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La création monétaire bancaire pour financer la transition énergétique

Créé le

16.03.2022

La tragédie ukrainienne souligne l’impérieuse nécessité de réduire la dépendance énergétique de certains pays européens, au profit des énergies non fossiles et renouvelables. Cette transition requiert un effort financier colossal pour respecter l’objectif de l’Accord de Paris à l’horizon de 2050. Face à l’ampleur du défi, le pouvoir de création monétaire des banques commerciales devrait être vu comme un atout.

Alors que le drame humain et national qui frappe l’Ukraine cristallise toutes les préoccupations, la publication du deuxième volet du sixième rapport du GIEC [1] le 28 février dernier est quasiment passée inaperçue. Pour autant, l’urgence climatique demeure. Selon les experts du GIEC, la température moyenne a augmenté de +1,09 °C entre l’ère préindustrielle (1850-1900) et la période 2011-2020. La marge de manœuvre devient donc de plus en plus étroite pour respecter l’Accord de Paris de 2015 de limiter le réchauffement à environ +1,5 °C. Seule une action massive, immédiate et concertée des pays signataires permettrait d’infléchir la trajectoire du réchauffement et de nous prémunir de ses conséquences irréversibles.

L'addition jusqu'en 2030 ? 600 milliards d'euros a minima

Face à cet enjeu, l’Union européenne prend une part active par une montée en puissance des financements dévolus à la production et aux usages d’énergies bas carbone. Toutefois, un déficit de financement important subsiste entre les flux de financement effectifs et ceux requis pour « décarboner » l’économie. La Commission européenne n’a pas encore officiellement chiffré l’investissement total nécessaire pour une transition énergétique à la fois soutenable et socialement juste à l’horizon de 2050, couvrant à la fois la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ce dernier. En revanche, l’exercice de chiffrage a été mené jusqu’en 2030. Dans une publication de 2020 [2] , ses services considéraient ainsi que la réduction des gaz à effet de serre de 55 % à l’horizon de 2030 – le point de référence étant 1990 –, impliquerait un effort d’investissement supplémentaire annuel dans le seul système énergétique d’environ 350 milliards d’euros. De surcroît, le déficit du besoin de financement en investissement soutenable était estimé dans une fourchette comprise entre 100 et 150 milliards d’euros par an et les besoins en « investissement social » à 142 milliards d’euros par an [3] . Finalement, l’effort supplémentaire requis ressortait à près de 600 milliards d’euros par an jusqu’en 2030.

Aujourd'hui, les flux nets de financements sont à 460 milliards en moyenne

À titre de comparaison, les flux nets de financement annuels moyens obtenus par les résidents de la zone euro, tous instruments (crédit bancaire, titres de dette et actions) et objets confondus, s’élevaient à environ 460 milliards d’euros entre 2015 et 2019 [4] . Nonobstant les légères différences de périmètre (Union européenne d’un côté, zone euro de l’autre), la couverture des besoins liés à la transition énergétique impliquerait donc entre un doublement et un triplement des flux de financement européens !

Jusqu’à présent, une grande partie des initiatives s’est concentrée sur le verdissement des instruments d’épargne et de marché. Les banques et les investisseurs institutionnels ont beaucoup œuvré en ce sens. Toutefois, en dépit de taux de progression à trois chiffres, ces instruments ne représentent encore qu’une fraction négligeable [5] des encours d’épargne et de financements de marché. Ils se heurtent immuablement à la forte préférence des épargnants pour l’épargne liquide et peu risquée.

Dès lors, un complément de financements bancaires apparaît indispensable. Ceux-ci bénéficient de plusieurs atouts comparativement aux financements de marché et drainés par les institutions non bancaires. Tout d’abord, ils n’exigent pas une parfaite adéquation des risques et des maturités entre l’épargnant et le financement du projet : la transformation opérée par les banques permet de mobiliser une épargne liquide et peu risquée, comme les dépôts bancaires, pour financer des projets à long terme plus risqués (caractéristiques indissociables des projets servant la transition énergétique). Ensuite, ils ne sont pas tributaires d’une épargne préexistante : la ressource monétaire est créée simultanément au nouveau prêt.

Financer des projets durables.... et rentables

Ce pouvoir de création monétaire doit être cependant utilisé à bon escient. Il s’agit de se prémunir des conséquences inflationnistes d’une création monétaire excessive au regard de la croissance économique, alors même que le consommateur se verra dans le même temps répercuter une partie des coûts de la transition. Dans ce dessein, les projets devront être, certes, durables, mais aussi créateurs de richesse. L’expertise des banques commerciales est alors irremplaçable pour évaluer la qualité des projets, non seulement sur le plan de leurs vertus écologiques, mais aussi de leur justification économique pour une croissance durable. Elle garantit également une bonne évaluation de la capacité des emprunteurs à rembourser leurs prêts. Et donc de la qualité des contreparties de la monnaie créée !

Un juste soutien attendu sur Bâle 3

La croissance des financements bancaires, fussent-ils « verts », est toutefois freinée par les contraintes prudentielles adoptées dans le cadre de Bâle 3. Or l’importance de l’enjeu justifierait que certaines exigences en capitaux propres soient adaptées, dans la mesure où ces évolutions préserveraient la robustesse du système bancaire. Dans le cadre des stress-tests climatiques [6] , la BCE a calculé qu’une trajectoire proche des objectifs climatiques réduirait les pertes attendues des banques européennes sur leur portefeuille corporate de plus de 8 % entre 2020 et 2050 au regard d’un scénario de réchauffement caractérisé par une inaction climatique. Pourquoi, dès lors, ne pas traduire cette diminution des risques dans un allègement des exigences relatives aux financements bancaires des projets à faible empreinte carbone ? Ce serait une manière à la fois de reconnaître et d’encourager la contribution des banques à une trajectoire plus vertueuse de l’économie européenne, dans l’intérêt commun.

 

1 IPCC (2022), « Climate change 2022 – Impacts, Adaptation and Vulnerability », 28 février.
2 European Commision (2020), « State of the Union : Questions&Answers on the 2030 Climate Target Plan », 17 septembre 2020.
3 European Commission (2020), « Sustainable Europe Investment Plan, European Green Deal Investment Plan ».
4 Flux de financement nets annuels moyens mobilisés par les agents résidents de la zone euro entre 2015 et 2019 (source : BCE ; calculs : BNP PARIBAS) : Émissions nettes des tombées sur le marché de la dette (papier commercial, obligations) = 230 milliards d’euros ; Variation des encours de prêts bancaires aux résidents de la zone euro = 178 milliards d’euros ; Flux annuels nets d’émissions d’actions cotées = 47 milliards d’euros.
5 Par exemple, les émissions d’obligations vertes ne représentaient qu’environ 4% des émissions obligataires dans l’Union européenne en 2020.
6 European Central Bank (2021), « ECB Economy-wide climate stress test Methodology and Results », Occasional Paper Series, n° 281, septembre .

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867
Notes :
null .
1 IPCC (2022), « Climate change 2022 – Impacts, Adaptation and Vulnerability », 28 février.
2 European Commision (2020), « State of the Union : Questions&Answers on the 2030 Climate Target Plan », 17 septembre 2020.
3 European Commission (2020), « Sustainable Europe Investment Plan, European Green Deal Investment Plan ».
4 Flux de financement nets annuels moyens mobilisés par les agents résidents de la zone euro entre 2015 et 2019 (source : BCE ; calculs : BNP PARIBAS) : Émissions nettes des tombées sur le marché de la dette (papier commercial, obligations) = 230 milliards d’euros ; Variation des encours de prêts bancaires aux résidents de la zone euro = 178 milliards d’euros ; Flux annuels nets d’émissions d’actions cotées = 47 milliards d’euros.
5 Par exemple, les émissions d’obligations vertes ne représentaient qu’environ 4% des émissions obligataires dans l’Union européenne en 2020.
6 European Central Bank (2021), « ECB Economy-wide climate stress test Methodology and Results », Occasional Paper Series, n° 281,