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Crypto-actifs

Ne ratons pas le développement de la finance décentralisée

Créé le

29.11.2021

Portée par l'essor des cryptomonnaies, la finance décentralisée, démocratique et universelle, est appelée à durer. Et, bonne nouvelle, les Français y jouent et joueront un rôle majeur. À condition qu'on ne leur mette pas des bâtons dans les roues…

Le secteur des crypto-actifs est au cœur du réacteur de nombreuses mutations qui accompagnent l’avenir de l’Europe financière depuis une décennie. Depuis la création des toutes premières cryptomonnaies, des stablecoins ou de nouveaux modes de financement, l’innovation catalysée par les crypto-actifs a donné naissance à un phénomène d’une ampleur exponentielle : la finance décentralisée. Aussi désignée sous les vocables de finance ouverte ou DeFi, elle consiste en une alternative au système bancaire et financier traditionnel, en proposant une nouvelle offre de services bien connus (prêts, assurance, échange, etc.), mais fondée sur les réseaux blockchain ouverts.

Une finance ouverte synonyme d’inclusion

Pourquoi ouverte ? Parce que la DeFi aspire à être accessible à tous, aux utilisateurs comme aux développeurs et porteurs de projets. La finance décentralisée naît d’un constat : un accès de la population mondiale aux services financiers inéquitable, inégal, voire impossible dans certaines zones très limitées. En France, le taux de bancarisation a été estimé à 99 %, mais les citoyens de nombreux États (notamment africains, asiatiques et sud-américains) doivent gérer l’absence ou la défaillance d'institutions bancaires et financières permettant de souscrire à des services basiques, pourtant indispensables à la vie quotidienne – l’ouverture d’un compte bancaire, la souscription d’un crédit, etc. Un rapport du Global Findex Database [1] paru en 2017 estime que 1,7 milliard d’adultes dans le monde n’ont actuellement pas accès aux services financiers de base. Or, l’exclusion financière est bien souvent synonyme d’exclusion sociale.

L'objectif de la DeFi est donc de démocratiser l’accès aux services bancaires et financiers dans le monde entier, grâce aux opportunités offertes par les technologies blockchain et les crypto-actifs, qui comblent les manques des acteurs établis.

Les quatre piliers de la DeFi

Cette ambition repose sur quatre piliers principaux :

– l'interopérabilité et la composabilité : les applications DeFi peuvent interagir entre elles et ainsi constituer des produits et services complexes, incrémentables en continu ;

– la programmabilité et l’automatisation : le fonctionnement fiable et objectif des services DeFi est garanti par le recours aux smart contracts, lesquels assurent l’exécution d’opérations si et seulement si les conditions précodées sont effectivement réunies ;

– la transparence : les smart contracts sont déployés sur des réseaux blockchain ouverts qui permettent d’auditer publiquement le code (et donc de vérifier les modalités du service fourni) ainsi que l’historique des opérations ;

– la désintermédiation : les utilisateurs des services DeFi interagissent entre eux et gèrent directement leurs actifs via les protocoles, sans qu’un opérateur central n’en régisse l’accès.

Les paramètres de la confiance sont ainsi totalement bouleversés et déplacés depuis les intermédiaires classiques vers les technologies blockchain et les smart contracts.

Face au succès, l’intérêt des institutionnels

Fort de ces promesses, le succès de la DeFi est incontestable. Il s’illustre notamment par l’explosion de la valeur des actifs sous gestion dans ses protocoles (la total value locked – TVL) : 106 milliards de dollars aujourd’hui, contre 20 milliards de dollars à la fin de l’année 2020, soit une multiplication par 5 au cours de 2021, avant même la fin de l’année.

C’est donc naturellement que la DeFi attire aujourd’hui l’attention des institutionnels. En juillet, Goldman Sachs a déposé une demande auprès de la SEC afin de lancer un ETF visant à s’exposer à l’industrie DeFi. En octobre, Forge – filiale de Société Générale – a proposé de souscrire un prêt en stablecoin DAI sur le protocole MakerDAO collatéralisé par des instruments financiers tokenisés. En novembre, Aave – le troisième plus gros protocole DeFi en matière de TVL – a lancé une plateforme de prêts-emprunts décentralisés spécialement destinés aux acteurs institutionnels.

Dans ce nouveau spectre de la finance européenne, portée par la DeFi, entre autres innovations du monde des crypto-actifs, la France a une carte à jouer. Depuis 2011 et l’arrivée de ses tout premiers acteurs, l’industrie française des crypto-actifs s’est développée et structurée sur de nombreux segments : investissement, épargne, paiement, financement, services bancaires et financiers décentralisés, etc. Les membres de l’ADAN illustrent cette diversité et cette complémentarité.

Gare à une réglementation inadaptée

Alors que l’innovation portée par les crypto-actifs est face à de nombreux enjeux réglementaires, les acteurs français sont particulièrement vertueux en la matière et se présentent comme des partenaires de confiance privilégiés. Avec la loi PACTE, la France s’est attelée très tôt à encadrer les acteurs des crypto-actifs. Ce régime inspire désormais la Commission européenne : en septembre 2020, avec le règlement Markets in crypto-assets (MiCA), elle a d’abord proposé un encadrement harmonisé des marchés de crypto-actifs, puis en juillet 2021 le renforcement des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il faut noter que les vingt-sept prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) français, enregistrés à date, sont déjà en conformité avec ce texte.

Désormais, tout l’enjeu réside dans la réglementation – indispensable pour favoriser la confiance dans les marchés et l’adoption par de nouveaux utilisateurs. Elle ne doit pas brider l’innovation et, pour ce faire, répondre à deux impératifs : être proportionnée et adaptée. Proportionnée, car l’avenir de l’Europe financière est porté, en premier lieu, par les nouveaux acteurs. Les deux licornes françaises du secteur, Ledger et Sorare (voir encadré), en sont la parfaite illustration. L’explosion de la finance décentralisée, portée par les pure players des crypto-actifs, le confirme. Adaptée, car l’innovation oblige à repenser le paradigme réglementaire traditionnel. Or, sur ces deux critères, les débats en cours au niveau européen ne prennent pas toujours la bonne direction et menacent la croissance du secteur.

Comment rattraper Américains et Asiatiques ?

Outre la réglementation, l’industrie française des crypto-actifs affronte plusieurs freins structurels à son développement, qui pèsent sur sa compétitivité face aux acteurs américains et asiatiques, qui, eux, confortent progressivement leur avance dans la course internationale. En premier lieu, une bancarisation extrêmement difficile, voire impossible, y compris lorsque les entreprises sont enregistrées en tant que PSAN après une procédure longue et éprouvante, alors qu’elles devraient a priori disposer d’un droit d’accès aux comptes avec ce statut. Les entreprises cryptos font par ailleurs face à la concurrence d’acteurs non enregistrés, qui promeuvent leurs services auprès du public français de manière illégale. S’ajoutent à ces problèmes des difficultés à trouver des financements, tant publics que privés, ainsi qu’une fiscalité inadaptée à certains usages et qui n’encourage ni l’entrepreneuriat ni le financement de l’économie. Enfin, la plupart de ces obstacles puisent leur source dans des idées préconçues et souvent fausses, mais malgré tout largement relayées par les médias. L’ADAN œuvre à surmonter ces obstacles, en coordination avec ses interlocuteurs, afin de créer un environnement favorable à l’émergence de champions français.

1 Asli Demirgüç-Kunt, Leora Klapper, Dorothe Singer, Saniya Ansar & Jake Hess (2017), Base de données Global Findex.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº862bis
Notes :
1 Asli Demirgüç-Kunt, Leora Klapper, Dorothe Singer, Saniya Ansar & Jake Hess (2017), Base de données Global Findex.
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