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Méthodologies

Comment les banques de détail évaluent les risques liés au climat

Créé le

19.11.2019

Des méthodologies émergent pour analyser le risque lié au climat au niveau des entreprises et identifier si elles sont compatibles avec une trajectoire qui limite le réchauffement. La réorientation des crédits aux particuliers est encore balbutiante.

L’article 173 de la loi de transition énergétique et son décret d’application demandent aux entreprises de fournir des informations sur la manière dont la société prend en compte les risques liés au changement climatique. Il a permis aux acteurs financiers français de progresser dans la compréhension des enjeux liés au climat, notamment concernant les risques de transition et les risques physiques liés au changement climatique. L’article 173 ciblant d’avantage les gestionnaires d’actifs et investisseurs institutionnels avec le paragraphe 4, c’est naturellement la finance de marché qui s’est saisie du sujet et a travaillé sur la réallocation de ses portefeuilles pour financer la transition énergétique notamment. Cette réorientation des capitaux via les actions et obligations ne concerne qu’une partie de notre système financier. En France, les banques de détail portent une large part du financement de la société, et notamment des entreprises et des ménages.

Un acteur clé

Le premier métier historique des banques, le financement de l’économie à travers l’octroi de prêts, est aujourd’hui également en questionnement concernant son rôle dans la transition. La banque est un acteur clé incontournable de par son rôle auprès des entreprises mais également des particuliers. L’activité de prêt représente 60 % [1] de l’actif total des banques et pèse un peu plus de 2000 milliards d’euros. En comparaison, les encours totaux de titres en France représentent plus de 6 000 milliards [2] dont 30 % sont des actions et le reste de la dette. Le crédit délivré par les banques de détail représente donc en volume un poids équivalent aux titres des actions en France.

Les banques de détail doivent donc « faire leur part » dans le financement de la transition énergétique. Elles ont un rôle auprès des entreprises pour les aider à réaliser leurs transitions et ne plus financer d’activités qui contribuent au réchauffement climatique. Mais elles ont également un rôle auprès des particuliers. Dans la publication « Faire sa part ? [3] », Carbone 4 a souligné que l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) devait être porté pour 20 % par les particuliers dont la moitié, 10 %, relevait d’un investissement de leur part, le reste des efforts étant porté par les entreprises et l’État. Les banques de détail, avec la génération de crédit, détiennent un levier d’action important de la transition énergétique, que ce soit auprès des particuliers ou des entreprises. Les banques de détail sont-elles conscientes de leurs impacts auprès des entreprises et des particuliers ? Ont-elles mis en place des méthodologies permettant de flécher les financements ? Quelles méthodologies utilisent-elles ?

Méthodologies

Des initiatives nous montrent que certaines banques de détail ont pris conscience de cet enjeu et des risques que cela leur faisait porter. En ce qui concerne le financement aux entreprises, les méthodologies développées pour se conformer à l’article 173, et plus spécifiquement les méthodologies dites « bottom-up », ont profité également aux banques de détail. L’objectif de ces banques n’est pas de se limiter à faire du reporting mais bien d’analyser le risque au niveau de chaque entreprise. Les méthodologies « top-down » comme celle dénommée P9XCA développée par le Crédit Agricole CIB et présentée dans le guide ADEME/ORSE/ABC [4] permettent de réaliser une cartographie des émissions de GES en fonction des macrosecteurs économiques. C’est une première étape intéressante pour identifier où se trouvent les enjeux dans le portefeuille et comparer les résultats entre les utilisations de crédit par les entreprises et les autorisations possibles. Prenons un exemple avec une banque A qui n’a pas intégré ce risque de transition. Elle détient un portefeuille de financement avec des secteurs très intensifs comme l’aérien ou le charbon. Les entreprises de ces secteurs ont des petites utilisations de leurs crédits mais des autorisations plus importantes en moyenne que pour les autres secteurs. Imaginons que ces secteurs soient exclus du portefeuille de financement des autres banques, que les entreprises ne modifient pas leur activité mais continuent à avoir besoin de financement. Elles vont donc augmenter fortement leurs utilisations auprès de la banque A. L’empreinte carbone du portefeuille de financement va certes augmenter mais le risque de transition également avec un risque de perte financière en cas de dépréciation des actifs des entreprises de ces secteurs. La concrétisation du phénomène des actifs échoués est aujourd’hui visible avec la centrale à charbon d’Hazelwood [5] en Australie par exemple.

Scénario de référence

En complément de cette approche « top-down », il est nécessaire de travailler au niveau de chaque entreprise pour identifier si elle est compatible avec une trajectoire limitant le réchauffement climatique et si elle contribue à la transition énergétique, dans le sens où elle participe à faire basculer l’économie vers une société zéro émission nette.

Les approches « par scénario » peuvent être utilisées lorsqu’un scénario de référence existe pour un secteur. Cette approche permet d’identifier à partir des budgets carbone et de l’intensité carbone de l’entreprise si elle est compatible avec un scénario 2 °C. Pour un producteur d’électricité par exemple, si son intensité pour la production d’électricité en gCO2/kWh est en dessous du scénario 2 °C, alors elle est alignée avec le scénario 2 °C. D’autres approches proposent d’intégrer les objectifs de long terme afin de donner le temps aux entreprises de devenir compatible avec la trajectoire 2 °C.

Beaucoup de banques sont en attente de la taxonomie verte européenne qui permettra d’identifier les secteurs verts et d’améliorer la part de financement sur ces secteurs. Mais il sera également nécessaire d’intégrer dans la méthodologie des banques les secteurs qui auront un impact négatif. C’est notamment le cas du projet de Natixis de Green Weighting Factor qui permet un ajustement favorable des taux de crédit pour les financements ayant un impact positif sur le climat et l'environnement, et à l’inverse un ajustement défavorable pour ceux ayant un impact négatif. Basée sur les données de Carbon4 Finance concernant le financement d’entreprises, l’approche repose sur une version augmentée de la méthodologie Carbon Impact Analytics. Elle analyse pour chaque entreprise, au regard de son secteur, la totalité de ses émissions de GES (scope 1,2,3), son alignement avec le scénario 2 °C, sa capacité à atteindre son objectif et surtout sa contribution à la transition énergétique. En complément, une analyse environnementale est réalisée pour toutes les entreprises.

Un point crucial de ces travaux est la remontée d’informations depuis les entreprises. Les portefeuilles de financement ne contiennent pas que des grands groupes cotés qui produisent des rapports annuels et répondent aux questionnaires ESG. Même si ces données existent, les solutions pour remonter cette information, la centraliser, la traiter et déployer les résultats dans les systèmes d’information des banques représentent des projets conséquents pour ces dernières. Le rôle des analystes crédit et des chargés de clientèle va donc également évoluer. Ils devront comprendre ces méthodologies, les résultats appliqués à leurs clients, et engager une discussion avec eux pour les aider à progresser. Toute une dimension d’accompagnement, de proposition de nouveaux produits devra également émerger.

Financement des particuliers

En travaillant sur leur portefeuille de financement des entreprises, les banques de détail réalisent la moitié du chemin. Le financement des particuliers présente également un enjeu important. La grande majorité des crédits délivrés aujourd’hui pour les particuliers concerne leurs achats immobiliers. Le contexte des taux bas, une réglementation énergétique peu contraignante et les bouleversements que connaissent les banques de détail dans le secteur immobilier, n’ont pas permis à ce jour de développer des méthodologies qui permettent de réorienter les investissements. Pourtant, l’enjeu est de taille. La rénovation du parc résidentiel en France prend du retard et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) implique de réaliser l’objectif de rénovation énergétique de 300 000 logements par an sur 2015-2030 puis 700 000 sur 2030-2050. En complément, les travaux du Shift Project [6] ont mis en avant que la solvabilité des ménages devra être repensée pour intégrer dans le ratio de solvabilité les dépenses énergétiques et de transport, afin de mieux intégrer le risque de transition.

Les crédits délivrés aux particuliers permettent également d’aborder le risque physique. L’évolution des aléas tels que les vagues de chaleur ou encore les sécheresses vont impacter tous les logements. Dans une étude que Carbone 4 a réalisée sur le portefeuille de crédit immobilier d’une banque de détail régionale, l’aléa sécheresse dans un scénario tendanciel à +4 °C augmente substantiellement. Couplée à la vulnérabilité des différentes typologies de bâtis locales, l’exposition au risque sécheresse du portefeuille est très importante. Cette évolution du risque est déjà perceptible [7] et pose la question de la couverture assurantielle, aujourd’hui et sur le long terme. Certaines habitations aux États-Unis ne sont plus couvertes par les assurances à cause du montant du contrat ou du coût pour les adapter. Ces conséquences de perte de valeur du bien – partielle voire totale - ont un impact pour la banque qui s’expose alors à un défaut de remboursement complet du crédit, et qui devra également faire face à un client en difficulté financière.

Le financement de la transition des entreprises par le crédit s’organise et les banques de détail sont en train de s’outiller pour y répondre. Mais la réorientation des crédits aux particuliers, qui représentent une part tout aussi importante, est encore balbutiante. Il est clair que les citoyens auront besoin des banques pour réaliser leur transition et faire les investissements sur leurs habitations, leurs véhicules ou leurs nouveaux modes de vie. Reste à savoir si les banques seront au rendez-vous.

 

1 ACPR, « Les chiffres du marché français de la banque et de l’assurance », 2018.
2 Banque de France, « Émission et détention de titres français au 30 juin 2019 », octobre 2019.
3 Carbone 4, « Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique », juin 2019.
4 ADEME/ORSE/ABC, Contexte et enjeux de quantification des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur financier, tome 3, 2016.
5 https://www.theguardian.com/sustainable-business/2017/mar/29/hazelwoods-closure-shows-companies-and-governments-must-plan-ahead-for-climate-change.
6 The Shift Project, « Crédit immobilier et résilience énergétique ».
7 Cécile Bouanchaud, « Le combat des propriétaires de maisons fissurées, “victimes du réchauffement climatique” », Le Monde, 13 novembre 2019.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº838
Notes :
null Crédit immobilier et résilience énergétique ».
Cécile Bouanchaud, « Le combat des propriétaires de maisons fissurées, “victimes du réchauffement climatique” », Le Monde, 13 novembre 2019.
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5 https://www.theguardian.com/sustainable-business/2017/mar/29/hazelwoods-closure-shows-companies-and-governments-must-plan-ahead-for-climate-change.
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