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Innovation et réglementation : une union contre-nature ?

Créé le

18.06.2013

-

Mis à jour le

26.06.2013

La réglementation bride-t-elle l’innovation ou la favorise-t-elle ? Dans un contexte où les banques doivent procéder à une refonte de leur activité, pour faire face à la faiblesse de la croissance et à l’arrivée de nouveaux compétiteurs, la question mérite d’être posée.

La réglementation est-elle nécessaire pour limiter les risques des produits et services nouveaux ?

Georges Pauget : La réglementation est souvent en retard par rapport à la pratique des marchés. Ce n’est en effet qu’une fois les produits créés, qu’ils ont atteint une certaine diffusion, que leurs limites ou leurs défauts apparaissent pleinement. Mais si réglementer un produit se fait avec un décalage, cela ne signifie pas pour autant que les autorités réglementaires soient nécessairement démunies. La réglementation vise également les opérateurs et dans de nombreux cas des dispositions sont prévues pour protéger les utilisateurs, notamment lorsque ceux-ci ne sont pas des professionnels. C’est donc grâce au statut de l’opérateur et aux niveaux de fonds propres imposés pour exercer certaines activités, à l’exigence d’information  sur les produits – exigences renforcées pour la clientèle particulière – que la réglementation limite les risques.

Prenons l’exemple des crédits : la réglementation limite la capacité de faire des crédits aux seules banques. Mais si le rôle des intermédiaires non bancaires n’est pas encadré, on peut se retrouver, comme aux États-Unis avant la crise financière, avec des courtiers qui assument dans les faits la sélection du risque. En revanche, le régulateur et le superviseur auront beaucoup de difficulté à apprécier la qualité d’un modèle de risque lorsque celui-ci concerne  un produit nouveau sur lequel, par construction, il n’existe pas de précédent auquel se référer. Le régulateur ne peut exiger que la publication de données relatives au risque et restreindre la commercialisation à des acteurs avertis. Pour autant, même avec des précautions, le risque peut être sous-évalué et conduire à des situations d’extrême difficulté, comme ce fut le cas pour les CDO [1] .

La réglementation ne devient-elle pas au contraire un incentive à l’innovation pour ceux qui essaient de la contourner ?

Une réglementation trop complexe ou trop restrictive a pour effet de majorer les coûts de transaction. Si les exigences liées à ces coûts n’ont pas pour effet de réduire le risque et donc de sécuriser les transactions, un déséquilibre s’installe. L’incitation à contourner les barrières réglementaires est alors plus forte. L’innovation se trouve alors encouragée par la réglementation.

Il y a donc lieu de rechercher ce que l’on pourrait appeler « le bon équilibre réglementaire », c’est-à-dire celui qui réduit le risque, notamment systémique, sans entraîner une hausse disproportionnée des coûts de transaction.

Cet équilibre n’est pas simple à trouver. De plus, il n’est pas assuré qu’il soit stable dans le temps. À certains moments, la tendance est à la déréglementation, comme cela a été particulièrement le cas pendant la période 2000-2007. Ce mouvement n’a pas concerné le seul domaine de la finance, mais aussi l’énergie, les transports, les télécommunications. Tous les produits grand public impliquant des infrastructures, et donc des investissements lourds, ont vu leurs règles de concurrence modifiées. Pour faire baisser les prix, la réglementation s’est allégée ou a disparu, au nom d’une vision théorique du marché qui supposait que celui-ci fonctionnait de façon efficiente. Cette croyance avait, pensait-on, un fondement scientifique ; mais cette efficience supposée reposait sur des prérequis stricts qui ne sont pas vérifiés en dehors de périodes exceptionnelles où le dynamisme de l’économie occulte les limites du fonctionnement du marché.

Avec la crise de 2007-2009, les limites sont apparues dans toutes leurs dimensions. Le coût économique et surtout social de la crise a entraîné une réaction de rejet dans les opinions publiques. Le mouvement a été relayé sur le plan politique. Un mouvement de « reréglementation » s’est alors développé, avec pour objectif d’éviter toute nouvelle crise. C’est un phénomène de balancier classique très compréhensible, mais le risque d’aller trop loin dans l’ardeur réglementaire existe. Il tient au fait que l’on multiplie les nouvelles dispositions sans avoir nécessairement le temps ou la capacité d’en mesurer l’impact. Des simulations sont réalisées, mais elles ne peuvent être qu’une approximation, parfois grossière, de la réalité. Mais ce qui est le plus critique tient à la faible coordination qui existe entre les diverses autorités réglementaires, au point que la mise en œuvre des nouvelles règles devient incertaine ou imprécise du fait de sa complexité.

Qu’attendre aujourd’hui de l’innovation ?

Lorsque les taux d’intérêt sont bas, lorsque la croissance économique est faible, les revenus se contractent. Les banques sont tenues de s’adapter. Elles engagent alors des plans de restructuration qui se traduisent par d’importantes suppressions d’emplois. Mais lorsque la pression dure, il n’est plus possible de se contenter d’une simple adaptation du modèle économique de la banque. C’est à une révision plus profonde de l’activité qu’il faut procéder. Les banques qui ont su favoriser l’innovation en leur sein ou ont eu la capacité de s’insérer dans des réseaux d’entreprises innovantes disposent alors d’un avantage compétitif. Elles sont en effet en mesure de développer une vision renouvelée de leur métier, et donc d'imaginer de nouveaux produits, de concevoir et de développer de nouveaux processus pour les fabriquer et les mettre en marché.

Dans toutes les activités économiques, l’innovation est un moteur de développement. La banque et la finance ne font pas exception. L’innovation naît souvent d’un renforcement des contraintes, qu’elles soient économiques ou réglementaires : c'est parce que le modèle économique change qu'il devient nécessaire de trouver d'autres produits, d'autres modes de production ou de distribution.  Une politique favorisant l’innovation n’est pas un luxe, mais bien une nécessité. La recherche dans sa déclinaison la plus opérationnelle devrait donc s’intensifier, ce à quoi les banques pourraient utilement s’attacher.

 

1 Collateralized Debt Obligation (obligation adossée à des actifs), NDLR.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº762
Notes :
1 Collateralized Debt Obligation (obligation adossée à des actifs), NDLR.