L’article 173 de la loi de transition énergétique et son décret d’application demandent aux entreprises de fournir des informations sur la manière dont la société prend en compte les risques liés au changement climatique. Il a permis aux acteurs financiers français de progresser dans la compréhension des enjeux liés au climat, notamment concernant les risques de transition et les risques physiques liés au changement climatique. L’article 173 ciblant d’avantage les gestionnaires d’actifs et investisseurs institutionnels avec le paragraphe 4, c’est naturellement la finance de marché qui s’est saisie du sujet et a travaillé sur la réallocation de ses portefeuilles pour financer la transition énergétique notamment. Cette réorientation des capitaux via les actions et obligations ne concerne qu’une partie de notre système financier. En France, les banques de détail portent une large part du financement de la société, et notamment des entreprises et des ménages.
Un acteur clé
Le premier métier historique des banques, le financement de l’économie à travers l’octroi de prêts, est aujourd’hui également en questionnement concernant son rôle dans la transition. La banque est un acteur clé incontournable de par son rôle auprès des entreprises mais également des particuliers. L’activité de prêt représente 60 %
Les banques de détail doivent donc « faire leur part » dans le financement de la transition énergétique. Elles ont un rôle auprès des entreprises pour les aider à réaliser leurs transitions et ne plus financer d’activités qui contribuent au réchauffement climatique. Mais elles ont également un rôle auprès des particuliers. Dans la publication « Faire sa part ?
Méthodologies
Des initiatives nous montrent que certaines banques de détail ont pris conscience de cet enjeu et des risques que cela leur faisait porter. En ce qui concerne le financement aux entreprises, les méthodologies développées pour se conformer à l’article 173, et plus spécifiquement les méthodologies dites « bottom-up », ont profité également aux banques de détail. L’objectif de ces banques n’est pas de se limiter à faire du reporting mais bien d’analyser le risque au niveau de chaque entreprise. Les méthodologies « top-down » comme celle dénommée P9XCA développée par le Crédit Agricole CIB et présentée dans le guide ADEME/ORSE/ABC
Scénario de référence
En complément de cette approche « top-down », il est nécessaire de travailler au niveau de chaque entreprise pour identifier si elle est compatible avec une trajectoire limitant le réchauffement climatique et si elle contribue à la transition énergétique, dans le sens où elle participe à faire basculer l’économie vers une société zéro émission nette.
Les approches « par scénario » peuvent être utilisées lorsqu’un scénario de référence existe pour un secteur. Cette approche permet d’identifier à partir des budgets carbone et de l’intensité carbone de l’entreprise si elle est compatible avec un scénario 2 °C. Pour un producteur d’électricité par exemple, si son intensité pour la production d’électricité en gCO2/kWh est en dessous du scénario 2 °C, alors elle est alignée avec le scénario 2 °C. D’autres approches proposent d’intégrer les objectifs de long terme afin de donner le temps aux entreprises de devenir compatible avec la trajectoire 2 °C.
Beaucoup de banques sont en attente de la taxonomie verte européenne qui permettra d’identifier les secteurs verts et d’améliorer la part de financement sur ces secteurs. Mais il sera également nécessaire d’intégrer dans la méthodologie des banques les secteurs qui auront un impact négatif. C’est notamment le cas du projet de Natixis de Green Weighting Factor qui permet un ajustement favorable des taux de crédit pour les financements ayant un impact positif sur le climat et l'environnement, et à l’inverse un ajustement défavorable pour ceux ayant un impact négatif. Basée sur les données de Carbon4 Finance concernant le financement d’entreprises, l’approche repose sur une version augmentée de la méthodologie Carbon Impact Analytics. Elle analyse pour chaque entreprise, au regard de son secteur, la totalité de ses émissions de GES (scope 1,2,3), son alignement avec le scénario 2 °C, sa capacité à atteindre son objectif et surtout sa contribution à la transition énergétique. En complément, une analyse environnementale est réalisée pour toutes les entreprises.
Un point crucial de ces travaux est la remontée d’informations depuis les entreprises. Les portefeuilles de financement ne contiennent pas que des grands groupes cotés qui produisent des rapports annuels et répondent aux questionnaires ESG. Même si ces données existent, les solutions pour remonter cette information, la centraliser, la traiter et déployer les résultats dans les systèmes d’information des banques représentent des projets conséquents pour ces dernières. Le rôle des analystes crédit et des chargés de clientèle va donc également évoluer. Ils devront comprendre ces méthodologies, les résultats appliqués à leurs clients, et engager une discussion avec eux pour les aider à progresser. Toute une dimension d’accompagnement, de proposition de nouveaux produits devra également émerger.
Financement des particuliers
En travaillant sur leur portefeuille de financement des entreprises, les banques de détail réalisent la moitié du chemin. Le financement des particuliers présente également un enjeu important. La grande majorité des crédits délivrés aujourd’hui pour les particuliers concerne leurs achats immobiliers. Le contexte des taux bas, une réglementation énergétique peu contraignante et les bouleversements que connaissent les banques de détail dans le secteur immobilier, n’ont pas permis à ce jour de développer des méthodologies qui permettent de réorienter les investissements. Pourtant, l’enjeu est de taille. La rénovation du parc résidentiel en France prend du retard et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) implique de réaliser l’objectif de rénovation énergétique de 300 000 logements par an sur 2015-2030 puis 700 000 sur 2030-2050. En complément, les travaux du Shift Project
Les crédits délivrés aux particuliers permettent également d’aborder le risque physique. L’évolution des aléas tels que les vagues de chaleur ou encore les sécheresses vont impacter tous les logements. Dans une étude que Carbone 4 a réalisée sur le portefeuille de crédit immobilier d’une banque de détail régionale, l’aléa sécheresse dans un scénario tendanciel à +4 °C augmente substantiellement. Couplée à la vulnérabilité des différentes typologies de bâtis locales, l’exposition au risque sécheresse du portefeuille est très importante. Cette évolution du risque est déjà perceptible
Le financement de la transition des entreprises par le crédit s’organise et les banques de détail sont en train de s’outiller pour y répondre. Mais la réorientation des crédits aux particuliers, qui représentent une part tout aussi importante, est encore balbutiante. Il est clair que les citoyens auront besoin des banques pour réaliser leur transition et faire les investissements sur leurs habitations, leurs véhicules ou leurs nouveaux modes de vie. Reste à savoir si les banques seront au rendez-vous.