacute;e sur son fonctionnement. Le CCSF &eacute;met des avis qui ne sont pas contraignants. Notre projet introduit au contraire une obligation l&eacute;gale, une supervision et une possibilit&eacute; de sanction. Qui ferait partie de ce comit&eacute; des recommandations concert&eacute;es ? Nous avons volontairement laiss&eacute; ce point ouvert. Je pense que d&eacute;finir une enceinte g&eacute;n&eacute;rique de concertation ne serait pas une bonne id&eacute;e : tout le monde voudrait en faire partie et elle deviendrait rapidement ing&eacute;rable. Je pense plut&ocirc;t que sa composition devrait &ecirc;tre fix&eacute;e par le superviseur au cas par cas en fonction du sujet &agrave; traiter, en respectant le principe d&rsquo;une repr&eacute;sentation tripartite : professionnels, utilisateurs et superviseur. Si lors de ces r&eacute;unions, aucun accord ne devait &ecirc;tre trouv&eacute; sur ces recommandations, le superviseur prendrait le relais et pourrait lister de fa&ccedil;on unilat&eacute;rale les points qu&rsquo;il contr&ocirc;lerait lors de ses visites. Cette obligation porterait sur tous les &eacute;tablissements, y compris les filiales de groupes &eacute;trangers op&eacute;rant en France ? Oui. Le rapport pr&eacute;cise les dispositions &agrave; prendre pour permettre que ce dispositif s&rsquo;applique &agrave; tous, y compris les acteurs agissant en libre prestation de services en France. C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs ainsi que pratique la FSA britannique dans sa supervision de la conduite des affaires, avec une vision extensive de ses pouvoirs de contr&ocirc;le. Avez-vous articul&eacute; votre travail en fonction des actions en cours au niveau europ&eacute;en (r&eacute;vision de la MIF, directive PRIP&hellip;) ? Notre dispositif ne vient pas du tout en contradiction avec le d&eacute;veloppement de r&eacute;glementation &laquo; en dur &raquo; sur certains aspects. La MIF peut &ecirc;tre r&eacute;vis&eacute;e, une r&eacute;glementation peut voir le jour au niveau de l&rsquo;assurance dommages, le concept de loyaut&eacute; continuerait de s&rsquo;appliquer car il est plus large. Par ailleurs, dans notre esprit, un acteur qui respecterait la directive MIF devrait &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute; comme respectant le principe g&eacute;n&eacute;ral de loyaut&eacute;. Il y a en revanche beaucoup de produits et services qui ne sont pas couverts par la MIF aujourd&rsquo;hui. Depuis la parution de votre rapport, vous &ecirc;tes devenu banquier. Est-ce que cela change votre vision des choses ? J&rsquo;avais &eacute;t&eacute; banquier avant aussi, donc non. D&rsquo;ailleurs, je pense que cette exp&eacute;rience a contribu&eacute; &agrave; la d&eacute;cision de me confier la r&eacute;daction des deux rapports. J&rsquo;ai l&rsquo;impression d&rsquo;avoir fait des propositions raisonnables. Il me semble pr&eacute;f&eacute;rable de collaborer &agrave; la mise en place d&rsquo;une r&eacute;gulation &laquo; intelligente &raquo;, qui r&eacute;pondra &agrave; une v&eacute;ritable attente du public, plut&ocirc;t que de s&rsquo;y opposer en expliquant que tout est parfait. Dans cette derni&egrave;re hypoth&egrave;se, le risque est de se voir imposer des mesures l&eacute;gislatives ou r&eacute;glementaires brutales lorsque des probl&egrave;mes apparaissent et sont relay&eacute;s dans l&rsquo;opinion publique. Je sais que l&rsquo;on ne peut pas obtenir un consensus sur toutes les r&eacute;formes. Il y en a donc certaines que les pouvoirs publics ne doivent pas trop h&eacute;siter &agrave; imposer lorsque cela appara&icirc;t n&eacute;cessaire. 1 Outre le rapport sur le contr&ocirc;le du respect des obligations professionnelles &agrave; l&rsquo;&eacute;gard de la client&egrave;le dans le secteur financier, Bruno Deletr&eacute; est l&rsquo;auteur d&rsquo;un premier texte sur l&rsquo;organisation et le fonctionnement de la supervision des activit&eacute;s financi&egrave;res en France, remis en janvier 2009. 2 Comit&eacute; consultatif du secteur financier.

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Pour un devoir de « loyauté » des banques envers leurs clients

Améliorer la relation client n’est pas la préoccupation des seules banques. La crise aidant, le gouvernement s’est saisi de la question en commandant un rapport à l’inspecteur général des finances, Bruno Deletré. L’auteur revient sur la logique de ses propositions.

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