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Comportement des ménages

L’épargne française passée au crible européen

Créé le

19.01.2011

-

Mis à jour le

03.02.2011

Les comportements en matière d’épargne ont été modifiés par le contexte économique global. Comment cela se traduit-il en Europe ​où des disparités nationales subsistent en matière de placements ? La France est-elle un pays où ​l’épargne se conçoit à long terme ?

Les ménages français épargnent beaucoup – environ 16 % de leur revenu disponible brut –, et un peu plus que les années précédentes. Ils ne sont, de ce point de vue, guère originaux en Europe continentale, leur taux d’épargne brut étant un peu moins élevé que celui des Allemands et, depuis quelques mois, identique à celui des Espagnols ; jusqu’à la crise, il ne se différenciait pas de celui des Italiens. L’opposition est en revanche nette avec le Royaume-Uni, où l’épargne à certes augmenté par rapport à l’immédiate avant-crise, tout en restant nettement inférieure aux niveaux observés dans la zone euro.

Comment apprécier les différences entre taux d’épargne ?

Il y a deux approches possibles pour interpréter l’évolution des taux d’épargne :

  • à partir des comptes nationaux « réels », l’épargne est ce qui reste du revenu, une fois les dépenses de consommation prélevées ;
  • à partir des comptes financiers, le taux d’épargne est la résultante de trois composantes : taux de ​placement financier + taux de placement non-financier – taux de recours au ​crédit.
Le taux de placement financier concerne les acquisitions nettes de produits financiers (dépôts, titres, assurance vie…) au revenu. Le taux de placement non-financier rapporte les investissements physiques, principalement immobiliers, au revenu. Le taux de recours au crédit pointe l’augmentation de l’endettement (nouveaux crédits moins remboursements) au revenu.

Bien entendu, les deux approches conduisent au même résultat, aux ajustements statistiques près. On s’intéresse ici à la deuxième approche : l’analyse des différentes composantes de l’épargne permet en effet d’éclairer et de comparer les évolutions de comportement.

L’évolution des taux de placements financiers est contrastée selon les pays

Les Français consacrent environ 8 % de leur revenu aux placements financiers. C’est quatre points de moins qu’avant la crise, mais c’est plus que dans la plupart des autres pays européens. On remarque en particulier l’évolution heurtée de l’Espagne et du Royaume-Uni, dont les placements financiers se sont effondrés après la crise, avant de se redresser légèrement.

Pour comprendre ces évolutions, on s’intéressera au crédit.

La corrélation inverse entre le crédit et les placements financiers est frappante

En Espagne par exemple, l’endettement a progressé de manière vertigineuse jusqu’au début de 2006, et les placements financiers ont eux aussi augmenté, certes dans de moindres proportions, mais de manière synchrone. À partir de 2007, les deux courbes baissent simultanément. Le même phénomène est observé au Royaume-Uni, avec une hausse du recours net à l’endettement et des placements financiers jusqu’en 2002, et un effondrement après la crise financière. Le pays le plus « sage » en matière de crédit est aussi celui où les placements financiers ont été les plus faibles : c’est l’Allemagne.

Le cas de la France s’éclaire aussi de la comparaison : le recours au crédit avant la crise est resté raisonnable, et les placements financiers étaient dans la moyenne européenne. À l’inverse, le retournement de crédit a été moins violent en France qu’ailleurs, et le taux de placement financier est devenu l’un des plus élevés d’Europe. Il n’est dépassé, légèrement, que par l’Allemagne, où le recours au crédit reste certes faible, mais où, au moins, les remboursements ne sont plus supérieurs aux nouveaux emprunts, ​comme c’était le cas depuis plusieurs années.

L’adage traditionnel de l’économie monétaire ​« Les crédits font les dépôts » pourrait donc être étendu : « Les crédits font les placements financiers ». La dynamique des comportements avant la crise montre que ​les prix de l’immobilier s'​envolant, ​les vendeurs nets d’immobilier ont bénéficié de plus-values, qu’ils ont réinvesties en produits financiers. Dans le même temps, les acheteurs nets d’immobiliers, par exemple les primo-accédants ou les ménages revendant leur logement pour en acquérir un plus grand, ont dû prélever le surcoût sur leur patrimoine financier. Mais le recours au crédit a aussi contribué à couvrir l’augmentation des prix de l’immobilier, de telle sorte qu’au final, les prélèvements des acheteurs sur leurs actifs financiers ont été moindres que les réinvestissements des vendeurs. Au total, ​le patrimoine financier de l’agrégat « ménages » a augmenté au cours de la période, indépendamment même des effets de revalorisation des portefeuilles sous l’effet de la hausse boursière.

Les sous-jacents démographiques expliquent ce phénomène

Cette conjoncture particulière s’inscrit dans une tendance sociodémographique structurelle en Europe. L’espérance de vie augmente. Les héritages sont reçus désormais couramment par des cinquantenaires ou des sexagénaires, qui ont souvent déjà acquis leur logement et revendent donc les biens immobiliers reçus en héritage. Dans le même temps, ​en France comme dans le reste de l’Europe, ils sont sensibles aux campagnes d’information qui mettent en évidence la fragilité des régimes de retraites, que ces derniers soient quasi-exclusivement par répartition (comme en France) ​ou qu’ils donnent une part importante aux fonds de pension professionnels. Ils commencent aussi à être au fait du ​risque de dépendance dans le grand âge, lui aussi résultant de l’allongement de l’espérance de vie. Reste que du côté des jeunes ménages, ceux qui achètent leur logement doivent recourir plus au crédit, faute de pouvoir ​mobiliser un héritage.

S’il y a une spécificité française des comportements d’épargne par rapport à ses voisins européens, c’est plus une différence de degré que de nature. Dit autrement, la taille des bulles de l’immobilier et du crédit qui se sont ajoutées aux tendances structurelles sociodémographiques ​a été variable d’un pays à l’autre. Démesurées au Royaume-Uni et en Espagne, inexistantes en Allemagne, elles sont restées contrôlées en France.

Depuis l’éclatement de la crise financière, les épargnants sont confrontés à un environnement paradoxal : d’un côté les menaces macroéconomiques, le chômage, les pressions sur les salaires incitent à augmenter l’épargne de précaution. Comme on l’a vu, les taux d’épargne sont à des plus hauts historiques. Mais d’un autre côté, les performances de la plupart des actifs financiers ont baissé ou sont incertaines. Les taux d’intérêt à court terme sont, en cohérence avec les politiques monétaires des banques centrales, très bas. Les taux longs des emprunts d’État sont maintenant hiérarchisés selon la notation des États, mais ils restent très bas en France. La ​Bourse a augmenté au premier semestre 2009, mais elle est depuis sans tendance claire. Les ménages sont donc confrontés à des choix difficiles d’allocation de leur épargne.

Les préférences de placement des ménages varient selon les pays

En France comme dans le reste de la zone euro, les deux blocs principaux du portefeuille d’actifs financiers des ménages sont les dépôts bancaires à court terme et les contrats d’assurance vie et fonds de pension (voir tableau 1).

Cependant, l’ensemble constitué par la monnaie fiduciaire et les dépôts à court terme sont moins importants que dans le reste de la zone. La monnaie fiduciaire s’est réduite par rapport à des pays comme l’Allemagne, en raison d’habitudes quasiment culturelles et du développement avancé des paiements par carte. Les dépôts à vue sont eux aussi plus faibles en France qu’ailleurs car ils ne sont en général pas rémunérés. Les livrets d’épargne sont importants en France, mais les dépôts à court terme y sont très peu importants.

À l’inverse, le bloc constitué par l’assurance vie et les fonds de pension est plus important en France que dans le reste de la zone euro. Cette situation est d’autant plus remarquable que les fonds de pension, à la différence de pays comme les Pays-Bas, sont presque absents. L’assurance vie a pris en France la première place parmi les produits d’épargne. C’est un produit « multi-usage », mais qui s’est développé en particulier comme substitut aux fonds de pension. Les PERP sont inclus dans cette statistique [1] . Mais au total, la comparaison avec les autres pays montre que les produits d’épargne retraite individuels se sont en France développés moins rapidement que dans les pays, comme en Allemagne ​où des aides publiques importantes ont été mises en place, non seulement sous forme de réductions d’impôt mais aussi d’abondements publics à l’épargne. Le Riester allemand est beaucoup plus répandu dans la population que le PERP et le PERCO français.

Vers un renouveau du PEL ?

Le niveau d’épargne bancaire à plus de deux ans est maintenant à peine supérieur en France à la moyenne de la zone euro, alors que traditionnellement l’importance des PEL était une spécificité française. C’est le résultat d’une hémorragie de plusieurs années qui a bénéficié à l’assurance vie, phénomène explicable par plusieurs facteurs convergents : un niveau de rémunération de l’épargne bloqué à 2,5 % depuis 2003, une réduction progressive des incitations publiques et une politique d’offre favorable à l’assurance vie, plus rémunératrice pour les établissements. Les nouvelles contraintes prudentielles de liquidité qui vont s’imposer aux banques ainsi que le déblocage de la rémunération des PEL pourraient redonner un élan à ce produit dans les années qui viennent.

Parmi les autres produits d’épargne à moyen ou long terme figurent les titres de créance, qui sont principalement des obligations. La détention privée de ces produits est particulièrement faible en France, comparée à des pays comme l’Allemagne et surtout l’Italie, car en France, ​le marché de la dette publique a été organisé pour et autour des investisseurs institutionnels, à travers les Spécialistes en valeurs du Trésor. Mais les Français détiennent indirectement des titres de créance à travers les contrats d’assurance vie.

Les détentions d’actions sont un peu plus élevées en France qu’ailleurs, mais on interprétera avec prudence ces chiffres car ils incluent une forte proportion d’actions non-cotées dont la valorisation par les comptables nationaux est délicate. Les OPCVM sont aussi légèrement plus importants dans le portefeuille des Français et ce constat serait plus marqué si l’on prenait en compte les détentions indirectes d’OPCVM à travers les contrats d’assurance vie en unités de compte.

Au total, l’épargne en France reste plus « longue » que dans le reste de la zone euro, mais cela ne se reflète pas – ou pas encore – dans le bilan des banques.

1 Mais pas les PERCO (qui sont investis en fonds d’investissement).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº733
Notes :
1 Mais pas les PERCO (qui sont investis en Fonds d'investissement).