Square

Les banques en route vers l’« open innovation » ?

Créé le

18.06.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

Aujourd’hui permise par la technologie, l’open innovation est le fruit d’une triple nécessité : une masse de connaissances trop considérable pour être maîtrisée par un seul acteur, un marché de plus en plus rapide et une crise profonde qui limite les moyens de financer la recherche.

Si définir l’innovation n’est jamais chose aisée, qualifier l’open innovation l’est encore moins, surtout dans le secteur bancaire. Nous distinguons ainsi trois grands modes d’innovation :

  1. l'innovation fermée, processus en vase clos, dans lequel les départements en charge de l’innovation (R&D, marketing, métiers…) élaborent les produits et services que l’entreprise estime attendus par ses clients ;
  2. l'innovation collaborative, qui élargit le processus d’innovation à d’autres départements, aux collaborateurs, voire à des structures et individus externes partageant le même objectif. Ce type d’innovation a toujours existé ;
  3. l'open innovation ou « innovation en réseau » dépasse le simple collaboratif. C'est le partage d’informations et de moyens avec toutes les parties prenantes de l’écosystème naturel de l’entreprise, et même avec des acteurs d’autres industries. L’entreprise est alors en prise directe avec son écosystème, poreuse, interactive et non plus fermée. L’open innovation induit également la notion d’une entreprise enabler, qui donne les moyens (outils, idées, connaissances, ressources, données) à son écosystème de créer, sans trop savoir ce qui va en résulter. C’est l’exemple emblématique de l’App Store, qui a porté l’open innovation sur le devant de la scène.
Nous avons adopté une définition large de l’ open innovation, celle d’un «  partage des savoirs et savoir-faire avec les parties prenantes de son écosystème pour favoriser en retour la captation d’idées issues de l’externe (les externalités positives) et les réinjecter dans l’entreprise ».

Comment mobiliser le modèle organisationnel de l’open innovation ?

Pour mettre en œuvre ce partage des savoirs, les acteurs bancaires ont compris qu’ils devaient interagir avec les différentes parties prenantes au sein de leur écosystème.

Les clients finaux, pour le développement d’offres en cocréation

La mise en place de plates-formes collaboratives permet, en associant les clients à la conception et/ou à l’animation des produits, de démystifier les produits financiers et de favoriser transparence et confiance.

Caisse d’Épargne avait été la première banque, il y a quelques années, à faire dessiner ses visuels de cartes bancaire par ses clients. Un concours avait donné lieu à la création de la carte Mandarine. Société Générale a lancé en 2012 sa plate-forme collaborative « SG & Vous », instaurant une première relation de cocréation avec ses clients. La Banque Postale associe également ses clients au travers du Lab Client, accessible depuis l’espace-client.

Les développeurs externes

Ouvrir les API (Application Programming Interface) bancaires, s’appuyant sur des standards techniques, permet à des développeurs de se connecter à des données et à l’infrastructure de la banque pour les intégrer dans le développement de nouvelles applications.

Crédit Agricole a été précurseur dans ce domaine, en créant CA Store et une coopérative de concepteurs développeurs, chargée d'animer la relation et de rémunérer les développeurs en fonction de l'utilisation de l'application qu'ils auront mise à disposition. Actuellement, 27 applications sont disponibles dans le CA Store. Axa Banque a lancé une initiative similaire.

Ce crowdsourcing ouvre la possibilité d’applications en phase avec les attentes clients, dans un Time to Market difficilement envisageable pour un univers bancaire où l’outil informatique est fortement contraint.

Les concurrents

Dès 1984, les banques françaises, au sein du GIE CB, sont allées au-delà de la coopération indispensable au développement d’un standard et ont créé la Carte Bancaire, remarquable succès technologique et marketing, qui a longtemps positionné la France en leader de la carte.

Elles ont renouvelé la démarche, en créant cette année Sepamail [1] , initiative de BPCE, élargie progressivement à la majorité de ses concurrents, qui permet au client de recevoir ses factures directement dans son espace bancaire et de les payer simplement par virement.

Une expérience novatrice a réuni trois banques (BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole) et deux assureurs (Groupama et Generali) fin 2010, au sein d’un Think Tank sur la relation banque-client. Cette expérience a débouché sur un démonstrateur : la page d’accueil idéale d’un site Internet bancaire conciliant les attentes clients et les possibilités technologiques (projet connu sous le nom FIDJI).

Les start-up

Les banques ont compris désormais le rôle moteur joué par les start-up dans le processus d’innovation et commencent à effectuer un travail de veille attentive sur le marché.

L’agrégation de comptes, qui permet de consolider l’ensemble des comptes dans différentes banques, est la dernière innovation qui s’impose auprès des clients, clairement portée par des start-up et à l’origine non souhaitée par les grandes banques. Désormais conscientes de la nécessité de proposer ce service, elles choisissent d’intégrer en marque blanche les systèmes de ces start-up, comme Fiducéo, éditeur de MoneyDoc.

Crédit Mutuel Arkéa est réputé pour proposer volontiers ses services aux nouveaux établissements de paiement ou de monnaie électronique, voire investir dans leur capital (exemple de la prise de participation dans Aqoba à sa création).

Les universités et grandes écoles

Bon nombre de start-up financières font appel à des étudiants pour développer des parties de leur concept. Des écoles comme ENS Cachan, Centrale Paris ou Telecom Paris semblent être particulièrement sollicitées. Les banques se rapprochent à leur tour du monde universitaire et nouent des partenariats.

La dernière initiative en date est celle de BNP Paribas Corporate & Investment Banking (CIB) et ESCP Europe, qui créent une chaire internationale d'enseignement et de recherche Transformation et Innovation financière.

Pour faire émerger ce qu’expriment les consommateurs, les banques commencent également à faire intervenir des spécialistes des sciences humaines – sociologues, ethnologues ou encore designers –, au travers d’une nouvelle méthode pluridisciplinaire : le design thinking.

Le secteur public

La collaboration avec le secteur public se voit partout en France avec les pôles de compétitivité.

En mai 2011 a été lancé le premier incubateur français (Paris Incubateurs Finance) exclusivement dédié aux jeunes entreprises financières innovantes. Il vise à accélérer le développement de ces jeunes entreprises en facilitant leur insertion dans leur écosystème et en leur apportant un appui logistique (immobilier et services associés notamment). Le Crédit Agricole en est partenaire et un de ses représentants participe au Comité de sélection.

Les acteurs issus d’autres industries

Les filiales crédit consommation ont toujours été le meilleur point d’ouverture des groupes bancaires vers le monde extérieur, grâce aux cartes de crédit privatives, outil essentiel de fidélisation et de financement des ventes des marchands, donc en prise directe avec la consommation.

Le sujet d’actualité chez les commerçants est l’expérience client en magasin et c’est en travaillant avec Apple que Crédit Agricole Consumer Finance a pu lancer une offre de dématérialisation du contrat de crédit sur ipad (montage du dossier sur l’ipad du vendeur, photographie des pièces justificatives, signature électronique sur la tablette), utilisant en SaaS [2] une technologie de la société QuickSign, parfaitement en ligne avec l’expérience client en Apple Store.

L’innovation technologique dans les services financiers semble venir désormais grandement d’acteurs non bancaires : la technologie laisse la possibilité à un acteur externe au monde bancaire de s’immiscer sur des briques de la chaîne de valeur qui ne relèvent pas de produits purement bancaires, et singulièrement sur les paiements.

L’émergence du paiement par mobile est une parfaite illustration et donne déjà des occasions de collaboration entre banques et opérateurs, voire fabricants de terminaux.

L’association européenne Payez Mobile a été fondée en octobre 2008 afin de favoriser et d’accélérer le déploiement du paiement mobile sans contact en Europe, grâce à la rédaction de spécifications. Après un lancement précommercial à Nice en 2010, puis à Caen et Strasbourg en 2011, la norme Cityzi permet le déploiement progressif du paiement par mobile NFC.

Les risques de l’open innovation

Tout en témoignant un intérêt croissant pour l’open innovation, les banques reconnaissent les risques intrinsèquement liés à ce nouveau mode de génération de l’innovation.

Si elles sont peu concernées par le risque principal de l’open innovation dans les secteurs industriels, le risque de contrefaçon sur la propriété intellectuelle et industrielle, elles sont très concernées en revanche par les notions de sécurité des données, de connaissance précise de leurs relations d’affaires et de traçabilité des opérations ; elles doivent donc redoubler de prudence dans l’ouverture de leurs infrastructures et leur savoir-faire.

Ainsi, l’agrégation de comptes fait-elle l’objet de nombreux débats. Un client a-t-il le droit de confier à un tiers les codes donnés par sa banque ? Le risque de détournement de données et d’utilisation frauduleuse des moyens de paiement du compte ne sont-ils pas trop considérables pour être confiés à des technologies non contrôlées par la banque ?

La démarche d’open innovation introduit de plus de la complexité dans la gestion de l’écosystème, des risques d’exécution dans la collaboration avec les tiers, bref, de nouveaux risques dans un secteur bancaire qui en a déjà beaucoup à gérer.

Enfin, le risque est que l’open innovation reste limitée à une vision purement outil (notamment au travers du déploiement de solutions collaboratives) et instrumentaliste, et peine à devenir un véritable projet d’entreprise, au regard des difficultés de collaboration qu’elle ne manque pas de révéler.

Les banques iront-elles jusqu’à l’open bank ?

Les secteurs de haute technologie à fort investissement en R&D sur une longue durée ont été les premiers à ouvrir leur démarche d’innovation. À l’opposé, les secteurs de produits de grande consommation ont des cycles de développement plus courts et sont les moins ouverts à l’open innovation. La banque fait partie de cette catégorie et il ne faut pas s’attendre à y trouver la même maturité en open innovation que dans les entreprises industrielles.

A la lumière du temps nécessaire aux banques pour aller au-delà des seules ingénierie financière et idées produites en interne, puis à se tourner vers les consommateurs dans la recherche d’innovation, nous pouvons légitimement penser que la route vers l’open innovation sera longue pour les banques, et sélective en termes de parties prenantes mobilisées dans ce processus.

Il y a de plus une limite certaine à une open bank faite d’API ouvertes et d’open data : celle de la sécurité et de la confidentialité, promesses de base de la relation bancaire.

Les banques sont pourtant confrontées à la nécessité d’innover tout autant que les autres acteurs, même si elles bénéficient d’une inertie plus grande dans les comportements des consommateurs.

Attaquées de toutes parts, sur la gestion de compte par les banques en ligne, sur le paiement par la prolifération de nouveaux établissements, sur le crédit par le crowdfunding, et même désormais sur l’épargne (par Renault ou PSA !), les banques savent que, si elles ne changent pas, elles deviendront de simples coffres-forts.

La revue des différentes initiatives montre l’actualité de l’open innovation dans la banque, accompagnant la mutation profonde du secteur.



1 Sepamail est un service de messagerie sécurisée pour l'ensemble des entités économiques européennes. Il utilise des flux XML sécurisés utilisant le BIC et l’Iban comme identifiant de référence. Le réseau Sepamail permet, à coût réduit, la réalisation d’échanges complexes entre les clients des banques à un niveau mondial. 2 Solution informatique externalisée, NDLR.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
1 Sepamail est un service de messagerie sécurisée pour l'ensemble des entités économiques européennes. Il utilise des flux XML sécurisés utilisant le BIC et l’Iban comme identifiant de référence. Le réseau Sepamail permet, à coût réduit, la réalisation d’échanges complexes entre les clients des banques à un niveau mondial.
2 Solution informatique externalisée, NDLR.
RB