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ESG : une révolution copernicienne pour l’épargne en Europe ?

Créé le

15.03.2022

Les réglementations européennes s’enchaînent avec des ambitions sociales et environnementales. Dès cet été, les distributeurs de produits financiers devront sonder leurs clients pour établir leurs préférences en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Si l’ambition de l’Europe est louable, peut-être eût-il fallu s’interroger aussi sur la meilleure façon de mettre un pied devant l’autre…

L’engouement pour la finance durable est plus que tangible. Les efforts menés par les régulateurs européens s’intensifient, impliquant toutes les parties prenantes. Après la mise en place, cette année, de la directive sur les marchés d'instruments financiers MIF 2 (en anglais Markets in Financial Instruments – MiFID), ce sera au tour des normes techniques réglementaires de niveau 2 du règlement européen SFDR (Substainable Finance Disclosure Regulation) d’entrer en application, à compter du 1er janvier 2023. Celles-ci encadreront fortement la communication des sociétés de gestion concernant les fonds catégorisés article 8 et article 9 depuis l’année dernière. Puis, la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), toujours en cours de négociation, prévoit de renforcer les obligations de reporting financier et ESG des entreprises à partir de 2024.

Commençons par le début. La révision de la directive MIF 2 sera l’un des principaux chantiers réglementaires pour les professionnels de la gestion d’actifs en 2022 et au-delà. En effet, à partir du 2 août de cette année, les conseillers et distributeurs de produits financiers devront demander à leurs clients de préciser leurs préférences d’investissement en matière de développement durable. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de l’agenda européen visant à orienter les capitaux en faveur des entreprises les plus actives en matière de transition vers une économie bas carbone et inclusive. Ce véritable coup d’accélérateur redonne le pouvoir aux épargnants et renforce la transparence de l’offre, dans un contexte réglementaire particulièrement dense où la lutte contre le greenwashing est omniprésente.

Des questionnaires harmonisés et des portefeuilles sur-mesure ?

Remettre le client au cœur du processus : tel est l’objectif majeur de cette évolution de MIF 2, en donnant davantage la parole aux épargnants et en leur permettant de s’exprimer avec précision sur leurs choix d’investissement. Pour évaluer les préférences des clients investisseurs en matière de développement durable, un questionnaire doit être établi par chaque distributeur de produits financiers. Celui-ci sera un élément clé pour offrir aux clients une plus grande personnalisation mais également permettre l’harmonisation de l’offre ESG dans le cadre d’une construction de portefeuille.

Les critères ESG, l’alignement avec la taxonomie européenne et les externalités négatives des investissements seront ainsi passés à la loupe pour déterminer très précisément les attentes des épargnants. Les réponses à ces questions conduiront à un degré de personnalisation avancé, quasiment sur-mesure.

Les régulateurs seront vigilants sur l’interprétation des textes de loi : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a en effet récemment apporté davantage de clarifications sur ce point, en donnant les premiers éléments du cadre prescriptif. Cette initiative bienvenue devrait permettre une harmonisation générale des questionnaires. Bien que ceux-ci ne soient pas encore finalisés, nous espérons toutefois qu’une marge de manœuvre sera laissée aux distributeurs dans la construction de ceux-ci. Il est en effet primordial que le temps d’échange entre le client et son conseiller pour compléter ce questionnaire soit l'occasion d'une interaction inspirante. Et non pas uniquement une formalité administrative !

Les gammes de produits doivent s'adapter

Les réponses des épargnants devront alors être traduites en une offre concrète. Ce modèle « à la carte » présente néanmoins un enjeu de taille : celui de faire coïncider les critères de sélection des clients avec les caractéristiques des fonds proposés. À ce titre, le recours à la technologie sera une aide précieuse (voir encadré).

Dans ce nouveau paradigme, l’industrie de la gestion d’actifs à un rôle essentiel à jouer : celui de proposer une offre complète correspondant à toute la palette de profils d’investisseurs, non seulement en matière de préférences ESG mais aussi de prise de risque, de diversification de portefeuille, de liquidité… Ainsi, nous devons nous assurer que les fonds proposés seront éligibles aux attentes définies par les clients et distributeurs, en prenant en compte une série de critères. Selon les objectifs recherchés, les fonds devront :

– soit limiter les principaux impacts négatifs (PAI), tels que les émissions de gaz à effet de serre ou l’inégalité salariale femmes-hommes ;

– soit intégrer une proportion d’actifs définis comme « durables » ou en ligne avec la taxonomie européenne, c'est-à-dire des actifs permettant l’atténuation du changement climatique, la protection des écosystèmes, etc.

Aujourd’hui, BNP Paribas Asset Management gère une gamme intégrant les critères ESG de plus de 330 milliards d’euros à fin décembre. Elle permet aux épargnants d’allouer leur capital dans un vaste univers d’investissement et de variétés de secteurs et localisations. Aussi, la mise en place de MIF 2 devrait accroître encore davantage l’attractivité des fonds durables, mais nous devrons veiller à maintenir une allocation équilibrée du capital, afin d’éviter une trop forte concentration des investissements.

La donnée, un préalable remis à plus tard

Après MIF 2, viendra le tour de SFDR, puis celui de CSRD. Bien que nous accueillions positivement les avancées significatives permises par ce cadre réglementaire, ce calendrier ambitieux aurait mérité d’être réordonné. Une chronologie cohérente aurait voulu que, dans un premier temps, les entreprises publient leurs données ESG de façon transparente et harmonisée. Ensuite, forts de ces données, les gérants d’actifs auraient pu les exploiter dans la construction de leurs offres de fonds. Enfin, disposant d’offres bâties à partir d’informations précises, les distributeurs auraient pu questionner les épargnants sur leurs préférences en matière d’investissement durable.

Le choix de l’Europe a été de commencer par la fin. Cette incohérence temporelle nous impose de collecter les données extra-financières des entreprises par d’autres moyens. Chez BNP Paribas Asset Management, nous utilisons par exemple notre méthodologie propriétaire depuis 2018, couvrant plus de 13 000 émetteurs, sur divers critères E, S et G, et nous la complétons, dans ce cadre précis, par d’autres sources et types de données.

Un chantier majeur pour l'industrie

Au cours des prochaines années, la mise en œuvre de la législation en matière de finance durable va constituer un chantier majeur pour l’industrie. Nous saluons et contribuons aux efforts déployés par les régulateurs pour accroître la transparence des informations disponibles. Nous nous engageons activement auprès des décideurs et des Pouvoirs publics pour les aider à façonner les marchés sur lesquels nous investissons, ainsi que les règles qui guident et régissent le comportement des entreprises. Si de nombreux progrès ont déjà été accomplis, il reste encore beaucoup à faire, notamment afin d’améliorer la qualité et l’accès aux données ESG des entreprises. Nous sommes convaincus que MIF 2 et les diverses réglementations apporteront in fine davantage de coordination et de normalisation, au bénéfice des clients. N’oublions pas que cela représente bien plus qu’un nouveau cadre juridique : c’est un pas important en faveur d’une réallocation du capital vers la transition écologique et les enjeux sociaux. Comme tout bouleversement majeur, la transition se fera avec le temps et avec l’aide de toutes les parties-prenantes : distributeurs, gérants d’actifs, régulateurs – et bien sûr, les épargnants eux-mêmes.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867