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Face-à-face

Les attentes des entreprises, les réponses des banques

Créé le

15.12.2014

-

Mis à jour le

08.01.2015

Lors des journées de l’AFTE organisées les 18 et 19 novembre dernier par l’AFTE, Philippe Messager, Président de l’association, et François Pérol, Président du directoire du groupe BPCE,  invité à s’exprimer face à un parterre de trésoriers et directeurs financiers, ont exposé, le premier, ses attentes et ses craintes vis-à-vis du secteur financier ; le second, les évolutions majeures dans les relations avec les clients et les orientations prises pour y répondre. Ce face-à-face reprend de très larges extraits des deux allocutions.

I. Les attentes de Philippe Messager, président de l’AFTE

« Il me semble aujourd’hui que la première préoccupation d’un trésorier est de savoir comment gérer son cash dans un environnement de taux bas. Le deuxième sujet concerne la couverture du financement, notamment pour les PME et ETI. Quant au troisième thème, plus large, il porte sur la solidité de l’environnement financier dans lequel nous évoluons.

Un environnement de taux bas

Après que quelques grands groupes ont frôlé la catastrophe en 2002, lors de l’explosion de la bulle Internet, le cash et surtout la liquidité sont devenus des critères essentiels d’hygiène financière. À tel point que depuis une dizaine d’années, les agences de notation demandent tous les trimestres à tous les corporate émetteurs, une analyse de leur position de liquidité.

Compte tenu de l’évolution des taux, les entreprises ont ces dernières années largement émis sur les marchés obligataires pour se constituer à bon compte (du moins le pensaient-elles) une cagnotte leur permettant de faire face à tout imprévu. Ces positions longues en cash ont été bien souvent renforcées par des crédits syndiqués et des lignes bilatérales, même si certaines viennent sécuriser des programmes de papier commercial. Aujourd’hui, dans le cadre de la gestion de sa liquidité et de son cash, le trésorier est confronté à la problématique suivante : soit améliorer sa dette nette et, dans ce cas, le cash, pour être déduit de l’endettement brut, ne peut être placé que dans des supports liquides, dénués de tout risque en capital, avec hélas, un rendement obtenu quasi nul ; soit, lorsque l’agrégat dette nette est peu important, envisager de supports plus rémunérateurs, mais plus risqués, cette posture restant relativement rare.

Sur le plan des marchés financiers, il semble que nous resterons dans un environnement de taux bas encore longtemps, et ce pour au moins deux raisons :

  • d’abord, par une divergence persistante entre les dynamiques économiques au sein de la zone euro. Prenons l’exemple de la Grèce comparé à celui de l’Allemagne ;
  • ensuite, l’inflation quasi nulle incite la BCE à baisser ses taux directeurs pour que la zone euro ne rentre en aucun cas dans une spirale déflationniste.
Dans cet environnement de taux bas, le trésorier est ainsi en permanence conduit à ajuster au cordeau la gestion quantitative de sa liquidité. Autrement dit, quelle est la prime d’assurance (le différentiel entre le coût de ses fonds et leur rendement) que l’entreprise est prête à payer afin d’être toujours en mesure de faire face à tout imprévu tant interne (une acquisition…) qu’externe (comme le cas d’une défaillance bancaire).

Le financement des PME et des ETI

En ce qui concerne la couverture des besoins de financement des entreprises, les grands corporate convenablement notés ne rencontrent pas de difficultés particulières. Du côté des ETI-PME, en revanche, certains indiquent que les banques peuvent exprimer des réticences, pour ne pas dire un veto catégorique, à exaucer leurs demandes de financement. À l’analyse, il apparaît que les nouvelles réglementations de type de Bâle III ne vont pas, contre toute attente, constituer un frein au financement pour la bonne et simple raison que simultanément à l’entrée en vigueur de ces nouvelles normes sur le niveau de liquidité des banques, la demande de crédit a notablement chuté du fait du ralentissement de l’économie. Des études ont ainsi montré que le financement bancaire pourrait être assuré par les établissements de crédit tant que la croissance annuelle des investissements ne dépassait pas 4 %. Or, depuis de nombreux mois, la croissance des investissements est nulle, voire négative. Bien sûr, il est toujours intéressant de réfléchir à la manière dont les ETI pourraient explorer de nouveaux gisements de financement, entre autres désintermédiés. Dans la mesure où, hélas, il n’est pas prévu à court terme de redémarrage de l’investissement, il ne me semble pas urgent de remettre en place des financements de marchés de type euro PP ou Schuldschein.

Il faut bien comprendre que, globalement, ce ne sont pas les banques qu’il faut pointer du doigt, mais bien plutôt l’absence de la demande et le fait que les besoins d’investissements correspondants ne sont pas au rendez-vous. Ceci étant, nous savons que certains établissements ont pris prétexte du durcissement de la réglementation et de la prise de pouvoir de la direction des risques en leur sein pour faire le ménage dans leurs portefeuilles clients.

[...] Par ailleurs, il est intéressant de noter que les compagnies d’assurances ont exprimé la volonté de participer activement au financement de l’économie. J’ai du mal à imaginer que dans le cadre d’un vaste mouvement de désintermédiation, les clients des assureurs et leurs financeurs, autrement dit les épargnants et les investisseurs tant obligataires qu’en actions, acceptent sans sourciller de prendre du risque ETI. Certes les compagnies d’assurances cherchent à accroître le rendement de leurs actifs, mais ce type d’intervention devrait somme toute rester marginal.

Des risques demeurent

En dépit de stress-tests passés brillamment par près de 140 banques européennes, est-on réellement sûr que le système financier mondial est bien à l’abri d’une nouvelle crise ? Autrement dit, est-il raisonnable pour un trésorier de considérer que le risque de contrepartie bancaire est devenu nul ; peut-on estimer, compte tenu du renforcement récent de l’arsenal réglementaire déployé dans les principales zones financières de la planète, à travers Dodd Frank aux États-Unis, et Bâle III en Europe, que la finance est désormais mieux encadrée ? À la lecture du « Rapport moral sur l’argent » (Association d’économie financière/Caisse des dépôts), on en conclut que la réponse est loin d’être positive. Et le sommet du G20 qui vient de se tenir à Brisbane n’apporte pas plus de réponse à cette question pourtant fondamentale pour la survie de nos économies. Nous n’avons plus les moyens de nous « payer » une nouvelle crise financière. En effet, en zone euro au moins, la politique monétaire est quasi inexistante et les déficits publics sont tels que les politiques budgétaires sont totalement atrophiées. Or, les encours sur instruments dérivés sont bien supérieurs à ce qu’ils étaient en 2007. En effet, ils s’élèvent à plus de 700 000 milliards de dollars, ce qui signifie que nous sommes dans l’art abstrait le plus total ! Cela représente près de 50 fois le PIB américain et plus de 10 fois le PIB mondial. C’était moins de trois fois le PIB mondial il y a quinze ans… Même si en matière de dérivés, il y a en théorie une compensation relative des positions, on se rend bien compte qu’il suffirait qu’un acteur – une banque – ne puisse pas honorer ses engagements pour que le système se bloque instantanément. C’est la raison pour laquelle le milliardaire américain Warren Buffet a qualifié les dérivés d’arme de destruction massive.

En zone euro, même si la BCE est désormais le seul superviseur des 120 plus grandes banques européennes, même si un front de résolution est constitué d’ici à 2024 à hauteur de 55 milliards d’euros, on perçoit le décalage entre l’immense danger que ces portefeuilles de dérivés contiennent potentiellement et la faiblesse des moyens susceptibles d’être mobilisés en cas de nouvelle crise.

Je rajouterais volontiers à ce paysage le trading haute fréquence et les fonds spéculatifs. En effet, le trading haute fréquence contient un risque systémique très élevé. Quant aux hedge funds, 12 % d’entre eux travaillent dans la City avec un effet de levier supérieur à 50. Pourquoi le régulateur toujours prompt à réglementer les activités financières de nos entreprises, via Emir ou Mifid notamment, n’a pas considéré qu’un levier de 5 était une limite à ne pas franchir ?

De même, nous pourrions mettre en avant le décalage entre la croissance des Bourses et celle de l’économie mondiale, puisque depuis 2008, les capitalisations boursières ont été multipliées par plus de 2, tandis que l’économie mondiale sur cette même période n’a crû que de 12 % environ. On se rend compte que le spectre d’une crise financière est loin d’avoir disparu. »

II. Allocution de François Pérol : « Notre monde en 2024 »

« [...] Quand nous avons réfléchi à notre orientation stratégique pour les quatre années à venir, nous nous sommes interrogés sur quels seraient les changements fondamentaux dans les 10 prochaines années pour nos clients. Quels sont ceux qui affecteraient leurs comportements ou leur manière de travailler avec nous ? qui changeraient leur vision du monde ? Et quels seront les moteurs de leur évolution ? Notre métier étant un métier de relations, de services et de proximité, comment serons-nous en mesure pour anticiper ces évolutions et mieux accompagner nos clients ?

Nous avons identifié trois changements majeurs pour notre groupe : l’influence de la technologie sur les comportements de nos clients, la mondialisation et la réglementation bancaire.

L’influence de la technologie sur les comportements de nos clients

Le premier est évidemment le changement technologique, ou plus exactement l’influence de la technologie sur les comportements de nos clients, grâce notamment à la possibilité d’utiliser le téléphone mobile pour faire les opérations auparavant réalisées en agence. Il y a une dizaine d’années, 70 % des contacts de nos clients en banque de proximité étaient effectués via l’agence. En 2015, ce pourcentage devrait être à peu près de 5 %. En Europe, entre 2012 et 2013, les contacts avec sa banque via mobile ont été quasiment multipliés par deux. La banque sur mobile change radicalement la relation avec les clients, pas seulement les particuliers, mais aussi les entreprises, ou les PME. Tous ont grâce à leur portable des expériences avec d’autres références qui ne sont pas nos compétiteurs et qui leur paraissent intéressantes, car elles leur donnent plus de convivialité, de transparence, de rapidité et d’efficacité… Avec Amazon, par exemple, ils sont capables de savoir où en est leur commande en interrogeant leur mobile. Ainsi, quand ils s’adressent à leur banque, les clients imaginent assez volontiers que grâce au mobile, en interrogeant leur application bancaire, ils pourraient connaître, par exemple, l’avancée de leur crédit immobilier. Les expériences que nos clients ont avec d’autres vont transformer fondamentalement la relation qu’ils veulent avoir avec la banque.

Cette première évolution nous incite à une forme de prudence, voire de crainte. Qu’allons-nous faire de nos réseaux physiques de distribution ? Mais c’est également une source d’opportunités qui donne la possibilité de proposer à nos clients de nouvelles façons de travailler avec leur banque, de nouveaux services… C’est une exigence de transformation sur les dix années qui viennent, d’autant que le rythme d’utilisation et d’acquisition de ces nouvelles technologies s’est considérablement accéléré. Alors qu'il a fallu 68 ans pour atteindre 50 millions d’utilisateurs de l’avion, il n'en a fallu que 3 pour dépasser les 50 millions d’utilisateurs de smartphone.

La mondialisation

La deuxième évolution qui transforme le comportement de nos clients est la mondialisation. Dans les dix prochaines années, le potentiel de croissance de l’Asie est dix fois supérieur et celui de l’économie américaine et cinq fois supérieur à celui de l’Europe. En 2025, l’Afrique sera la seule région économique du monde à ne pas avoir achevé sa transition démographique et à n’être pas entrée en phase de vieillissement. Ces pays dits émergents – à tort : rappelons que la première puissance économique mondiale aujourd’hui, n’est plus les États-Unis, mais la Chine – deviennent des acteurs à part entière de l’économie mondiale et de la scène géopolitique. Nos clients entreprises implantés en France ou en Europe savent que leur potentiel de croissance se trouve pour une bonne part en dehors de nos frontières. Ils cherchent à être accompagnés dans leurs opérations de financement et dans leur développement et nous devons être capables de leur proposer des services qui vont au-delà de nos frontières… Pour un groupe, c’est un enjeu considérable. [...]

La réglementation bancaire

La troisième grande évolution est propre à notre secteur : la réglementation bancaire transforme radicalement la façon dont les banques vont financer leur activité. Cela a une conséquence indirecte sur nos clients : dans la réglementation telle qu’elle est conçue, nous aurons beaucoup de mal à faire grandir notre bilan, en raison des 7 nouveaux ratios que les banques doivent ou devront respecter :

  • le ratio de solvabilité de fonds propres durs : 2 % dans le cadre de Bâle 2 mais qui atteint aujourd’hui, entre 8 et 10,5 % pour un groupe systémique. En outre les exigences pour que les fonds propres soient éligibles ont été considérablement renforcées ;
  • le ratio total de solvabilité : pour protéger nos créanciers seniors non sécurisés, il nous faut disposer de coussins très significatifs de capital hybride ou de dettes subordonnées, en plus de nos fonds propres durs ;
  • le forum de stabilité financière vient d’inventer le TLAC (Total Loss-Absorbing Capacity) qui s’applique aux très grandes banques : 19,5 à 23,5 % de nos actifs pondérés par les risques devront être représentés par du capital dur, de la dette hybride ou de la dette subordonnée ;
  • le ratio de levier : il s’applique forfaitairement à tous nos engagements de quelque nature qu’ils soient ;
  • l’« Asset Encumbrance Ratio » : nous émettons parfois de la dette sécurisée, au premier rang desquels les covered bonds. Il faut vérifier que nous ne gageons pas une partie trop importante de notre bilan auprès de ces créanciers, pour laisser une partie de l’actif disponible pour émettre de la dette non sécurisée ;
  • le ratio de liquidité court terme nous demande de détenir des réserves de liquidité ;
  • enfin, s’y ajoute le ratio de liquidité long terme.

Vers une désintermédiation accrue

Pour des établissements qui sont fondamentalement des banques de financement, dont l’activité est de faire du crédit, ces 7 ratios freinent la croissance du bilan. Nous avons la conviction depuis 2009 que ce mouvement va s’amplifier et qu’il y aura une désintermédiation accrue du financement de l’économie européenne. Aujourd’hui, la demande est malheureusement faible, en tout cas en zone euro, et les banques n’ont pas beaucoup de difficultés à la satisfaire. Mais si l’investissement devait s’accélérer, nous aurions des difficultés à en assurer le financement par notre seul bilan. Nous devons trouver d’autres solutions. C’est la raison pour laquelle, depuis 2009, nous avons investi avec Natixis sur des plates-formes de dette et des plates-formes obligataires pour accompagner un nombre croissant de nos clients vers les marchés obligataires. Les grands corporate y sont habitués, les ETI y viennent, et nous développons également des placements privés ainsi que le marché high yield. Il s’agit d’un impératif pour essayer de continuer à financer les projets de nos clients, mais aussi pour rester aux côtés de ceux qui n’ont pas cette capacité de financements de substitution : les particuliers, bien sûr, mais aussi les PME qui ne vont pas directement sur les marchés, car le coût d’accès est trop élevé. Nous devons garder dans nos bilans la capacité de financer ces clients.

Voilà donc les trois grandes évolutions qui se dessinent : le changement technologique, la mondialisation et le changement de réglementation qui nous conduit à être présents auprès de nos clients d’une autre manière.

Les orientations stratégiques du groupe BPCE

À partir de là, nous avons fixé un certain nombre d’orientations stratégiques pour préparer notre groupe à ce monde de 2024. [...] Notre premier objectif est de transformer la banque de proximité pour en faire une banque digitale, mais qui reste humaine. Nous ne pensons pas que notre réseau de distribution soit condamné par la digitalisation. Nos clients souhaitent continuer à avoir accès à un conseil, à un contact, une compétence, qui ne soit pas simplement une interface avec une machine. Simplement, notre réseau va profondément évoluer, à la fois dans la nature des points de vente, leur localisation et les moyens mis en œuvre. Nos process et nos organisations vont considérablement changer. Les compétences qui sont celles de nos salariés vont devoir monter en puissance, pour être capables d’apporter à nos clients ce qu’ils souhaitent, c’est-à-dire du conseil et une vraie valeur ajoutée. L’innovation et les systèmes d’information deviennent des armes stratégiques. [...]
La deuxième ambition stratégique consiste à devenir en France un acteur majeur de l’épargne sous toutes ses formes : l’épargne bilantielle c’est-à-dire les dépôts que nous sommes capables de collecter, c’est le nerf de la guerre dans la nouvelle réglementation, mais également l’assurance vie qui représente 40 % de l’épargne des Français ; nous voulons devenir un acteur majeur de l’assurance en général. La gestion d’actifs est une autre forme de collecte de l’épargne et nous avons l’ambition de continuer de croître dans ce métier. La question fondamentale sous-jacente est la façon dont nous pourrons demain financer nos clients.

Troisième ambition stratégique : la modification en profondeur nos propres méthodes de travail selon le modèle Originate to Distribute. Il s’agit d’être capable d’originer davantage de crédits, pour être davantage présents auprès de nos clients, tout en ayant un bilan constant ou en croissance faible. Donc, nous redistribuons à des investisseurs, assureurs ou fonds de pension, une partie de ces prêts, mais jamais la totalité parce que nous voulons maintenir un alignement d’intérêt avec nos investisseurs ainsi qu’une culture du risque à l’intérieur de la banque.
Quatrième évolution : nous développer en dehors de nos frontières. Investir, principalement en devises étrangères pour la banque de grande clientèle sur des lignes de métier que nous connaissons et pour lesquelles nous avons une expertise mondiale comme les financements de projets, d’infrastructures, ou gestion d’actifs, où nous sommes capables d’apporter de la valeur ajoutée, aussi bien en Europe, qu’aux États-Unis ou en Asie. »

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº779