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Immobilier

Évolution des prix, analyse du risque : le big bang de la loi Climat et Résilience

Créé le

22.11.2021

On n’y a guère prêté attention et pourtant, cette loi votée en août au Parlement change considérablement la donne. Elle devrait avoir un impact aussi bien sur les prix que sur les pratiques en termes de crédit.

Ce qui s’est passé à la fin de l’été est un séisme dont on n’a pas fini de mesurer l’ampleur : après des mois d’âpres débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, et entre les deux chambres parlementaires, la loi portant lutte contre le réchauffement climatique et résilience contre ses effets a fait l’objet d’un accord, avant d’être promulguée le 22 août dernier. Elle est d’abord passée inaperçue. Mais dès la rentrée, elle a fait l’objet d’exégèses de la part des organisations professionnelles d’administrateurs de biens ou de voix publiques de référence, comme celle de l’Agence nationale pour l’information sur le logement. On est à peine en train d’en mesurer les conséquences : la loi va, qu’on le veuille ou non, imposer une valeur verte résidentielle.

Des règles coercitives pour les bailleurs

Retour sur le texte : pour les logements loués par des propriétaires bailleurs privés, particuliers ou institutionnels, comme pour les bailleurs sociaux, le législateur s’est voulu coercitif, en élargissant la notion de décence à la qualité environnementale des biens concernés. Ainsi, un logement qui n’est pas aux normes énergétiques est-il désormais catégorisé comme non décent : à ce titre, il ne pourra plus être loué s’il n’a pas été dûment rénové selon un calendrier strict. Les logements les plus énergivores, qualifiés, selon une expression devenue courante, de « passoires énergétiques », c’est-à-dire classés G dans l’échelle du diagnostic de performance énergétique (DPE), devront rentrer dans le rang de la vertu énergétique au plus tard en 2025. Le couperet tombera le 1er janvier 2028 pour les logements classés F, en 2034 pour les biens classés E. Autre règle importante : dès le 1er janvier 2022, pour les logements les plus mal classés, il ne sera plus possible d’augmenter le loyer entre deux locataires.

L’incitation retenue pour les copropriétés

En copropriété, la règle est différente. Comme la loi ne peut imposer des travaux – le syndicat des copropriétaires étant souverain –, elle fait le pari de l’incitation et de l’accompagnement. À la clef, une obligation d’audit environnemental, non assorti de sanction en cas de non-exécution, la démarche diagnostic elle-même étant subordonnée au vote de la majorité des copropriétaires. La loi prescrit également une programmation décennale des travaux, avec l’élaboration d’un plan pluriannuel, découlant bien sûr de l’approche diagnostic. Enfin, elle modifie le mécanisme d’épargne forcée des copropriétaires qu’avait instauré la loi ALUR du 24 mars 2014. Désormais, il sera appelé au moins 2,5 % des travaux votés en référence au plan pluriannuel, contre 5 % du budget au préalable. Le taux semble plus bas, mais l’assiette change sensiblement : dans un immeuble moyen de 25 logements, typique de nos villes, le budget est compris entre 50 000 et 100 000 euros. Alors que des besoins en travaux pour redresser la qualité environnementale tangenteront le million d’euros dans la plupart des cas.

Les occupants sous la pression des investisseurs

Deux règles différentes donc, et un sujet de base pour les propriétaires bailleurs dans des copropriétés – qui représentent, dans les grandes villes, environ 60 % du parc. Pour eux, c’est un coup dur puisqu’ils tombent sous le coup de l’obligation de décence pour pouvoir continuer à exploiter leur logement. Sur le papier, ils ne peuvent atteindre les objectifs de performance énergétique qu’en intervenant techniquement sur les parties privatives, ce qui revient à constater que la décision d’engager des travaux sur les parties communes de l’immeuble conditionnera leur activité de bailleur. Nul besoin d’être devin pour annoncer d’ores et déjà qu’au grand dam éventuel des propriétaires occupants, ces investisseurs feront basculer le syndicat des copropriétaires du côté de la vertu énergétique.
Enfin, le législateur a souhaité que les biens résidentiels détenus en mono-propriété et assimilables à des passoires énergétiques, c’est-à-dire essentiellement les maisons individuelles, ne puissent être cédés à partir du 1er janvier prochain sans que soit fourni à l’acquéreur un audit énergétique. Ce document prescrira des travaux d’amélioration de façon précise.

Une facture plus ou moins salée

Il faut relier ces nouvelles dispositions au rapport sur le financement de la transition énergétique des logements qu’Olivier Sichel, numéro deux de la Caisse des Dépôts et Consignations et directeur général de la Banque des Territoires, a rendu il y a un an au gouvernement. Il a chiffré l’enveloppe moyenne des travaux à réaliser dans les biens classés E, F ou G : 15 000 euros pour un appartement dans une copropriété chauffée au gaz, 60 000 euros pour une maison individuelle des années 1990, la moyenne pondérée par le nombre de passoires thermiques dans chaque typologie ressortant à 38 000 euros.

Ces estimations ont déjà été critiquées par la filière : elles seraient en-dessous de la vérité. On entend des entrepreneurs en bâtiment, des diagnostiqueurs, des agents immobiliers ou encore des syndics évoquer des sommes pouvant aller jusqu’à 80 000 euros pour des maisons d’une centaine de mètres carrés construites dans les années 1970 et plus proches de 30 000 euros pour un logement en immeuble collectif.

Les prix des logements à la baisse

On mesure le problème : ce sont plusieurs millions de logements, sur les quelque 35 millions que compte notre pays, sans doute les deux-tiers, qui vont devoir être réhabilités ou rénovés, selon l’importance des travaux nécessaires pour les faire accéder aux lettres C, B voire A du DPE. On ne peut se cacher d’ailleurs qu’une fraction de ces logements ne pourront être sauvés et qu’il faudra appliquer des solutions drastiques, jusqu’à la démolition et au relogement des propriétaires occupants.

La conséquence de ce mouvement va inévitablement peser sur les prix. La loi Climat et résilience réussirait ainsi là où, jusqu’à présent, tout a échoué, y compris la pandémie et la crise économique correspondante : modérer le marché en corrigeant les prix à la baisse.

Vers une éco-conditionnalité du crédit immobilier

Il est une autre conséquence, sur le financement des acquisitions immobilières résidentielles. Comment les prêteurs pourraient-ils négliger ce phénomène et considérer le gage – désignons-le ainsi par commodité, même lorsque la garantie choisie ne mène pas à l’hypothéquer – comme imperméable aux obligations de vertu qui le touchent ? C’est tellement vrai que deux constats s’imposent dorénavant : certaines banques refusent de prêter à des acquéreurs de logements classés F ou G et nombre d’enseignes bancaires exigent de connaître la qualité énergétique des biens et interrogent à cet égard l’agent immobilier ou le notaire partie à l’affaire. On va bel et bien vers une éco-conditionnalité du crédit immobilier, qui va bouleverser l’univers du financement des particuliers pour le logement.

Le besoin d’étudier le bien financé

Que va-t-il se passer à court terme et de façon durable ? C’est d’abord à un élargissement du regard des prêteurs que l'on va assister : de l’attention exclusivement portée à la situation de l’emprunteur, les banquiers vont passer à un intérêt marqué pour le bien visé. Jusqu’alors, ils étaient indifférents à la qualité du bien. Tout au plus ceux qui avaient une culture immobilière plus forte, les spécialisés notamment, quand ils existaient, vérifiaient-ils pour les opérations à forts enjeux que le prix du bien correspondait à ceux du marché et en demandaient une expertise, s’attachant au passage à connaître les caractéristiques techniques du logement. Cette démarche va se systématiser. Il ne s’agira pas seulement de regarder le classement du DPE, mais bien l’ensemble des diagnostics obligatoires. Un changement d’époque, alors qu’on les tenait pour superfétatoires et inutilement augmentatifs du coût de la transaction.

Deux prêts pour une transaction

Peut-on dire que le crédit immobilier va devenir réel ? En termes juridiques, en aucun cas. L’étude de la solvabilité du candidat emprunteur va continuer de dicter l’acceptation ou le refus, ainsi que les conditions accordées. Reste que le prêt va prendre une dimension réelle indubitable. L’équation gagne en quelque sorte une inconnue. De fait, les banques vont devoir faire évoluer leur offre : sauf à se couper du financement de l’essentiel des opérations d’accession ou d’investissement résidentiels, ce qui n’est pas tenable durablement et contrarie leur vocation, elles vont proposer de lier le prêt d’acquisition du logement et un prêt spécifique pour les travaux de nature à valoriser le bien en lui conférant une qualité environnementale majorée.

Deux méthodes vont sans doute cohabiter, sinon se combiner : l’étude pure et simple de la capacité de remboursement des deux prêts cumulés, avec la difficulté technique d’articuler un prêt de long terme et un prêt de court ou moyen terme – surmontable par le lissage des mensualités – et la prise en compte de la valorisation du bien financé au-delà de la seule intégration du montant des travaux, qui garantira la banque.

On sent bien néanmoins que le caractère personnel du crédit pourrait entraîner en soi la baisse du prix des biens des catégories E, F et G, sinon D, dès lors que la solvabilité des ménages est contrainte et qu’ils ne transigeront pas sur la localisation ou la surface pour que les travaux entrent dans l’enveloppe octroyée par la banque. L’hypothèse d’une pression sur les prix, même en zone tendue, n’est pas irrecevable.

Les exigences de la transition environnementale ouvrent aux banques des perspectives heureuses. Elles leur créent un nouveau marché à part entière, en recentrant le métier de prêteur immobilier sur sa raison d’être : non seulement faire des propriétaires, mais des propriétaires heureux.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº862