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Éducation financière : « jusqu'à quel point une banque se sent-elle au service de ses clients ? »

Créé le

07.04.2014

-

Mis à jour le

25.04.2014

À l’occasion de la rencontre de l’Union bancaire francophone (UBF), Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), a livré ses vues sur les questions d’éducation et d’inclusion financière, qui seront le sujet des travaux de l’UBF pour les deux années à venir.

Quel panorama dresseriez-vous du niveau d’éducation et d’inclusion financière dans les pays de la francophonie ?

Sans prétendre être un expert, je dirais que, dans la majorité des pays de la francophonie, il reste beaucoup à faire si l'on veut que la majorité de la population dispose des connaissances nécessaires pour tirer pleinement parti des systèmes financiers et ne pas se sentir dépassée, voire menacée par eux. Je parle avant tout des connaissances pratiques, utiles ou même indispensables au quotidien. Et je pense que les pays développés ne sont pas nécessairement dans une situation plus favorable que les pays en développement, où existent des pratiques financières traditionnelles qui peuvent atteindre un haut degré de raffinement, comme les tontines et les fonds de solidarité.

Quant aux connaissances théoriques, il y a là un immense travail de formation à effectuer, partout, comme l’a montré la crise financière de 2008.

L’OIF est-elle investie des questions liées à l’éducation et à l’inclusion financière ? Quelles sont ses actions en la matière ?

Depuis 2010, l’OIF, de concert avec le Commonwealth, a présenté à plusieurs reprises au Groupe de travail sur le développement, créé au sein du G20, des analyses et des propositions pour améliorer l’inclusion financière dans les pays en développement. Cela touchait évidemment le volet « éducation », mais aussi la mise en place d’instruments financiers adaptés à la situation des populations les plus pauvres et les plus vulnérables.

Nous avons également été actifs dans le domaine de la micro-finance, qui ne se conçoit pas sans une éducation financière de base ; nous avons travaillé avec les Canadiens de Développement International Desjardins, au Burkina Faso et dans d’autres pays africains.

Et nous bénéficions, pour nourrir notre réflexion et notre programmation, du travail d’universitaires et de chercheurs, comme le groupe de chercheurs du Laboratoire d’Économie d’Orléans, d’organismes spécialisés (comme PlaNetFinance) ou d’associations (par exemple, Épargne sans frontière).

En 2003, Kofi Annan a fait de l’inclusion financière l’un des enjeux du développement. Selon vous, quel est le rôle de l’éducation financière dans ce processus ?

Sans éducation financière, vous ne pouvez progresser dans l’inclusion financière. C'est en effet la compréhension des mécanismes de base, puis la perception de la complexité atteinte par le système financier mondialisé et ses répercussions au niveau le plus réduit qui peuvent aider les populations à mesurer les enjeux et leur part de liberté par rapport à ce système et à ses expressions locales.

Je dirais qu’aujourd’hui, il en va de ce volet de l’éducation comme de ceux qui concerne la santé ou le climat : pour savoir faire des choix au niveau local et personnel, pour participer à une transformation positive du monde, il faut avoir un minimum de connaissances sur la globalité des systèmes, sur leurs règles et sur leur fonctionnement.

Dans les pays africains, par quelles institutions l’éducation financière peut-elle être assurée ?

Pourquoi s’enfermer ? L’argent est de tous les jours, particulièrement pour ceux qui vivent en ville – de plus en plus nombreux, de plus en plus jeunes. Donc plutôt que se demander par quelles institutions, demandons-nous ce qu’il y a à savoir et voyons ensuite, selon les cas et les cadres, qui peut mettre en forme et diffuser ce savoir. Cela dit, l’école garde un rôle essentiel – pour autant que les jeunes puissent y accéder et y rester.

En quoi les banques peuvent-elles contribuer à l’amélioration du niveau d’éducation financière ?

C’est à elles de répondre : cela dépend d’abord de leur attitude à l’égard de leurs clients et de leurs usagers. Jusqu’à quel point souhaitent-elles avoir des interlocuteurs formés et informés ? Les crises financières sont cruelles de ce point de vue : elles montrent toutes quel rôle ont joué dans leur surgissement la méconnaissance ou l’occultation des réalités les plus simples.

Je pense donc qu’avant la question proprement pédagogique – quelle information diffuser et comment ? –, il faut répondre à la question éthique : jusqu’à quel point une banque se sent-elle, se veut-elle au service de ses clients ? Ensuite les outils de formation et de diffusion sont multiples, et plus encore aujourd’hui, avec la numérisation, les réseaux sociaux, les cours en ligne, ou encore les journaux gratuits que l’on trouve chaque matin dans les transports en commun. Il suffit d’un peu d’imagination.

Qu’attendez-vous de l’Union bancaire francophone sur ces aspects d’éducation et d’inclusion financière ?

Vous savez à quel point la création de l’UBF a été pour nous une bonne nouvelle et la preuve de la justesse de nos choix quand, au Sommet de Montreux, en 2010, nous avons déclaré que le français devait absolument continuer d’être une langue scientifique, technique, économique et juridique. La fondation de l’UBF en 2012 est une des réponses, inattendue et d’autant plus appréciée, à cet appel.

Il appartient maintenant à l’UBF d’examiner les outils que certaines banques ont déjà mis en place, de voir s’ils sont généralisables, modulables, transférables, en fonction des situations spécifiques de chaque pays. Et nous pourrons nous-mêmes examiner alors quel pourrait être l’apport de la francophonie dans ces processus d’information et d’apprentissage des réalités financières.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº772