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Mutualistes et banques nationales sont-elles vraiment concurrentes ?

Créé le

18.03.2022

Il est de bon ton de les opposer. Une analyse détaillée, notamment par segment de clientèle, prouve que les zones de concurrence entre banquesmutualistes et nationales sont relativement limitées. Mais les uns comme les autres doivent affronter les mêmes enjeux.

Les principaux réseaux bancaires en France incluent BNP Paribas, la Société Générale, LCL (filiale du Groupe Crédit Agricole), BPCE (Banque Populaire et Caisse d’Épargne), Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC et La Banque Postale. On peut répartir ces établissements en deux catégories : les banques nationales et les banques régionales.

Les banques nationales (BNP Paribas, la Société Générale, LCL ou La Banque Postale) sont implantées sur l’ensemble du territoire. Alors que les banques régionales sont des banques de proximité, souvent rattachées à une organisation mutualiste. Ainsi, par exemple, le réseau mutualiste Crédit Agricole est composé de 39 caisses régionales. Autre différence notable : contrairement aux banques nationales, il n’existe pas d’actionnaire dans les banques mutualistes, mais des sociétaires. Ces acteurs n'ont donc pas comme priorité la recherche de profits pour leurs investisseurs. Au passage, certaines d’entre elles comme le Crédit Mutuel ont adopté le statut d'entreprise à mission, s’engageant ainsi, en parallèle d’une activité lucrative, dans des missions à finalité environnementale, sociale, culturelle ou encore scientifique.

Le terroir pour les unes, la ville pour les autres

Cette différence de modèle économique entre les banques mutualistes/régionales et les banques nationales impacte fortement leurs stratégies. Premier constat : en dépit d'offres globalement identiques, elles ne ciblent nécessairement pas les mêmes segments de clientèle. Les banques nationales ciblent avant tout les populations des pôles urbains, et moins les populations rurales, contrairement aux banques régionales mutualistes. Les banques nationales ont aussi les utilisateurs « digitalisés » en ligne de mire. Filiale de la Société Générale, Boursorama, par exemple, concentre 3 millions de clients. MonaBanq et Bforbank, filiale du Crédit Agricole, en affichent 600 000. Les réseaux mutualistes, eux, ciblent beaucoup les commerçants et les artisans. Avec des spécificités : le Crédit Agricole est notamment la banque historique des agriculteurs. Il est aussi un acteur majeur vis-à-vis des associations, tout comme le Crédit Mutuel.

Ces stratégies entraînent des conséquences sur le niveau de maillage territorial des réseaux bancaires, provoquant de grandes disparités selon les groupes. Avec une présence réduite dans les zones rurales et une concentration urbaine, les groupes BNP Paribas et Société Générale disposent chacun d’environ 2 000 à 3 000 agences en France métropolitaine ; alors que les réseaux mutualistes oscillent chacun entre 5 000 à 7 000 agences (voir graphique). À titre d’exemple, en Lozère, département le moins peuplé de France, on retrouve 21 agences bancaires du réseau Crédit Agricole, contre 2 agences de la Société Générale.

Face à la tendance de diminution des agences bancaires, les comportements diffèrent aussi. On observe ainsi un recul du nombre d’agences bancaires physiques en France sur la dernière décennie, d’environ 3 000 unités selon une étude InfoStat/MoneyVox Marketing, soit une baisse de 7 % en 10 ans. Ce taux est deux fois plus important dans des régions plus rurales comme le Grand Est selon Pricebank. Mais le recul est beaucoup plus marqué pour les réseaux nationaux que pour les mutualistes. De 2010 à 2020, la baisse des agences atteint 22 % pour BNP Paribas, contre seulement 3 % pour le Crédit Mutuel sur la même période. À noter, le groupe Société Générale s’est fixé l’objectif de passer de 2 700 à 1 500 agences en 2025, à la suite de sa fusion avec le Crédit du Nord, entité atypique car composée de banques régionales non mutualistes !

Plus de concurrence sur les prix ?

Le maillage territorial est un levier important dans la stratégie de conquête des établissements bancaires, mais l’affichage tarifaire l’est également. Depuis plusieurs années, Querya Partners observe que les départements marketing des banques mutualistes n’intègrent plus autant la tarification des banques nationales dans leurs analyses comparatives. Et pour cause, sur certains segments de clientèle, l’écart tarifaire est très important, le prix agissant souvent comme une barrière à l’entrée des établissements nationaux.

Ainsi, pour un artisan avec un chiffre d’affaires de 200 000 euros par an, la facture d’un service de gestion quotidienne d’un compte courant professionnel se situe entre 20 et 30 euros mensuels pour une banque mutualiste, contre 40 euros pour une banque nationale. Sur le segment associatif, les banques nationales proposent une tarification à 10 euros en moyenne par mois, et, passé un certain seuil de chiffre d’affaires ou en nombre de salariés, elles appliquent la tarification des professionnels. En comparaison, l’offre proposée par les banques mutualistes s’élève en moyenne à 5 euros par mois, lorsque la facturation est appliquée. En effet, de très nombreux établissements appliquent encore la gratuité de l’offre sur le marché des associations, celui-ci étant jugé stratégique pour les acteurs, pour, notamment, conquérir la clientèle privée des adhérents.

L’enjeu des villes pour les mutualistes

Evidemment, ces différences de prix ainsi qu’un maillage inégal du territoire ont des conséquences sur les parts de marché en France. Les banques mutualistes détiennent en moyenne 75 % de parts de marché sur le segment des particuliers. Ce taux oscille selon le degré d’urbanisation du département : le Crédit Agricole affiche parfois un taux de 70 % dans les départements ruraux, mais peut redescendre à 30 % dans un département plus urbain. Même constat sur le segment associatif où la part de marché du Crédit Agricole peut s’élever à 70 % contre 40 % dans un département plus citadin. En revanche, dès que la taille de la structure augmente, les parts de marché diminuent. Ce phénomène peut s’expliquer par l’intérêt des groupes nationaux sur ce segment de clientèle. Sur le segment des artisans/commerçants, particulièrement ciblé par les banques mutualistes, celles-ci affichent des parts de marché supérieures à 80 %. Enfin, le Crédit Agricole est très largement présent sur le marché des agriculteurs, avec une part de marché de plus de 80 %.

La concurrence entre banques mutualistes et nationales se situe donc essentiellement en zone urbaine et sur les clients premium (clients CSP+, PME, association de taille importante ou avec salarié). Les banques nationales, poussées par un modèle bancaire qui privilégie la rentabilité, délaissent volontairement les zones rurales qui leur coûtent trop cher et le mass market auprès duquel elles poussent davantage la banque en ligne en réponse à la faible valeur client.

L’enjeu des villes pour les mutualistes

En revanche, fortes de leur puissance sur les marchés ruraux, les banques mutualistes affichent de plus en plus un objectif important de conquête de clientèle sur les marchés urbains, dans des régions en urbanisation croissante et donc en forte croissance. Cela passe par une présence très active sur le crédit immobilier, mais aussi par la contribution au développement économique régional, le financement de l’économie locale, et le soutien à la création et au développement des entreprises. L’objectif pour les banques mutualistes sera de conserver des parts de marché sur ces clients premium qui sont les plus rentables. Objectif difficile puisqu’en se spécialisant sur ces segments de clients, les nationales concentrent leur expertise et créent une image de marque. C’est leur modèle de banque universelle qui est en jeu si les banques mutualistes ne parviennent qu’à conserver des parts de marchés significatives sur les secteurs et les segments les moins rentables.

Attention aux mouvements de population

Quelle que soit leur typologie, les banques doivent également surveiller deux phénomènes : les mouvements de population et son rajeunissement. Depuis des décennies, on observe des mouvements majeurs en France métropolitaine, avec d’un côté, une diminution de la population dans certains départements ruraux – par exemple, la Nièvre a vu sa population diminuer de 17 % depuis les années 60 –, de l'autre une augmentation – le Morbihan a vu croître la sienne de 40 % durant la même période. Il ne s’agit pas forcément ici d’une d’urbanisation de la population. Les banques doivent continuer à suivre avec attention ces mouvements de population et adapter leur maillage territorial, d’autant plus que le Covid et l’apparition du télétravail devraient accélérer ce phénomène.

Enfin, la digitalisation devrait s’accélérer en France, provoquée par le renouvellement de la population. En effet, selon une récente étude du cabinet Deloitte, 42 % des clients bancaires utilisent l'application de leur banque en 2021, contre 34 % en 2019, tandis que le recours de l'agence est en baisse de 12 points sur la même période. Et ce premier taux va considérablement augmenter le recours au digital… En effet, une proportion importante de la population n’a pas grandi avec un smartphone, arrivé il y a seulement 15 ans sur le marché. Devant un contexte de rajeunissement de leur clientèle, les banques mutualistes comme nationales devront ainsi intensifier leurs relations clients dans le sens d’une plus grande digitalisation.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867