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Assurance et investissement

« Le débat s'est déplacé sur la responsabilité des entreprises »

Créé le

14.10.2015

-

Mis à jour le

28.10.2015

Désinvestissement du charbon, investissements verts, intégration de critères ESG dans les décisions de placement… AXA élabore une stratégie de transition vers une économie bas carbone.

Mesurez-vous les impacts des dérèglements climatiques sur votre activité d’assureur ?

Les événements climatiques extrêmes augmentent en intensité et en fréquence. Pour la seule année 2014, AXA a versé plus d'un milliard d'euros au total pour des dommages liés au climat. Le risque climatique est pour nous un sujet qui n'est plus ni théorique ni idéologique : c'est une problématique cruciale de notre métier, dont nous observons déjà l'impact. Puisque la bonne appréciation de l'échelle que peuvent prendre de tels risques est cruciale pour nos sociétés, AXA a décidé de sa propre initiative de rendre publique pour la première fois dès cette année l'impact de ces événements climatiques extrêmes sur notre profil global de gestion des risques.

Quelles réponses apportez-vous, en tant qu’assureur, pour participer à la transition énergétique ? En quoi AXA est-il également concerné en tant qu’investisseur de long terme ?

Il est de notre responsabilité, en tant qu'investisseur institutionnel de long terme, de considérer les émissions de carbone comme un risque et d'accompagner la transition énergétique mondiale. À ce titre, il est clair que la combustion du charbon pour produire de l'énergie est aujourd'hui l'un des obstacles majeurs qui se dressent devant nous et nous empêchent d'atteindre l'objectif d’un réchauffement climatique contenu en deçà de +2 degrés Celsius.

C'est la raison pour laquelle AXA a décidé de céder ses participations dans les entreprises les plus impliquées dans les activités liées au charbon. Cela représente un désinvestissement de 500 millions d'euros. AXA désinvestit et cesse d’investir pour l’avenir dans les sociétés minières et les fournisseurs d’électricité dont plus de 50 % du chiffre d’affaires provient de l’extraction de charbon pour les premières, ou de centrales thermiques à charbon pour ces dernières. Au 30 août 2015, nous avions rempli 90 % de cet objectif et nous l’aurons rempli à 100 % dès la fin de l’année 2015, comme prévu.

Les événements climatiques extrêmes augmentent en intensité et en fréquence, nous l’avons dit. À la compréhension de ces risques qui s'aggravent s'attache, cette fois-ci en tant qu’assureur, une responsabilité : aider nos clients, les villes et les sociétés en général, à mieux s'adapter au réchauffement climatique. Nous y parviendrons en promouvant des mesures de prévention et en partageant notre expertise en matière de gestion des risques avec les responsables publics.

Dans les pays développés, nous proposons de plus en plus à nos clients, qu'ils soient des individus ou des entreprises, des systèmes d'alerte précoce et des services de prévention pour faire face aux événements climatiques extrêmes (lire l'interview de Céline Soubranne, AXA France). Dans le cadre de notre plan stratégique actuel, dénommé Ambition AXA, nous assurons pour quelque 64 millions d'euros d'actifs liés à la production d'énergies renouvelables, contribuant ainsi au développement de ce secteur afin qu'il atteigne tout son potentiel. Enfin, nous avons fourni notre expertise et nos conseils à de nombreux gouvernements, tant au niveau de l'Union européenne qu'à celui des pays qui la composent, quant à la manière de construire des schémas d'assurance contre les catastrophes naturelles à la fois robustes et durables, en partenariat avec le secteur privé.

Dans les pays en développement, qui sont souvent les premiers touchés par les conséquences du réchauffement climatique tout en étant les moins assurés, la question est essentiellement d'avoir accès à l'assurance. Dans ce cadre, AXA Corporate Solutions a signé un partenariat avec la Banque mondiale pour mettre à disposition du plus grand nombre des solutions innovantes d'assurance climatique indicielle (ou encore « paramétrique »). Nous multiplions aussi nos investissements et nos offres liées à la micro-assurance et avons récemment mis en place plusieurs partenariats stratégiques avec des acteurs comme Leapfrog ou Microinsure.

À travers notre partenariat avec Care, nous accompagnons des projets de réduction des risques et d'adaptation à ceux-ci en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud afin d'aider les communautés locales à mieux se préparer au réchauffement climatique et à limiter son impact.

Enfin, AXA a rejoint en mai dernier l'African Risk Capacity Initiative, un mécanisme de réassurance à l'échelle régionale dont la mission est d'aider les États membres de l'Union africaine à mieux anticiper les événements climatiques extrêmes et assurer ainsi la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables. Neuf pays devraient être couverts en 2015, et l'objectif est de porter ce chiffre à plus de vingt dans les quatre prochaines années.

Allez-vous amplifier ce type de stratégie d’exclusion (les 500 millions d’euros de désinvestissement) à l’avenir ?

Pour ce qui concerne AXA, ce choix contribue à la fois à réduire les risques de nos portefeuilles et à créer une plus grande cohérence avec notre stratégie d'entreprise responsable, afin de contribuer à construire une société plus sûre, plus résiliente et plus durable.

Mais au-delà d’une simple politique d’exclusion menée par quelques acteurs, la clé pour assurer la transition énergétique est de fixer un prix au carbone, et ce le plus rapidement possible.

AXA a également annoncé la hausse de ses investissements verts…

Au-delà de cette stratégie d'exclusion de certains actifs, AXA a également adopté une approche positive. Nous nous engageons à tripler nos investissements « verts » avec comme objectif de dépasser les 3 milliards d'euros d'ici 2020 pour notre actif général, provenant principalement de projets d'infrastructures vertes, de l'impact investment, des obligations vertes et du capital-investissement dans les technologies propres.

Mais la mesure qui aura le plus d'impact pour une entreprise de la taille d'AXA demeure l'intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans nos décisions d'investissement. C'est pourquoi nous nous sommes engagés à intégrer ces critères, pour toutes les classes d'actifs pertinentes de notre actif général. Nous progressons notamment sur l’extension de cette analyse ESG à certaines classes d’actifs qui sont aujourd’hui peu couvertes par les analyses de marché. Ce travail est mené de manière collégiale au sein de notre Responsible Investment Committee, présidé par notre directeur des investissements, et impliquant diverses fonctions (Risk Management, responsabilité d’entreprise, gérants, etc.).

AXA s’est engagé, en signant la Promesse de Montréal, à évaluer et publier l’intensité carbone de ses investissements d’ici décembre 2015. Pourquoi ?

AXA a signé le Montreal Carbon Pledge, qui nous engage à évaluer et rendre public l'intensité carbone de nos investissements d'ici décembre 2015. Nous travaillons depuis plusieurs mois à affiner notre méthodologie pour évaluer notre empreinte carbone et cette signature fait de nous le premier assureur d’envergure mondiale à prendre part à cette initiative, lancée sous l'égide des Principes des Nations Unies pour l'investissement responsable (PRI). Nous avons pris cette initiative afin d’améliorer notre compréhension du « risque carbone » qui pèse potentiellement sur nos actifs.

Quelle est la méthodologie utilisée ? Se dirige-t-on vers une méthodologie commune et une généralisation de cette pratique ?

Différentes méthodologies sont disponibles sur le marché, mais bien entendu, pour des sujets aussi pionniers, chaque analyse comporte des lacunes ou insuffisances. C’est pourquoi nous collaborons également avec certains de nos pairs et sous les auspices des PRI sur ce sujet. Nous soutenons également le think tank 2° Investing Initiative depuis 2013, qui est aujourd’hui pour nous l’organisation de référence en la matière.

Globalement, le risque climat est-il suffisamment pris en compte par les différents acteurs publics et privés aujourd’hui ?

Nous sommes frappés par le bouleversement qui s'est opéré sous nos yeux au cours des cinq dernières années dans la manière dont les acteurs du système financier envisagent le réchauffement climatique. Si l'on revient quelques années en arrière, lors des négociations sur le climat qui ont eu lieu à Bali ou à Copenhague, il n’est pas sûr que la communauté financière se sentait autant concernée qu'aujourd'hui et le réchauffement climatique n'était pas une priorité aussi bien identifiée, à la fois en tant que risque et en tant qu'opportunité.

Au cours des deux dernières années, le débat sur le risque lié aux émissions de carbone s'est déplacé des ONG spécialisées, think tanks et autres cercles de réflexion, sur la responsabilité des entreprises aux investisseurs activistes et maintenant au G20 et au Conseil de stabilité financière.

Cette évolution signale un changement clair dans la perception par les gouvernements du rôle que les acteurs financiers pourraient jouer. Le secteur de la finance n'est plus considéré comme un « ennemi » du développement durable, mais plutôt comme un moteur essentiel de la transition vers une économie décarbonée. La finance fait partie de la solution. Et nous ne parlons pas seulement des institutions financières publiques, qui sont impliquées depuis longtemps dans ce domaine, mais aussi des banques commerciales, des gestionnaires d'actifs et des assureurs.

Attendez-vous que des impulsions soient données aux acteurs financiers privés lors de la CoP21 ?

Au-delà des engagements d'AXA, demeure la question plus large du rôle que l'industrie de l'assurance va jouer dans les années à venir face au réchauffement climatique. De notre point de vue, le lien entre assurance et climat est évident : tous deux requièrent une capacité d'anticipation et des engagements sur le long terme.

Les assureurs exercent un métier unique de par ses perspectives de long terme, avec certaines obligations envers nos assurés qui s'étendent sur 30 ans. Et nous savons que les modèles de simulation climatique actuels montrent un impact des risques climatiques en forte augmentation à cet horizon de temps.

Cependant, la réglementation financière nous pousse à définir notre stratégie d'investissement dans un horizon de temps plus proche que celui auquel nos obligations nous astreignent en tant qu'assureur. En particulier, les nouvelles règles comptables IFRS et l'absence de traitement différencié pour les investissements de long terme, par exemple dans les infrastructures, nous détournent de la vision stratégique de long terme que le secteur de l'assurance devrait logiquement adopter.

Cela signifie que même si les acteurs responsables de l'industrie de l'assurance vont prendre cette année des engagements pour contribuer à la transition vers une économie décarbonée, ces efforts pourraient ne pas atteindre l'échelle nécessaire. Aussi longtemps que le « risque systémique » lié au carbone ne sera pas correctement intégré dans les cadres réglementaires, à travers des mécanismes efficaces de détermination de son prix et plus largement un traitement favorable des investissements de long terme qui sont nécessaires pour limiter les risques climatiques, ce sera toujours l'affaire de quelques acteurs responsables faisant de leur mieux au sein d'un système financier qui n'est pas conçu dans une perspective durable.

Les acteurs privés sont invités à participer au financement de 100 milliards d’euros par an, attendu à partir de 2020, pour accompagner les pays en développement dans leur transition énergétique. AXA pourrait-il être concerné par ce financement ?

Nous restons prudents, car la gouvernance de cette structure reste à définir, mais nous investissons par ailleurs dans la transition énergétique en attendant les clarifications nécessaires.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº789