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« Mes objectifs stratégiques sont atteints, mais l’intérêt général commande »

Créé le

18.03.2022

À chaque élection présidentielle, le mandat du directeur général de la Caisse des Dépôts est remis en jeu. Durant le sien, Éric Lombard a transformé le groupe et plus que triplé son bilan. Au point d’être supervisé par l’ACPR et de s’interroger sur la prise en compte de sa solvabilité pour le versement d’une partie de ses résultats à l’État.

Entre l’établissement public et ses filiales exerçant des activités concurrentielles, la constitution du groupe Caisse des Dépôts est complexe. Lorsque celui-ci apporte un soutien à la Croix-Rouge et au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en versant 500 000 euros à chacun, d’où viennent ces sommes ?

Nous avons décidé de nous mobiliser pour les populations ukrainiennes et de donner suite à l’appel aux dons de ces deux organisations. Avec l’accord de notre gouvernance, la Commission de surveillance, nous avons débloqué un million d’euros, sur le budget de l’établissement public, notre structure de tête.

La Caisse des Dépôts peut paraître complexe. Elle regroupe aujourd’hui 370 000 personnes, avec les postiers, les logisticiens de GeoPost (filiale de La Poste, ndlr), les chauffeurs de Transdev… et 6 000 collaborateurs dans la structure de tête. Son bilan a plus que triplé en cinq ans – à environ 1 300 milliards d'euros, dont 140 milliards pour l’établissement public et 300 milliards pour les fonds d’épargne (défiscalisés, garantis par l’État et centralisés en majorité à la Caisse des Dépôts) –, mais ses activités se sont structurées dans le même temps.

Comment le groupe pilote-t-il sa gestion d’actifs dans un contexte de guerre et d’incertitude économique ?

La Caisse des Dépôts est un acteur contracyclique, avec un rôle de stabilisateur, notamment sur les actions françaises.

Dans quelle mesure la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), en tant qu’investisseur institutionnel, est-elle exposée à la zone du conflit entre la Russie et l'Ukraine ?

La Caisse des Dépôts est un investisseur très domestique. Outre certaines expositions indirectes liées à nos participations – GeoPost, pour l’activité colis de La Poste, a une filiale en Russie, par exemple –, son exposition dans ces pays est indirecte et très marginale : inférieure à 0,01 % sur le portefeuille institutionnel.

Vous avez souscrit à l’augmentation de capital de la Compagnie des Alpes cet été : votre filiale, cotée, a souffert de la pandémie. Est-ce vraiment le rôle de la CDC de détenir ce genre de participations ?

Malgré la crise, nous avons continué d’agir au cœur des territoires : je l’ai rappelé mi-février lors de mes auditions au Parlement. Les infrastructures ont besoin d’investisseurs de long terme. La Caisse des Dépôts intervient donc dans ce secteur, avec une forte attention portée dans le secteur de l’énergie – nous soutenons un quart des nouveaux projets en énergie renouvelable, ou encore les réseaux de transport du gaz ou de l’électricité, essentiels pour la transition –, mais aussi dans le secteur du tourisme, souvent délaissés par les investisseurs traditionnels. Plus spécifiquement, dans le cadre du plan de relance, nous sommes intervenus auprès de différents acteurs, et souvent de façon très concrète, comme par exemple en co-investissant dans les murs d’un hôtel, La Licorne, à Troyes, afin notamment de revitaliser une friche urbaine et de contribuer à l’attractivité du territoire.

Concernant la Compagnie des Alpes, nous nous inscrivons dans une activité qui repose sur une délégation de service public aux collectivités. Et nous étions dans notre rôle d’actionnaire. Celui-ci a pu être apprécié durant la crise sanitaire. Il l’est encore, avec le Plan de relance de la Caisse des Dépôts qui mobilise 26 milliards d’euros, dont 6,3 milliards orientés vers la transition écologique. Nous avons déjà engagé 16 milliards d’euros : 80 % du total le sera d’ici à la fin de l’année.

Vous venez de publier « Au cœur de la finance utile, à quoi sert votre épargne ? ». À quelques semaines des élections présidentielles, s’agit-il d’un bilan de votre mandat ou d’un acte de candidature pour 5 ans de plus à la direction générale ?

L’éditrice voulait faire connaître l’histoire et le rôle de la Caisse des Dépôts au public. Mon mandat n’est pas achevé : le choix du prochain directeur général relève du futur Président et des Parlementaires. À ce jour, mes objectifs stratégiques sont d’ores et déjà atteints, mais l’intérêt général commande plus que jamais au regard du contexte social et économique actuel.

Le plan que vous aviez présenté au Président Macron est-il entièrement exécuté ?

L’essentiel – le rapprochement entre La Banque Postale et CNP Assurances, avec une nouvelle répartition actionnariale pour La Poste, ainsi que la création de la Banque des Territoires – est mis en œuvre. Par ailleurs, la loi Pacte a permis de faire évoluer la gouvernance du groupe avec seize membres à sa Commission de surveillance, dont dix issus du Parlement ou désignés par lui (personnalités qualifiées, ndlr). En interne, nous avons mis en place une comptabilité analytique et l’efficacité opérationnelle reste un objectif permanent.

Vous avez souligné la croissance du bilan de la CDC, notamment liée à 471 milliards d’euros pour CNP Assurances et 287 milliards pour La Banque Postale. Y a-t-il également une croissance des résultats (lire l’encadré) apportés au groupe en 2021 ?

Les apports successifs des participations au capital de CNP Assurances par l’État et la Caisse des Dépôts à La Poste puis de celle-ci à La Banque Postale (LBP), et l’achat de titres par la CDC auprès de l’État pour monter à 66 % au capital de La Poste, ont entraîné une relution du résultat. En 2020, date du rapprochement, le résultat est resté positif malgré la crise sanitaire qui a grevé l’activité postale du courrier. 2021 est une autre année exceptionnelle, du fait de la reprise des provisions (constituées l’année précédente pour la pandémie, NDLR).

La base des versements de la CDC à l’État, sortes de « dividendes », pourrait-elle évoluer ?

Le versement de la moitié de notre résultat consolidé, plafonné en vertu du résultat social de l’établissement public, constitue la règle sur cette mandature. Le périmètre de la Caisse des Dépôts a changé. On pourrait aussi prendre en compte la solvabilité du Groupe…

D’autant plus que la CDC est désormais contrôlée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), comme d’autres banques…

Les décideurs publics ont en effet estimé nécessaire de mettre en place un dispositif de supervision du Groupe, du fait de sa taille, par l’ACPR – mais sans intervention de la BCE – avec un décret ad hoc. À cette fin, au premier jour de mon mandat, le 8 décembre 2017, j’ai constitué des équipes, notamment de directions des risques, de l’audit et de la conformité en m’appuyant sur les compétences internes, et par le recrutement de nouveaux talents. Ainsi, près de 300 personnes sont mobilisées.

Le retrait de la cote de Natixis par le groupe BPCE peut-il modifier à terme les accords commerciaux dont bénéficie votre filiale de bancassurance, LBP ?

Nous avions un pacte d’actionnaires dénoué lors du rachat des parts de BPCE dans CNP Assurances. Les accords commerciaux perdurent et fonctionnent très bien.

Au premier trimestre 2020 a émergé au sein de la CDC un « pôle financier public » : vous avez cité la Banque des Territoires, pris en partie sur l’activité de l’établissement public, dont CDC Habitat. Il y a la Sfil et Bpifrance. Deux ans plus tard, les frontières sont-elles claires ?

La Sfil est entrée dans le cadre du rapprochement avec La Poste, avec une double fonction de refinancement de LBP et de financement des contrats export. Avec environ 74 milliards d’euros de bilan, c’est la 7e banque française, une banque publique et rentable.

La Banque des Territoires intervient pour sa part dans le logement social, auprès des collectivités locales, des notaires, des sociétés d’économie mixte, de l’économie sociale et solidaire… Elle investit dans les éoliennes, par exemple. Et est établissement prêteur pour les notaires, les sociétés publiques locales, les bailleurs sociaux. Elle dispose en outre de deux filiales : CDC Habitat et la société de conseil Scet. C’est une grande réussite : les élus l’ont adoptée. Elle a ses Senior Bankers, qui leur présentent toute l’offre de la Caisse des Dépôts. Avec ce guichet unique, nous avons triplé nos investissements en fonds propres.

Chacune des quatre directions a un mandat et des missions clairs. Bpifrance est complémentaire…

Dans ce pôle public financier, Bpifrance n'est-elle pas trop indépendante, omniprésente voire omnipotente ?

J’en suis président et j’en ai approuvé tous les budgets ! Bpifrance doit beaucoup à son directeur général, Nicolas Dufourcq. C’est un grand succès, qui s’inscrit dans notre collectif, pour la France et pour la Caisse des Dépôts aux côtés de l’État (à 50/50).

Il vous apparaît donc nécessaire que Bpifrance soutienne un nouvel assureur crédit, Cartan Trade, aux côtés du réassureur Scor ?

Cette activité n’empiète pas sur celle de CNP Assurances. Et Bpifrance investit aussi dans de nouveaux entrants du domaine bancaire, comme Younited Credit. Mais également dans des grands du courtage d’assurance, à l’occasion du rapprochement Diot-Siaci Saint Honoré.

CNP a doublé la part du résidentiel au sein de sa classe d’actifs immobiliers en rachetant un portefeuille de 7 600 logements à CDC Habitat. En quoi ce passage d’une poche à l’autre au sein de la CDC est utile ?

C’est le résultat d’un appel d’offres : CNP Assurances a été le meilleur.

Le financement et la rénovation des établissements d'hébergement pour personnes âgées et dépendantes (Ehpad) sont du ressort de CDC Habitat. Les scandales récents, notamment chez Orpéa, vous ont-ils mené à un audit de cette branche d’activité ?

Nous sommes très attentifs aux investissements qui sont faits dans ce secteur au sein du Groupe. Le Gouvernement a annoncé un renforcement des contrôles : c’était nécessaire pour qu’aux côtés du secteur non lucratif, comme le Groupe associatif Arpavie dont nous sommes membres de droit, se développe un secteur lucratif plus vertueux. Je pense qu’il faut aussi revoir les critères de notation ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance, ndlr) de ces groupes et renforcer les moyens de régulation pour éviter les effets pervers de la financiarisation du secteur.

Votre livre s’achève sur « l’impératif écologique dans la pratique financière », la biodiversité… En substance, la nécessité de « verdir la finance ». Quels sont vos objectifs en matière de construction et de rénovation énergétique des logements sociaux du parc de CDC Habitat et au-delà ?

La rénovation thermique des logements est notre priorité. Sur une idée d’Olivier Sichel, numéro 2 de la Caisse, la Banque Postale et le Crédit Mutuel ont mis en place le « prêt avance rénovation » qui permet en priorité aux plus modestes de disposer d’une avance pour réaliser les travaux d’isolation.

Je suis convaincu que ce type d’initiatives peut faire émerger une économie verte génératrice d’emplois.

Dans votre livre, vous êtes par ailleurs critique envers le président Macron : il s’y serait mal pris pour la réforme des retraites. Pourrait-il faire mieux avec un second mandat ?

La vision du président de la République en matière de retraite était forte, mais la réforme a été bousculée par la pandémie. La loi a été votée, mais la mise en œuvre ne s’est pas faite à cause de la crise sanitaire. Mais je ne critique pas le président de la République, qui d’ailleurs a décidé de poursuivre la réforme des retraites.

La Caisse des Dépôts est par ailleurs un acteur des retraites, pour un Français sur cinq, dont les collaborateurs de la Banque de France. À ce titre, nous menons une convergence des outils pour nous permettre de devenir le pivot d’un pôle des retraites publiques.

Je pense aussi qu’il est important d’augmenter le niveau des petites retraites.

Propos recueillis par Sylvie Guyony le 24 mars 2022.

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À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867