« This time is different » pour les banques centrales

Selon l&rsquo;adage, &laquo; this time is different &raquo; seraient les quatre mots les plus dangereux dans le monde de la finance. Et pourtant, le d&eacute;fi qui attend les banques centrales lors des ann&eacute;es &agrave; venir sera effectivement tr&egrave;s diff&eacute;rent de ceux qu&rsquo;elles ont eus &agrave; relever depuis la crise financi&egrave;re de 2008 et pendant la pand&eacute;mie. Le contexte macro&eacute;conomique, qui s&rsquo;am&eacute;liore mais traduit &eacute;galement de profonds changements structurels, appelle une r&eacute;volution de politique &eacute;conomique et, notamment, des fonctions de r&eacute;action des banques centrales. En particulier, le risque d&rsquo;un r&eacute;gime d&rsquo;inflation durablement plus &eacute;lev&eacute; ne peut &ecirc;tre ignor&eacute;, mais il ne peut pas non plus &ecirc;tre abord&eacute; de la m&ecirc;me mani&egrave;re que dans les ann&eacute;es 1970 et 1980. Les banques centrales vont commencer &agrave; r&eacute;duire progressivement leur soutien aux march&eacute;s financiers &agrave; travers les programmes d&rsquo;urgence qui ont &eacute;t&eacute; mis en place depuis d&eacute;but 2020, sans pour autant resserrer leur r&eacute;glage mon&eacute;taire, ni surr&eacute;agir &agrave; une pouss&eacute;e inflationniste qu&rsquo;elles d&eacute;crivent comme temporaire. Le risque d&rsquo;une mauvaise communication Les hausses de taux directeurs n&rsquo;&eacute;tant pas encore d&rsquo;actualit&eacute;, les d&eacute;bats de politique mon&eacute;taire aux &Eacute;tats-Unis et en Europe se sont focalis&eacute;s sur le tapering du quantitative easing (QE), c&rsquo;est-&agrave;-dire la r&eacute;duction du rythme des achats de dette au bilan. Il est important de faire une premi&egrave;re distinction entre stocks et flux. Quels que soient le calendrier et les modalit&eacute;s du tapering de la Fed et de la BCE, ces derni&egrave;res vont continuer d&rsquo;acheter des titres de dette sur les march&eacute;s (pendant une partie de l&rsquo;ann&eacute;e prochaine pour la Fed, jusqu&rsquo;en 2023, voire au-del&agrave;, pour la BCE), si bien que leurs bilans devraient continuer de cro&icirc;tre. En d&rsquo;autres termes, le tapering n&rsquo;est pas un quantitative tightening (QT) qui verrait les bilans se contracter. &Agrave; noter que la Banque d&rsquo;Angleterre a &eacute;t&eacute; la premi&egrave;re &agrave; &eacute;voquer la possibilit&eacute; d&rsquo;un QT une fois amorc&eacute; le rel&egrave;vement des taux directeurs. La Fed et la BCE n&rsquo;en sont pas l&agrave;. Le premier obstacle est le risque d&rsquo;une mauvaise communication. Leurs patrons respectifs, Jerome Powell et Christine Lagarde, ont d&ucirc; composer avec une am&eacute;lioration des perspectives &eacute;conomiques et des risques li&eacute;s &agrave; la r&eacute;surgence du variant Delta, ou encore aux tensions persistantes sur les cha&icirc;nes de production. Aucune des deux banques centrales ne veut prendre le risque d&rsquo;un resserrement pr&eacute;matur&eacute; des conditions mon&eacute;taires. Leur cr&eacute;dibilit&eacute; est en jeu, dans la mesure o&ugrave; elles ont toutes les deux op&eacute;r&eacute; des changements strat&eacute;giques en adoptant un ciblage moyen d&rsquo;inflation (pour la Fed) et une cible d&rsquo;inflation sym&eacute;trique (pour la BCE). La sensibilit&eacute; des march&eacute;s au risque d&rsquo;un tapering traduit la difficult&eacute; de l&rsquo;exercice, m&ecirc;me si, l&agrave; aussi, la situation diff&egrave;re de l&rsquo;&eacute;pisode douloureux de 2013, lors du resserrement mon&eacute;taire de la Fed entam&eacute; par Ben Bernanke, qui avait d&eacute;stabilis&eacute; le march&eacute; obligataire. Les banques centrales ont, depuis, globalement appris de leurs erreurs. Des plus bas historiques Aujourd&rsquo;hui, les taux obligataires restent extr&ecirc;mement bas et, de fa&ccedil;on contre-intuitive, ont plut&ocirc;t eu tendance &agrave; baisser en r&eacute;action aux chiffres &eacute;lev&eacute;s d&rsquo;inflation ou aux discours &laquo; hawkish &raquo; (va-t-en guerre) des banquiers centraux. La raison fondamentale tient justement &agrave; la cr&eacute;dibilit&eacute; des objectifs des banques centrales. Des ann&eacute;es de QE ont comprim&eacute; les taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t r&eacute;els de long terme &agrave; des plus bas historiques, sous les -1 % aux &Eacute;tats-Unis et -1,5 % en zone euro. Les taux nominaux sont un peu remont&eacute;s en d&eacute;but d&rsquo;ann&eacute;e, via une hausse des anticipations d&rsquo;inflation, ce qui est pr&eacute;cis&eacute;ment l&rsquo;objectif de la banque centrale. Mais si les march&eacute;s craignent que cette derni&egrave;re r&eacute;duise trop rapidement son soutien, en d&rsquo;autres termes s&rsquo;ils craignent une erreur de politique mon&eacute;taire, alors les anticipations d&rsquo;inflation baissent et les taux nominaux aussi. Enfin, le variant Delta a &eacute;galement entra&icirc;n&eacute; une r&eacute;vision &agrave; la baisse des perspectives de croissance mondiale. Dans ce contexte, la Fed a, tr&egrave;s prudemment, ouvert la voie &agrave; un tapering d&rsquo;ici &agrave; la fin de l&rsquo;ann&eacute;e. Les derniers indicateurs macro&eacute;conomiques plus mitig&eacute;s devraient la conforter dans une r&eacute;duction tr&egrave;s graduelle de ses achats de bons du Tr&eacute;sor en 2022, selon des modalit&eacute;s &agrave; annoncer, mais qui devrait s&rsquo;&eacute;taler sur plusieurs mois. Aux risques &eacute;conomiques s&rsquo;ajoutent des obstacles de nature politique. Plusieurs membres du Comit&eacute; de politique mon&eacute;taire doivent &ecirc;tre nomm&eacute;s ou reconduits. Plus g&eacute;n&eacute;ralement, le calendrier politique charg&eacute; peut contrarier les plans de la Fed en cas d&rsquo;incertitude sur le soutien budg&eacute;taire. La BCE n&rsquo;a pas encore ouvert la discussion du tapering, mais les outils &agrave; sa disposition, de m&ecirc;me que le calendrier, sont diff&eacute;rents. Le programme d&rsquo;achat d&rsquo;urgence annonc&eacute; en mars 2020 (Pandemic Emergency Purchase Programme &ndash; PEPP) devrait se terminer en mars 2022, , comme pr&eacute;vu, avec un total de pr&egrave;s de 1,7&thinsp;trillion d&rsquo;euros d&rsquo;achats d&rsquo;actifs, la BCE pouvant se permettre de ne pas utiliser int&eacute;gralement l&rsquo;enveloppe initiale de 1,85 trillion d&rsquo;euros. En l&rsquo;absence de nouveau choc, on peut imaginer la BCE ent&eacute;riner cet arr&ecirc;t du PEPP avec une annonce de tapering en d&eacute;cembre. Mais, dans le m&ecirc;me temps, le Asset Purchase Programme (APP, le programme de QE traditionnel lanc&eacute; d&eacute;but 2015) continue, au rythme de 20 milliards d&rsquo;euros par mois, et devrait &ecirc;tre &eacute;tendu &agrave; partir d&rsquo;avril 2022. En effet, les perspectives d&rsquo;inflation en zone euro, quoiqu&rsquo;en hausse depuis quelques mois, restent nettement inf&eacute;rieures aux objectifs que la BCE s&rsquo;est fix&eacute;s dans le cadre de la revue strat&eacute;gique et de sa nouvelle politique de guidage des taux directeurs. Tant que les taux seront proches de leur borne basse, la BCE s&rsquo;est engag&eacute;e &agrave; maintenir une politique mon&eacute;taire &laquo; particuli&egrave;rement forte et persistante &raquo; afin de soutenir les anticipations d&rsquo;inflation et de limiter le risque de trappe &agrave; liquidit&eacute;s. La BCE dispose &eacute;galement des TLTROs, ces op&eacute;rations de refinancement des banques qui viennent en soutien &agrave; la transmission de la politique mon&eacute;taire et qui ont b&eacute;n&eacute;fici&eacute; d&rsquo;innovations importantes ces deux derni&egrave;res ann&eacute;es, les rendant tr&egrave;s attractives et efficaces. Une transition souple La Fed et la BCE font &eacute;galement face &agrave; un d&eacute;fi commun : assurer une transition souple entre la fin du QE et le d&eacute;but d&rsquo;un cycle de resserrement mon&eacute;taire, aussi &eacute;loign&eacute; soit-il. La communication de la Fed met d&eacute;sormais l&rsquo;accent sur le d&eacute;couplage entre QE et taux d&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t, mais la pression pourrait s&rsquo;accentuer en cas de tensions inflationnistes persistantes. Lors de la r&eacute;union du FOMC du mois de juin 2021, la Fed a avanc&eacute; le calendrier des hausses de taux sans r&eacute;viser ses pr&eacute;visions &agrave; long terme, ce qui a remis en question cette strat&eacute;gie de ciblage moyen de l&rsquo;inflation qu&rsquo;elle venait de mettre en place et qui stipule pr&eacute;cis&eacute;ment que la politique mon&eacute;taire ne doit pas &ecirc;tre influenc&eacute;e par un rebond temporaire de l&rsquo;inflation faisant suite &agrave; une p&eacute;riode d&rsquo;inflation trop faible. Pour la BCE, la s&eacute;quence est diff&eacute;rente, dans la mesure o&ugrave; la communication actuelle pr&eacute;voit une poursuite des rachats d&rsquo;actifs jusqu&rsquo;&agrave; quelques mois avant la premi&egrave;re hausse de taux. Il est probable que les &laquo; faucons &raquo; du Conseil des gouverneurs poussent eux aussi dans le sens d&rsquo;un d&eacute;couplage entre la fin du QE et le d&eacute;but de la normalisation des taux, ce qui serait donc &laquo; hawkish &raquo; dans le cas de la BCE. Plus fondamentalement, les banques centrales doivent assurer des conditions mon&eacute;taires compatibles avec une croissance et des structures &eacute;conomiques que la pand&eacute;mie a structurellement modifi&eacute;es. Le niveau de dette publique historiquement &eacute;lev&eacute; en est une manifestation, qui devra &ecirc;tre g&eacute;r&eacute;e sur la dur&eacute;e avec des co&ucirc;ts de refinancement contenus. Cette pression sur les finances publiques a toutes les chances de s&rsquo;intensifier avec la transition &eacute;nerg&eacute;tique et le vieillissement de la population. Pour la banque centrale, le risque est de rester coinc&eacute;e dans une forme de &laquo; dominance budg&eacute;taire &raquo; soumise aux al&eacute;as de la politique fiscale. Le stock de dette d&eacute;tenu par les banques centrales repr&eacute;sente pr&egrave;s de 25 % du total aux &Eacute;tats-Unis et en zone euro, et pr&egrave;s de 45 % au Royaume-Uni et au Japon. Il est difficile d&rsquo;imaginer une r&eacute;duction de ces encours avant plusieurs ann&eacute;es ; au contraire, il pourrait bien augmenter davantage en cas de nouvelle crise. En Europe en particulier, la BCE pourra difficilement atteindre ses objectifs sans un soutien prolong&eacute; et coordonn&eacute; de la politique fiscale. Les r&egrave;gles budg&eacute;taires de la zone euro, si elles &eacute;taient appliqu&eacute;es &agrave; la lettre, entra&icirc;neraient un tr&egrave;s fort resserrement en 2023. Tout l&rsquo;enjeu sera de trouver un consensus politique, apr&egrave;s les &eacute;lections allemandes et fran&ccedil;aises, compatible avec une croissance durable et une union mon&eacute;taire plus int&eacute;gr&eacute;e. Il faut alors esp&eacute;rer que la BCE puisse entrevoir la possibilit&eacute; de sortir des taux n&eacute;gatifs avant la fin du mandat de Christine Lagarde&hellip; en 2027. Article valid&eacute; le 10 septembre 2021.

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