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Comment la loi DDADUE2 améliore l’attractivité de la Place française

Créé le

18.03.2022

Innovante et efficiente, la loi DDADUE2 ! Promulguée le 8 octobre 2021, elle ne se limite pas à mettre en conformité le cadre juridique français avec les normes européennes…

SRD2, la directive européenne « Droit des actionnaires 2 » [1] , avait été en partie transposée par la loi PACTE [2] . La loi DDADUE 2 prolonge l’exercice, avec des changements majeurs à la clef.

En droit français, l’émetteur ou son mandataire pouvait demander des informations relatives à l’identité des actionnaires détenant des titres au porteur (i. e. de façon non nominative) à deux acteurs : le dépositaire central assurant la tenue du compte-émission de ses titres, comme Euroclear en France, ou les banques exerçant l’activité de tenue de compte-conservation. C’était le mécanisme du « titre au porteur identifiable » (TPI).

Depuis le 10 octobre 2021, avec la nouvelle notion « d’intermédiaire », le nombre d’interlocuteurs possibles de l’émetteur augmente. Elle inclut en plus les intermédiaires inscrits pour le compte de l’actionnaire, et toute personne établie hors de France qui fournirait des services d’administration ou de conservation d’actions ou de tenue de comptes-titres au nom de l’actionnaire ou d’autres intermédiaires.

Le TPI est mort

Autre innovation : tous les « intermédiaires » sont dorénavant tenus de transmettre les informations demandées directement à la personne désignée dans la demande, étant précisé que ces informations incluent non seulement celles relatives aux actionnaires, mais également celles concernant les intermédiaires inscrits dans les livres de l’intermédiaire lui-même chargé de la demande de l’émetteur.

Autre précision concernant le dispositif selon lequel la faculté d’identification de l’émetteur est de droit pour les sociétés dont des actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé : ces marchés sont ceux « établi[s] ou opérant dans un État membre de l’Union européenne », et non pas les seuls marchés réglementés français comme la précédente rédaction aurait pu laisser le penser. Ce dispositif s’applique également aux actions françaises non cotées, aux obligations émises depuis 2014, aux titres de créances négociables et aux organismes de placement collectif (OPC) régis par le droit français, afin de conserver le périmètre prévu auparavant par le TPI. Néanmoins, introduit en 1987 [3] , le TPI est mort, remplacé par un système conforme au mécanisme européen « d’identification sur demande ». Les textes clarifient aussi certains points du régime d’identification, sources de difficulté d’interprétation en pratique.

La circulation de l’information précisée

Afin de faciliter l’exercice par les actionnaires des droits découlant de leurs actions, de nouveaux articles sont introduits dans le Code de commerce [4] . Les sociétés cotées sur un marché réglementé établi ou opérant dans un État membre de l'UE doivent désormais transmettre, soit aux « intermédiaires » à charge pour eux de transmettre l’information aux actionnaires, soit directement aux actionnaires, toutes les informations nécessaires à l’exercice des droits découlant de leurs actions.

Inversement, les intermédiaires sont également chargés de remonter à l’émetteur les instructions envoyées par les actionnaires en réponse à l’information fournie, et les émetteurs tenus d’envoyer une confirmation électronique de réception du vote de tout actionnaire ayant voté par des moyens électroniques [5] .

Afin de permettre aux émetteurs et aux intermédiaires de mettre en œuvre ces obligations, un décret devrait préciser le contenu de ces informations et confirmations, ainsi que les délais et les modalités de leur transmission [6] . Les obligations des intermédiaires relatives à la facilitation de l'exercice par les actionnaires de leurs droits, « notamment celui de participer aux assemblées générales et d'y voter », devraient également être précisées par décret au début du mois d’avril 2022. Il est toutefois rappelé qu’un règlement d’exécution européen [7] relatif à la directive Droit des actionnaires 2, directement applicable en France, précise déjà certaines exigences minimales à ce sujet.

Sont par exemple indiquées les exigences minimales relatives aux types et au format des informations à transmettre par les émetteurs aux actionnaires, via les intermédiaires le cas échéant, en ce qui concerne les convocations aux assemblées générales. Figurent également dans ce règlement d’exécution les informations et données minimales devant figurer dans la notification de participation d'un actionnaire à une assemblée générale, etc.

Fini l’imbroglio autour des dépositaires centraux de titres

Ces modifications du Code de commerce renforcent l’attractivité du droit français, désormais conforme aux standards européens, et gomme les difficultés d’interprétation ou d’application susceptibles d’entraver la bonne mise en œuvre de la directive Droit des actionnaires 2.

La loi DDADUE 2 a aussi précisé la définition de « dépositaire central de titres » (DCT) dans le Code monétaire et financier, pour ne laisser subsister aucun doute sur sa conformité avec le mécanisme de passeport européen dont bénéficient les DCT [8] . Ces modifications font notamment écho aux recommandations du Haut Comité de la Place financière de Paris (HCJP), formulées dans un rapport publié à l’automne 2020 [9] .

L’incertitude corrigée par la loi DDADUE 2 résultait de l’article L. 441-1, I.- du Code monétaire et financier. Il prévoyait jusqu’alors d’une part que les dépositaires centraux étaient ceux définis dans le règlement CSDR – incluant par là même les DCT agréés dans d’autres États membres de l’UE et bénéficiant d’un passeport européen, et d’autre part que les DCT devaient être agréés par l’Autorité des marchés financiers (AMF) – excluant alors tous les DCT qui ne seraient pas agréés en France. La loi DDADUE 2 a donc clarifié cette difficulté d’interprétation. Les dépositaires centraux sont non seulement les DCT français agréés par l’AMF, mais également les DCT (y compris de pays tiers) autorisés à fournir des services en France par le biais d’une succursale (libre établissement) ou en libre prestation de services en application du règlement CSDR.

La loi a également introduit certaines dispositions visant à augmenter significativement la protection des participants à un DCT, dans un objectif non seulement de sécurité face à certains risques systémiques, mais également d’attractivité de la Place financière française.

Dérogation à la règle de zéro heure

Dernier point majeur : les modifications des dispositions du Code monétaire et financier relatives aux systèmes de règlements interbancaires ou de règlement et de livraison d'instruments financiers. Avec le renforcement de la protection des participants à ces systèmes dans le cas où un autre participant, relevant d’un État tiers à l’UE, ferait l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ou de toute autre procédure équivalente.

Pour rappel, le Code monétaire et financier prévoit un régime dérogatoire à la règle dite de « zéro heure » résultant du droit commun de la faillite, selon laquelle le jugement d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité produit des effets juridiques dès le début de la première heure du jour où il est rendu. En application de cette règle, les effets et l’opposabilité d’instructions de règlement, transmises au système le jour même du jugement d’ouverture de la procédure d’insolvabilité par le participant faisant l’objet de cette procédure, pourraient être neutralisés, entraînant un risque de règlement et potentiellement un risque systémique.

Le Code monétaire et financier prévoit donc que les instructions et opérations de compensation introduites dans les systèmes produisent leurs effets et sont opposables aux tiers, quand bien même elles auraient été introduites avant la fin du jour où le jugement d'ouverture de sauvegarde, de redressement ou de liquidation (ou une procédure équivalente de droit d’un pays tiers) aurait été rendu à l’encontre d’un participant. Rien cependant ne s’opposait à ce qu’un juge de la faillite, compétent pour un participant au système relevant d’un État tiers, en décide autrement, conformément au droit de la faillite local applicable.

Le droit étranger non opposable

La loi DDADUE 2 renforce donc considérablement la protection des effets et de l’opposabilité des instructions en ajoutant qu’aucun jugement ni aucune décision émanant d’un État tiers, s’il est contraire au mécanisme décrit ci-dessus, ne peut obtenir reconnaissance ni recevoir exécution en France pour sa partie qui lui est contraire. Ainsi, désormais, tout juge français qui serait par exemple saisi d’une demande d’application d’un jugement étranger par une personne qui aurait intérêt à neutraliser les effets ou rendre inopposable l’instruction transmise au système par le participant faisant l’objet de la procédure d’insolvabilité, devrait ne pas appliquer les règles résultant de la procédure d’insolvabilité étrangère pour leur partie qui serait contraire au régime du Code monétaire et financier mentionné ci-dessus.

Il est précisé que ce mécanisme de protection s’applique également aux personnes à l’encontre desquelles une procédure d’insolvabilité est ouverte qui, si elles ne sont pas participantes du système concerné, sont participantes à un autre système lié par un accord d'interopérabilité, ou gestionnaire d'un système interopérable, ce qui vient encore davantage accroître le champ et la force de ces dispositions.

Un mécanisme de protection similaire a été introduit concernant les garanties couvrant les obligations de paiement découlant de la participation aux systèmes, dont l’efficacité ne peut être remise en cause par un jugement d’ouverture de procédure d’insolvabilité à l’encontre d’un participant relevant d’un État tiers.

Ces modifications renforcent considérablement la sécurité et l’attractivité des marchés financiers français pour les participants, en garantissant que les instructions données par d’autres participants un jour donné ne seront pas neutralisées du fait de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ce même jour, y compris en application d’un droit étranger qui ne prévoirait pas de mécanisme de protection similaire. Le risque systémique en cas de défaut d’un participant relevant du droit d’un pays tiers s’en trouve ainsi considérablement limité [10] .

 

1 Directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées telle que modifiée, notamment par la Directive (UE) 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.
2 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à a croissance et la transformation des entreprises.
3  Dalloz actualité, Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : aspects de droit des sociétés et de droit financier, 27 octobre 2021.
4 Articles L. 228-29-7-1 et suivants, visant à transposer les articles 3bis et suivants de la directive Droit des actionnaires 2.
5 Conformément au nouvel article L. 22-10-43-1 du Code de commerce.
6 Publication envisagée au début du mois d’avril 2022 selon l’échéancier de mise en application de la loi DDADUE 2.
7 Règlement d'exécution (UE) 2018/1212 de la Commission du 3 septembre 2018 fixant des exigences minimales pour la mise en œuvre des dispositions de la directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l'identification des actionnaires, la transmission d'informations et la facilitation de l'exercice des droits des actionnaires.
8 Article 23 du Règlement (UE) n° 909/2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres dit « CSDR ».
9 Rapport sur les Passeports dépositaires centraux du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris, 25 septembre 2020.
10 Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, p. 236.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº867
Notes :
1 Directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 concernant l’exercice de certains droits des actionnaires de sociétés cotées telle que modifiée, notamment par la Directive (UE) 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.
2 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à a croissance et la transformation des entreprises.
3  Dalloz actualité, Adaptation au droit de l’Union européenne par la loi du 8 octobre 2021 : aspects de droit des sociétés et de droit financier, 27 octobre 2021.
4 Articles L. 228-29-7-1 et suivants, visant à transposer les articles 3bis et suivants de la directive Droit des actionnaires 2.
5 Conformément au nouvel article L. 22-10-43-1 du Code de commerce.
6 Publication envisagée au début du mois d’avril 2022 selon l’échéancier de mise en application de la loi DDADUE 2.
7 Règlement d'exécution (UE) 2018/1212 de la Commission du 3 septembre 2018 fixant des exigences minimales pour la mise en œuvre des dispositions de la directive 2007/36/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l'identification des actionnaires, la transmission d'informations et la facilitation de l'exercice des droits des actionnaires.
8 Article 23 du Règlement (UE) n° 909/2014 concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres dit « CSDR ».
9 Rapport sur les Passeports dépositaires centraux du Haut Comité juridique de la Place financière de Paris, 25 septembre 2020.
10 Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, p. 236.